Umoja signifie “unité”, en swahili… Un terme plus qu’approprié pour décrire ce village fondé en 1991 par une femme hors du commun : Rebecca Lolosoli. C’est une femme de tête, l’une de celles qui n’ont pas peur d’affronter des traditions et des coutumes pesantes, voire dangereuses pour les femmes. Une de celles que les hommes redoutent, que l’on veut faire taire à tout prix, quitte à lui imposer le silence à jamais.
Umoja, le rêve d’une femme devenu réalité
L’histoire d’Umoja est intimement liée à celle de Rebecca, car c’est avec elle que tout commence. Dans la région Samburu, où elle vit, les femmes sont victimes d’un phénomène inquiétant : le viol. Leurs agresseurs ? Des soldats britanniques qui s’entraînent dans un camp militaire situé à proximité. Depuis 1970, elles seraient en effet plus de 1.600 femmes à avoir été violées. Mais leur calvaire ne s’arrête pas là, car après avoir été abusées, elles subissent la vengeance de leur mari, qui n’accepte pas pareil déshonneur. Et pour laver l’affront qui leur est fait, ils passent à tabac leurs épouses avant de les répudier… Rebecca Lolosoli refuse de rester spectatrice de ces injustices. Bien qu’elle soit mariée depuis l’âge de 18 ans à un époux qu’elle qualifie d’“assez gentil”, elle se met les hommes du village à dos en osant se lancer dans le commerce, chose interdite aux femmes. Battue à plusieurs reprises par ses congénères, son mari n’intervenant pas pour prendre sa défense, elle comprend que sa vie est en danger et décide de partir. Dans son sillage, elle parvient à convaincre quelques femmes de monter leur propre commerce, afin de devenir autonomes, et passe ensuite à la vitesse supérieure en leur proposant de fonder ensemble Umoja, une communauté qui leur serait exclusivement réservée… Plus que ça encore, un endroit où les femmes seraient en sécurité, où les veuves et les orphelins délaissés par leurs pairs trouveraient refuge, où toutes celles qui auraient été victimes de violence pourraient se réfugier avec leurs enfants, où l’excision et les mutilations génitales seraient bannies, et où le mariage forcé serait interdit. En 1991, Umoja est né… Une cinquantaine de femmes y vivent en compagnie de leurs enfants, 150 au total. Privées de terre, de droits, sans protection de la loi, vulnérables… elles vivent désormais sous la coupe de leur matriarche bienfaitrice qui se fait un devoir quotidien de changer les mentalités à l’égard des femmes.
Quand le village des hommes contre attaque…
Non loin de là, le village des hommes ne décolère pas. Depuis le départ de leurs femmes, ceux-ci sont obligés de garder seuls les troupeaux et de gérer sans elles leur existence. Un comble pour ceux que Rebecca Lolosoli décrit sans tendresse : “Dans la communauté Samburu, c’est toujours la femme qui travaille beaucoup. Elle se réveille tôt, vers trois heures du matin, elle travaille toute la journée et se couche très tard. L’homme, lui, dort quand il veut et autant qu’il veut. A son réveil, il réclame son petit déjeuner, sort éventuellement le bétail de l’enclos et va dormir sous un arbre. Le reste du temps, il joue avec ses amis, exige qu’on lui apporte la nourriture là où il se trouve. Après, il dort, et de nouveau il demande de la nourriture. La femme fait tout, mais rien ne lui appartient. Parfois, elle n’a même pas le droit de manger.” Alors pour punir celles qui ont osé se rebeller, les hommes attaquent régulièrement Umoja et en 2005, l’une des femmes de la communauté de Rebecca y laissera sa vie. Mais si les hommes sont jaloux, ce n’est pas seulement d’avoir été délaissés par celles qu’ils ont de toute manière répudiés, c’est surtout en raison du succès économique que connaît Umoja. Parties de rien, elles ont réussi un tour de force en créant dans leur village un centre culturel, une boutique artisanale via laquelle elles vendent les bijoux qu’elles confectionnent, et même un camping pour les touristes de passage.
Un petit pas pour Umoja
Si le gouvernement kenyan ne semble pas se préoccuper outre mesure du sort de ces femmes, celles-ci peuvent compter sur l’acharnement de Rebecca la matriarche, invitée de par le monde. En parfaite ambassadrice, et bien que celle-ci se dise illettrée, la Kenyane est parvenue à rallier l’opinion internationale à sa cause et à obtenir des aides qui ont permis de construire des écoles dans son village. “Il existe beaucoup de programmes et de séminaires destinés aux femmes, mais il en faut absolument pour les hommes, explique la matriarche. Ce sont eux le principal obstacle au changement des mentalités. Chez nous, une femme n’a pas le droit de contester les dires d’un homme, même s’il est dans son tort. Cela doit changer. Avant, nous ne connaissions pas nos droits, car nous n’avions aucune éducation. C’est pourquoi nous faisons de l’école une priorité pour nos enfants. Nous apprenons aussi aux femmes à se respecter, à respecter leur corps, notamment pour se protéger du sida. Elles doivent comprendre qu’elles sont en droit de refuser un rapport sans devoir craindre d’être battues ou violées. Elles doivent pouvoir posséder une terre afin de se nourrir et nourrir leurs enfants.” Pour saluer son courage, sa bravoure et son leadership, Rebecca Lolosoli a reçu en 2010, le Global Leadership Award, que lui remet Hillary Clinton. En 2011, elle est nommée par le Newsweek magazine parmi les 150 femmes qui font bouger le monde…
Pas de justice pour les victimes…
Le chemin vers la voie de la reconnaissance de leurs droits et des violences subies est pourtant encore long. En 2003, de nombreuses femmes ont manifesté devant le haut-commissariat britannique de Nairobi pour demander des dédommagements. Pour se faire entendre, celles-ci brandissaient à bout de bras les bébés métis issus de viols dont elles ont été victimes. Suite à une enquête menée par la police militaire royale, dans le cadre de laquelle 2.187 Kenyanes appartenant aux ethnies Masaï et Samburu ont été interrogées, l’armée britannique a été mise hors de cause le 14 décembre 2006. Selon les résultats, les enfants présentés comme preuves de viols auraient été conçus dans le cadre de relations consenties ou de viols perpétrés par des hommes extérieurs à l’armée britannique. Les preuves fournies ne seraient pas suffisantes ou auraient même été fabriquées par la police kenyane, d’après un porte-parole du ministère de la Défense britannique. Pendant ce temps-là, les révoltées d’Umoja continuent de subir les assauts de leurs ex-époux et vivent dans la peur d’être tuées en toute impunité et dans l’indifférence générale. Au même moment, 4.000 soldats débarquent chaque année au Kenya pour s’entraîner dans les installations dont dispose l’armée britannique.