Les documentaires signés par Simone Bitton mêlent presque toujours archives et récits personnels. C’est cette approche qui est privilégiée dans “Les 1001 jours du Hajj Edmond”. Cet hommage posthume à l’écrivain marocain Edmond Amran Elmaleh adopte un ton intime et nous invite à (re)découvrir un homme de principes et de conviction, droit dans ses “babouches” jusqu’à son dernier souffle. “Il aurait été scandalisé par la situation actuelle en Palestine, et tout ce qui se passe à Gaza”, insiste Simone Bitton lors de la projection du documentaire, en avant-première mondiale au Festival international du film de Marrakech.
La réalisatrice franco-marocaine nous invite à plonger dans l’âme d’un érudit, “un patriote, un homme de conviction, épris de justice et de dialogue”, comme elle nous le confie. Le film célèbre la mémoire de cette figure essentielle de la culture marocaine, qui n’a pas été reconnu à sa juste valeur, mais dont les combats pour la diversité culturelle, la justice et le dialogue sont plus que jamais d’actualité. “Dans ce film, où je parle à la première personne, je dis que j’ai découvert Edmond lorsque j’étais étudiante à Paris, par son premier livre, “Parcours immobile”. La couverture de livre comportait un dessin qui ressemble beaucoup au goudron sur les poteries amazighes. L’illustration, le nom juif très répandu au Maroc, ont attiré mon regard et j’ai acheté l’ouvrage. J’ai eu ensuite l’occasion de le rencontrer personnellement grâce à Leïla Shahid qui m’a amenée chez lui pour me le présenter… Depuis, nous ne nous sommes jamais vraiment quittés, étant tous les deux marocains, attachés à la cause palestinienne, tout en ayant des attaches juives très fortes, que non seulement nous ne renions pas, mais que nous assumons. Nous disons les vrais Juifs, ce sont nous et non pas ceux qui tuent soi-disant en notre nom. Nous sommes les gens du livre, de la sagesse, de l’écriture, de la justice, pas de la guerre et du commerce des armes”, insiste-t-elle.
Hajj Edmond raconté par les siens
Le documentaire fait appel à 17 protagonistes qui ont connu et côtoyé “Hajj Edmond”, surnom qui lui a été donné par ses proches. “Edmond était très sociable. Il se créait facilement des amitiés fortes et sincères partout. Bien qu’il soit parti il y a plus de dix ans, beaucoup de ses amis sont encore de ce monde, et voulaient participer au documentaire, parce que tout le monde aimait Edmond et avait des choses à raconter. Mon regret est d’en avoir filmé beaucoup sans pouvoir les intégrer dans le documentaire…”, explique la réalisatrice. Né à Safi en 1917, et mort à Rabat en 2010, à un âge bien avancé, Edmond Amran Elmaleh a vécu mille et une vies. Militant communiste engagé dans la lutte pour l’indépendance du Maroc, témoin d’un siècle marqué par l’exil des Juifs marocains et l’exode des Palestiniens, professeur de philosophie au Maroc puis à Paris, Edmond Amran Elmaleh a incarné une mémoire vibrante, tissée de récits et empreints de sa propre histoire.
Connue pour ses œuvres marquantes comme Le Mur (2004) ou Rachel (2009), Simone Bitton continue de poser un regard lucide et sensible sur les questions identitaires et mémorielles. Le documentaire dédié à Edmond Amran Elmaleh, interroge avec une finesse non dénuée d’émotion, les liens entre mémoire et transmission. Il s’inscrit en droite ligne de cette exigence artistique que la cinéaste, forte d’une identité riche et complexe, a faite sienne.