Au début, je ne savais pas ce qui clochait chez moi. Les médecins me disaient que mes problèmes de santé étaient dus à la malnutrition. Jusqu’au jour où j’ai perdu connaissance. Ma sœur m’a emmenée au C.H.U. Ibn Rochd dans un état lamentable. Je pesais 32 kilos à l’époque. On m’a tout de suite admise aux urgences pour effectuer les bilans nécessaires. J’ai alors découvert que j’avais le sida. Mon époux, qui m’a transmis le virus, ne voulait pas me le dire. Il refusait de suivre un traitement car il n’assumait pas sa maladie. Il me disait qu’on brûlait les gens séropositifs. Mais j’ai remué ciel et terre pour qu’il se soigne, surtout pour nos enfants qui sont, eux , en bonne santé. Aujourd’hui, nous nous portons mieux, même si nous ne l’avons dit à personne.”
Le teint un tantinet blafard, Mbarka, 27 ans, pénètre dans l’enceinte du centre hospitalier universitaire Ibn Rochd à Casablanca, au service des maladies infectieuses. Depuis qu’elle a découvert qu’elle était porteuse du virus, il y a trois ans, elle fait le déplacement depuis Berrechid une fois par semaine, pour récupérer son traitement ainsi que celui de son époux. Car bien soignés, les patients atteints du sida peuvent vivre quasi normalement, se marier et même procréer. D’ailleurs, les professionnels de la santé insistent sur la nécessité du dépistage afin que les personnes séropositives puissent suivre une trithérapie leur permettant de faire face à la maladie. “Nous recevons chaque jour une dizaine de patients séropositifs.
Certains se font suivre chez nous depuis longtemps et viennent régulièrement pour faire les bilans habituels et récupérer leurs traitements ; alors que d’autres se présentent pour la première fois. Ces derniers arrivent généralement dans un état lamentable, car le virus a pris le temps de se propager et n’a pas été neutralisé assez tôt. Ils sont donc admis en urgence dans notre hôpital de jour où on leur fait un bilan de santé général afin d’identifier toutes les infections opportunistes associées au virus, et les préparer à recevoir un traitement antiviral. Ceux dont le cas est vraiment grave sont hospitalisés plusieurs mois, le temps de se remettre sur pied”, nous explique le docteur Latifa Marih, spécialiste en matière de maladies infectieuses au sein du C.H.U. Ibn Rochd.
Une prise en charge tous azimuts
Le service des maladies infectieuses de cet hôpital dispose de deux départements: un hôpital de jour, qui permet la prise en charge des patients asymptomatiques, qui sont bien portants mais qui doivent faire un bilan général et détaillé afin de savoir s’ils souffrent d’autres anomalies et les préparer à commencer le traitement ; et un hôpital permanent, qui admet les patients manifestant des symptômes comme des fièvres prolongées ou des diarrhées chroniques, et qui ont besoin d’une hospitalisation urgente et d’un traitement par voie intraveineuse. “Outre les bilans réguliers et l’hospitalisation, si nécessaire, nous avons mis en place un mode de prise en charge psychologique, car la plupart des nouveaux malades sont en état de choc et ont besoin de se faire suivre afin d’être préparés pour faire face au virus et s’habituer à prendre le traitement.
Un médiateur thérapeutique répond à leurs interrogations et leur explique également certains aspects de la maladie, comme son évolution, l’intérêt du traitement et le suivi”, ajoute le docteur Marih. Le sida est une affection qui affaiblit le système immunitaire et peut par conséquent favoriser le terrain pour les maladies opportunistes. C’est pourquoi l’hôpital a mis en place un centre de consultation spécialisée où des ophtalmologues, dermatologues et gynécologues viennent une fois par semaine ausculter les sidéens concernés.
La trithérapie pour tous !
Au Maroc, la prise en charge médicamenteuse est totalement gratuite et financée par l’état, les O.N.G. spécialisées et l’Association de Lutte Contre le Sida. “Une partie de la trithérapie est prise en charge par le ministère de la Santé, alors que l’autre est financée par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais l’ALCS joue aussi un rôle très important, car elle a sa propre réserve de traitements et achète les médicaments qui servent à soigner les maladies opportunistes liées au V.I.H. Dans le cas où un patient réagit mal à un ou plusieurs des composantes du traitement, on lui prescrit d’autres soins, totalement pris en charge par l’ALCS.
L’association couvre également certains frais médicaux engagés par les bilans, les scanners, les analyses, les radios et les I.R.M.”, explique notre spécialiste. Le C.H.U. dispose ainsi d’une pharmacie gratuite où les patients viennent récupérer les médicaments dont ils ont besoin. Sur place, ils ont la possibilité de s’entretenir avec le médiateur thérapeutique en cas de complications dues aux traitements administrés.
Les femmes, premières victimes…
Alors que les spécialistes du V.I.H. commencent à envisager la fin de l’épidémie, le nombre de contaminations ne cesse d’augmenter. Plus de 9.378 nouveaux patients ont été enregistrés en 2014, dont 50% de femmes. D’ailleurs, 70 % d’entre elles ont été infectées par leur conjoint. “L’anatomie féminine favorise la transmission du virus sur le plan biologique. L’organe génital de la femme est plus sensible que celui de l’homme et peut très rapidement contracter le V.I.H. La muqueuse génitale féminine est d’ailleurs rapidement irritée, fragilisée. En plus, certaines professionnelles du sexe ne disent pas à leurs clients qu’elles sont porteuses du virus de peur que ces derniers ne fassent plus appel à leurs services. Elles ont donc des rapports non protégés et transmettent ainsi plus facilement la maladie”, précise le docteur Marih.
En outre, les médecins déplorent l’indifférence des patients. À fin 2013, seulement 24 % des personnes séropositives prenaient un traitement. Et dans la majeure partie des cas, le diagnostic se fait à un stade très tardif. “Au sein de notre service, la plupart des patients arrivent alors qu’ils sont à un stade très avancé de la maladie, avec un système immunitaire au plus bas. Les Marocains ne réalisent pas la gravité de cette affection, ils ne font pas le test et ne se protègent pas avant chaque rapport sexuel”, précise Latifa Marih. La sensibilisation est donc de mise. Et c’est entre autres le rôle que joue l’ALCS, qui organise chaque deux ans une campagne nationale qui se décline sous forme d’ateliers dans les écoles, d’affiches, d’émissions télévisées thématiques et d’une soirée de collecte de fonds. Organisée le 19 décembre dernier, celle-ci a permis d’atteindre 10.219.871 DH de promesses de dons
Quand la prostitution fait des ravages “J’ai commencé à me prostituer dès l’âge de 16 ans, afin d’aider ma famille. À 20 ans, je suis tombée amoureuse d’un homme et nous avons décidé de nous installer en concubinage. Mais je continuais mon activité, car lui-même voyait d’autres femmes et nous étions d’accord sur le principe. Je suis tombée enceinte et j’ai accouché d’un petit garçon. Un jour, alors que je consultais pour des soucis de santé bénins, le médecin m’a annoncé que j’avais le V.I.H. Je ne l’ai toujours pas dit à mon concubin, mais j’ai décidé de me prendre en main et de suivre mon traitement en catimini. J’ai peur de lui dire la vérité de peur qu’il m’abandonne.” Latifa, 26 ans “Je suis actuellement sans travail fixe, et mon époux est un vendeur ambulant à très faible revenu. En manque de ressources, j’ai été obligée de trouver un moyen de gagner ma vie. Mon mari m’a donc suggéré d’aller me prostituer, tant que cela nous permettait d’avoir de quoi arrondir nos fins de mois. Tout allait bien jusqu’au jour où j’ai accouché de notre premier enfant. Mon fils de deux mois est tombé très rapidement malade. Nous l’avons donc emmené à l’hôpital où il a été admis en urgence. Les médecins nous ont demandé à mon mari et moi de faire un test de sérologie. Le résultat était positif et nous étions sous le choc. Nous avons donc commencé notre trithérapie et depuis, on se sent beaucoup mieux tous les trois.” Najat, 34 ans |