Vous portez le Forum Mondial des Femmes pour la Paix prévu prochainement à Essaouira. Qu’attendez-vous de ce rendez-vous et comment souhaitez-vous qu’il fasse bouger les lignes dans un contexte mondial où les discours de haine, les guerres, voire les génocides, se multiplient ?
Cette édition est un cri d’urgence lancé au cœur d’un monde en feu. C’est au creux du désespoir, quand tout semble nous écraser, que notre force se mesure à notre capacité à rester debout et à ne jamais nous résigner. Le Forum Mondial des Femmes pour la Paix à Essaouira est un appel vibrant qui place l’engagement et la force des femmes au cœur de nos combats. Que ce rassemblement se tienne à Essaouira n’est pas anodin : cette ville est un lieu-symbole du vivre-ensemble, de la mémoire partagée et de la solidarité judéo-musulmane. Elle porte en elle l’héritage d’une histoire où les cultures et les croyances se sont croisées, enrichies et reconnues mutuellement. Face à la spirale destructrice qui engloutit notre monde, il est impératif de rassembler nos forces et de faire front commun pour exiger la paix, la justice et la dignité pour tous les peuples. À Essaouira, ce ne sera pas simplement un forum : ce sera l’expression de la puissance politique et morale de la solidarité internationale des femmes et des militants de la société civile. En résonance avec l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, notre appel veut peser sur la scène mondiale et rappeler aux dirigeants que le monde ne peut plus ignorer l’urgence de la paix
Quelles personnalités sont attendues lors de ces deux jours de rencontre ?
Nous accueillerons des femmes et des militants venus du monde entier : activistes du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Europe… toutes engagées dans la défense des droits humains, des libertés et de la paix. Leur présence incarne l’universalité de nos combats, une universalité conditionnée par la reconnaissance de la singularité de nos histoires, de nos souffrances et de nos mémoires. C’est cette reconnaissance de la légitimité de chacun et chacune à vivre dans la paix, la justice, la dignité et l’indépendance qui est le socle de notre engagement commun.
Vous avez réalisé, aux côtés de Sonia Terrab, un documentaire « Résister pour la Paix », tourné en 2024 en Israël et en Cisjordanie, dans lequel vous montrez des femmes et des hommes qui, malgré la violence persistante et quotidienne, choisissent de se tendre la main. Quelle rencontre vous a le plus marquée durant ce tournage ?
Toutes ces rencontres nous ont bouleversées, chacune pour des raisons différentes. La parole commune des familles endeuillées, notamment cette scène puissante entre Yonatan Zeigen, dont la mère a été assassinée par le Hamas au kibboutz Beeri le 7 octobre, et Ahmed Helou, ancien membre du Hamas, qui a perdu de nombreux membres de sa famille à Gaza, notamment dans les bombardements de l’hôpital Al-Shifa par l’armée israélienne. Dans une réalité marquée par les traumatismes, la haine et les drames, l’humanité profonde, la résilience, la lucidité et la force de ces militants sont un phare. Ils nous donnent une claque d’humanité mais aussi d’humilité, et nous rappellent que même au cœur de l’horreur, la capacité de tendre la main et de reconstruire est possible. Le courage et la dignité de ces militants palestiniens et israéliens nous obligent et nous rappellent à notre responsabilité, quand nous croyons pouvoir nous exprimer en leur nom.
Quelle réalité vous a le plus choquée ?
La réalité des Israéliens et des Palestiniens est marquée par une asymétrie brutale et incontestable. D’un côté, un peuple vit sous occupation depuis des décennies, privé de souveraineté, de liberté de mouvement, soumis aux annexions, aux violences et aux humiliations quotidiennes en Cisjordanie, et aujourd’hui plongé à Gaza dans l’horreur des massacres, de la famine organisée et de la destruction systématique. De l’autre, un peuple vit dans la peur et l’angoisse d’une menace existentielle permanente, au cœur d’une société fracturée, profondément traumatisée par les massacres du 7 octobre, où des familles attendent dans une douleur insoutenable le retour de leurs enfants otages, tandis que la cohésion nationale s’effondre. Cette asymétrie des rapports de force et des injustices ne doit pas masquer une vérité fondamentale : au milieu du sang, des larmes et des ruines, demeure une humanité partagée. Celle de deux peuples qui aspirent à la même dignité, à la même justice, au même droit à la sécurité et à l’indépendance. Celle de mères, israéliennes et palestiniennes, qui, au-delà des frontières et des murs, connaissent la même douleur indicible lorsqu’elles perdent un enfant. C’est cette condition universelle irréductible, qu’aucune armée ni aucune idéologie ne pourra effacer. Et c’est en son nom que nous devons nous lever, pour briser la logique de mort et ouvrir un horizon de paix. C’est ce désir de vie partagée que nous souhaitons porter aujourd’hui, défendre, amplifier et relayer. À rebours des essentialisations et des déshumanisations qui ont envahi nos narratifs et nos regards. Cette humanité radicale qui résiste à la haine, ce souffle de vie.
Un an après le tournage, les manifestations réclamant la fin du conflit s’enchaînent. Mais rien ne se passe. Quel est votre regard sur cette situation ?
La mobilisation doit continuer, malgré ce sentiment terrible et déchirant d’impuissance qui nous accable. Nous ne devons jamais baisser les bras. Nous n’avons pas le choix, nous n’avons pas le droit. Au nom de toutes celles et ceux qui, là-bas, continuent de se battre, d’espérer et de construire, nous ne pouvons pas les abandonner. Il faut aussi que les mobilisations citoyennes trouvent un écho auprès des dirigeants politiques et de la communauté internationale, qui doit aujourd’hui se réveiller et prendre ses responsabilités pour mettre fin à l’horreur. Le temps n’est plus aux discours : l’action est plus impérative et plus urgente que jamais. Mais cette mobilisation ne saurait s’arrêter aux frontières du Proche-Orient : elle nous engage aussi, ici, à rester debout, vigilants et plus unis que jamais dans nos propres sociétés déchirées par les fractures et les polarisations. Nous devons refuser les assignations identitaires, refuser la haine, refuser que le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie se propagent comme des poisons dans nos communautés. Car céder à ces logiques de division, ce serait donner raison à la violence que nous combattons et non seulement cela n’aide pas les populations là-bas mais cela les condamne davantage… Notre responsabilité est de bâtir, ensemble, un front de dignité et de solidarité, capable de tenir tête à la haine, partout et sous toutes ses formes.
Vous parlez beaucoup du rôle central des femmes dans les processus de paix. En quoi leur approche, leur parole ou leur engagement changent-ils la manière d’imaginer des solutions dans des contextes aussi polarisés que le conflit israélo-palestinien ?
Les femmes, longtemps reléguées aux marges des décisions, apportent une vision radicalement différente : elles protègent la vie, tissent le lien social et portent la responsabilité du monde. Leur approche transforme la manière même d’imaginer la paix. C’est une vision éminemment pragmatique et ancrée dans le réel, dans la réalité quotidienne. Elles privilégient l’action aux discours, choisissent la réparation plutôt que la destruction. Nous nous appuyons et revendiquons la résolution 13-25 de l’ONU qui prouve que lorsque les femmes sont impliquées dans les processus de négociations, non seulement les solutions adviennent plus rapidement, mais aussi que la Paix est plus stable et durable lorsqu’elle est construite avec les femmes. Dire que la paix viendra des femmes, c’est affirmer avec force que notre place n’est pas de pleurer nos morts, mais de peser activement sur l’avenir politique. Nous refusons que notre avenir soit décidé et sacrifié par des autocrates virilistes ivres de pouvoir. Nous sommes les actrices de l’histoire, et notre engagement est une force puissante, concrète et urgente pour réparer le monde.

