Zouhair Lahna Dans l’enfer des hôpitaux de Gaza

À 48 ans, Zouhair Lahna, médecin marocain spécialisé en gynécologie obstétrique et résidant en France, a parcouru une partie du globe pour porter secours aux victimes de la guerre.

FDM : Jusqu’où vous a mené votre sens de l’engagement ?

Zouhair Lahna : J’ai toujours souhaité travailler dans “l’humanitaire”, aussi longtemps que je m’en souvienne. J’ai débuté en 1998, avec Aide Médicale Internationale, Gynécologie Sans Frontières, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières ou encore l’Ordre de Malte. Puis, en 2003, j’ai créé Médecins du Maroc, dont je suis le seul membre (rires). 

Dans le cadre de mon engagement, je me suis rendu aux Comores, en Inde, en Afghanistan ou en Éthiopie avec Médecins du Monde. Par ailleurs, je suis membre du  PalMed  Europe (rassemblement des médecins palestiniens d’Europe). Je suis également allé au Congo, en République centrafricaine et au Rwanda, en 2010.

J’ai accompagné aussi le printemps arabe, en Tunisie, en Lybie, au Yemen, en Égypte et en Jordanie avec les réfugiés syriens, puis au Liban, avec les réfugiés palestiniens de Syrie en mars 2014.

Pourquoi êtes-vous prêt à prendre de tels risques ? Qu’est-ce qui vous motive ?

Tout simplement parce que j’ai fait le serment de sauver des vies, quel que soit le lieu ou l’endroit.  

L’humanitaire est un concept qui vient de l’humanisme, expression qui me correspond davantage, car le mot “humanitaire” place l’humain au centre du monde, à la place de Dieu, et ceci me dérange… Notre religion est faite pour l’élévation de l’humain, pas pour le servir. 

Cet été, durant le mois de Ramadan, votre engagement vous a mené jusqu’à Gaza, en Palestine. Était-ce votre première fois ?

Non, je me suis rendu pour la première fois en Palestine en 2002, puis en 2005 et 2006. C’est en 2009 que j’ai découvert Gaza pour la première fois alors que la guerre faisait des ravages. Je projetais donc depuis pas mal de temps d’y retourner, mais je n’ai pu obtenir de laissez-passer que le 13 juillet dernier.

Qu’avez-vous découvert en arrivant là-bas ?

Je suis arrivé dans un chaos strident. Les bombardements étaient très violents et le bruit des sirènes omniprésent. J’ai passé ma première nuit à l’Hôpital Européen à Rafah. Le premier blessé est arrivé : un homme coupé en deux. Puis, j’ai assisté, impuissant, à mes premiers décès, une jeune femme et un jeune homme blessés, morts sous mes yeux. J’ai opéré mon premier enfant ce soir-là. Il avait des projectiles dans le ventre. J’ai pu le sauver in extremis.

Comment, à ce moment-là, arrivez-vous à accepter l’insupportable ?

Quand l’horreur est à son paroxysme, c’est très dur de se remémorer le visage de ces enfants qu’on n’a pas pu sauver. Très vite, je me suis rendu compte qu’un tournant dans l’Histoire était en train de se jouer. Désormais, il y aura un avant et un après, comme en 2009. C’est le combat de David contre Goliath mais quel que soit le point de vue qu’on peut avoir, le fait qu’un peuple soit éliminé de la sorte est inacceptable. Si les Palestiniens font preuve de beaucoup de courage et acceptent leur destin, je ne peux m’empêcher de me demander où sont les aides humanitaires. Qu’en est-il du droit d’ingérence? des principes d’altruisme ?  

Qu’est-ce qui caractérise les femmes de Gaza ?

Les Gazaouies sont tout simplement extraordinaires. Celles qui travaillaient avec moi, à l’hôpital, sortaient de chez elles à 5 heures du matin pour passer la journée à soigner leurs compatriotes, en prenant le risque de ne plus revoir les leurs. J’ai rarement vu des femmes aussi courageuses. J’en ai rencontré une, notamment, âgée de 30 ans, qui avait 9 enfants, dont quatre orphelins ayant vu mourir leur famille lors des bombardements. Quand elles perdent le fruit de leurs entrailles, elles font preuve d’une fatalité incroyable. “Si je perds ma maison mais que je garde mes enfants, c’est bien”, me disait l’une d’entre elles, tandis qu’une autre rétorquait : “Si je perds deux enfants et qu’il m’en reste deux, c’est bien aussi”… Leur dignité est vraiment déconcertante. Les gens, là-bas, se préparent à la mort, vivent avec elle tous les jours et ont une foi en Dieu inébranlable.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

J’aimerais travailler au Maroc et améliorer l’accueil et l’accouchement des femmes dans les hôpitaux publics. Elles ont le droit à la vie et à la dignité. L’état de ces établissements est vraiment catastrophique. Il y a énormément de nouveau-nés qui souffrent de handicap fœtal et cela m’attriste au plus haut point. Cela va vous paraître bizarre, mais je pense que les hôpitaux de Gaza fonctionnent beaucoup mieux que ceux du Maroc, que ce soit au niveau de l’accueil, de la prise en charge ou du suivi. Il faut mettre en place des lois, des sanctions pour faire avancer le pays en réglant la problématique de la santé publique, et notamment celle d’un personnel médical dépassé par le flux des patients. C’est ainsi que naissent les injustices sociales. 

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