FDM Quel sera finalement le sort de la fontaine de la place Mohammed V ? Va-t-on la démolir ou simplement la déplacer ?
Rachid Andaloussi : Tout d’abord, je souhaite préciser que je n’ai pas de pouvoir décisionnel. Le dernier mot revient à la ville de Casablanca. Pour ce qui est de ma proposition, elle vise d’abord à libérer l’espace public. Vous le savez très bien, ce dernier a de tout temps été occupé d’une manière anarchique à Casablanca. Bien sûr, je pense qu’il faut préserver la mémoire de la ville. Je l’ai toujours dit.
Comment pouvez-vous prétendre préserver la mémoire de la ville alors que vous projetez de retirer la fontaine ?
Ecoutez, il ne faut pas sacraliser le patrimoine, car il peut être travaillé, amélioré… La ville a besoin d’être belle. Il y a certes l’histoire de l’urbanisme à Casablanca qu’il faudrait préserver, mais il y a aussi les intérêts que nous partageons, nous, les Casablancais. Quand je me suis penché sur la faisabilité de cette place, j’ai commencé par effectuer des recherches historiques. Et là, j’ai découvert que l’espace Mohammed V était initialement vide. C’était une place au vrai sens du terme, plate, vide. J’ai en effet découvert un croquis de la main de l’architecte Basciano, auteur de la réalisation de la fontaine. Ce dessein date de 1965 et montre que la fontaine devait initialement être là où on propose de la déplacer aujourd’hui, c’est-à-dire juste en face de la Wilaya de Casablanca et du palais de justice. Je me suis dit qu’à l’époque, il devait y avoir une forte contrainte par rapport à l’urbanisme qui privilégiait d’abord l’approche sécuritaire. J’ai alors fait mon enquête et j’ai posé la question au fils du gouverneur de l’époque, Abdeslam Sefrioui. Il m’a confirmé que son père avait bien ordonné que la fontaine soit déplacée de l’autre côté. J’en ai déduit qu’au moment où on démolissait le Cinéma Vox, les hôtels d’Anfa, les arènes de Casablanca, le théâtre… on a aussi voulu démolir la place Mohamed V. Pour ce faire, le meilleur des moyens est de l’occuper, et c’est ce qui s’est effectivement passé.
Est-ce pour réhabiliter la place telle qu’elle a été imaginée que vous avez fait cette proposition ?
Je suis urbaniste et je travaille aussi sur la mémoire. Je propose donc de préserver le tracé actuel en réalisant une fontaine sèche, comme il en existe partout dans le monde. On fait jaillir l’eau quand on veut et quand il n’y en a pas, on peut alors marcher dessus. L’idée est de pouvoir utiliser cette place et de l’occuper avec du monde ; d’autant plus qu’elle est juste en face du théâtre dont la porte s’ouvre et se transforme en scène. Casablanca avait une fontaine, elle en aura deux ! Mais encore une fois, ce n’est qu’une proposition et la décision finale ne me revient pas. Mon travail est d’embellir et d’essayer de faire de ces lieux morts un lieu de vie. Ma suggestion ne concerne pas uniquement la fontaine, mais aussi tous les alentours, composés d’administrations publiques. Il est question de transformer ces lieux, de casser ces murs pour les remplacer par des espaces de rencontre, des cafés littéraires, des cybers… tout ce qui a un lien avec la culture. A l’époque du théâtre municipal de Casablanca, il y avait le café “La comédie” à côté. Ils allaient de pair. Ce café était comme une antichambre. Et là, si un théâtre n’impacte pas son environnement en le mettant en valeur, il ne sert à rien. C’est de là qu’est venue l’idée de faire cette proposition.
Vous estimez donc que vous ne touchez pas à la mémoire de Casablanca…
La mémoire est pour moi sauvée. Maintenant, tout le monde dit qu’il ne faut pas toucher à cette fontaine et qu’il faut la sacraliser. Et bien sacralisons-la et laissons-la là où elle est ! C’est tout ! Moi, aujourd’hui, je voudrais poser une autre question : qui a la légitimité de dire ce qui est un patrimoine et ce qui ne l’est pas ? A Casamémoire, nous avons une petite expérience dans cette ville, malgré tout ce qu’on peut dire. Parce qu’on en veut à ma personne et à l’association aussi. La presse s’acharne sur moi. “Qui protège Rachid Andaloussi, l’architecte chanceux qui gagne tous les marchés à Casablanca ?”, c’est ce que je viens de lire sur un site d’information. Je leur réponds qu’à Casablanca, j’ai gagné un seul et unique marché, qui est celui du théâtre, suite d’ailleurs à un concours présidé par un jury international. Je réponds à mes détracteurs que c’est grâce à ma compétence, à mon travail et à ma passion pour l’architecture que j’ai gagné ce concours.
Et que répondez-vous aux 5.000 signataires de la pétition pour la préservation de la fontaine ?
C’est l’expression de la rue. C’est bien ! Que ces personnes nous disent ce qu’elles envisagent. En ce qui me concerne, j’ai déjà fait ma proposition et j’en suis tout à fait convaincu. Je préserve la mémoire, je réhabilite la place et je la valorise. J’y mets des cafés, de l’animation… Si Jamaâ El Fna est connue dans le monde entier, c’est parce qu’elle est vide. S’il y avait une « nafoura » au milieu, elle ne serait jamais devenue ce qu’elle est actuellement. Maintenant, si la place Mohammed V plaît aux Casablancais telle qu’elle est, il n’y a pas de problème. J’ai vu des citoyens prendre des photos avec les vendeurs de maïs et d’escargots, en souvenir. C’est magnifique, écoutons la rue ! Pour ma part, je ne suis pas dans un rapport de force. Je ne suis pas un politicien, je milite pour ma ville et ça, personne ne peut me l’enlever. Je suis là pour faire des propositions et non pas pour ramasser des signatures. A la ville de prendre ou de laisser ! A la rue de prendre ou de laisser !