On dit que les femmes portent le monde, mais personne ne leur apprend à porter leurs propres blessures. Lorsqu’il s’agit de leur corps, de leur santé intime ou de leur équilibre psychique, trop de choses sont tues. On parle peu, ou mal, des règles, de la ménopause, de l’endométriose, de l’infertilité, de l’anxiété… Comme si ce qui touche au féminin devait être tenu secret, étouffé par la pudeur ou écrasé par la honte.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les femmes sont presque deux fois plus susceptibles que les hommes de souffrir de troubles anxieux ou dépressifs, non qu’elles soient plus fragiles, mais parce que de multiples facteurs – hormonaux, sociaux et culturels – viennent accroître ce risque. Les bouleversements biologiques liés au cycle menstruel, à la grossesse, au post-partum ou à la ménopause peuvent avoir des répercussions complexes : douleurs physiques, perturbations du sommeil, fatigue chronique, complications gynécologiques. Pourtant, ces réalités sont trop souvent réduites à une caricature : celle de la femme “émotive”, “instable” ou “gouvernée par ses hormones”.
Cette réduction des femmes à une supposée fragilité psychique n’est pas nouvelle. Elle s’enracine dans un héritage archaïque : celui de l’“hystérie”, ce diagnostic fourre-tout inventé dès l’Antiquité et popularisé jusqu’au XIXème siècle, qui assimilait les maux féminins à des désordres de l’utérus. Pendant des siècles, les douleurs intimes, les troubles hormonaux ou psychiques, ont été interprétés comme des signes d’irrationalité, de déséquilibre ou même de dangerosité. Si la science moderne a depuis longtemps rejeté cette vision, son empreinte culturelle demeure : encore aujourd’hui, une femme qui exprime sa souffrance peut être taxée d’exagération, d’instabilité ou d’émotivité excessive. Cet héritage de l’“hystérie” n’est pas qu’un souvenir médical : c’est une matrice de préjugés qui continue d’alimenter le soupçon, le rire ou le mépris autour de la santé des femmes.
Il en va de même pour les maladies gynécologiques. L’endométriose, par exemple, touche près d’une femme sur dix en âge de procréer. Pourtant, le diagnostic est souvent posé après 7 à 10 ans d’errance médicale, tant la parole des patientes est banalisée ou mise en doute. Quant à l’infertilité, elle est vécue comme une faute intime, un manquement à la féminité.
À ces réalités s’ajoute un poids invisible : celui des responsabilités quotidiennes. Les femmes ne se battent pas seulement contre des troubles ou des douleurs, elles doivent aussi gérer une charge mentale écrasante : penser à tout, tout le temps, pour tout le monde. Elles sont attendues au travail, à la maison, dans la parentalité, auprès des proches. Là où l’homme est souvent jugé sur sa seule performance professionnelle, la femme est évaluée sur l’ensemble de ses rôles sociaux. Cette exigence permanente devient une fabrique d’épuisement, d’anxiété et de souffrances silencieuses.
Souffrir d’un trouble psychique, d’une affection hormonale ou d’une maladie gynécologique ne diminue en rien les capacités ou la valeur des femmes. Dans la majorité des cas, elles continuent à assumer leurs responsabilités avec une résilience admirable. Ce qui fragilise réellement, ce n’est pas la condition en elle-même, mais le regard social qui l’entoure: l’indifférence médicale, la banalisation des symptômes, ou pire, la dérision. La comparaison est éclairante : le diabète ou les maladies cardiovasculaires, qui touchent hommes et femmes, sont pris très au sérieux et jamais associés à une perte de “capacités”. Même les troubles spécifiquement masculins, comme l’hypertrophie de la prostate ou la dysfonction érectile, sont abordés médicalement mais jamais utilisés pour remettre en cause “l’aptitude” des hommes. Pourquoi alors, lorsqu’il s’agit des femmes, les douleurs deviennent-elles matière à renforcer le stéréotype d’une supposée faiblesse “naturelle” ?
Ces tabous enferment les femmes dans le silence. Ils empêchent la prévention, retardent les soins, et nourrissent un sentiment d’isolement.
La santé des femmes n’est pas un sujet secondaire : elle doit être portée au grand jour, car il s’agit d’une question de dignité et de justice.