Le manager est celui qui décide. C’est à la fois un pouvoir et une responsabilité. Il peut prendre de nombreux avis, mais à la fin, en dernier ressort, c’est à lui de franchir le pas. Or ce n’est pas chose facile. La solitude du manager est lourde, parfois terrible. Les interrogations se bousculent. Elles sont nombreuses. Exemple : quelle est ma légitimité pour prendre la décision ? En effet, et contrairement aux apparences, beaucoup de boss doutent d’eux-mêmes. S’ils ne sont pas meilleurs que leurs subalternes en tout, ils ont l’impression de ne pas être légitimes. Il faudrait qu’ils soient, à eux seuls, la somme des connaissances et des expériences de tous leurs collaborateurs. A moins d’être entouré de bras cassés, c’est mission impossible ! Le sentiment de ne pas être à la hauteur, qu’on soit à la tête d’une équipe constituée de deux personnes ou de centaines de collaborateurs, est un frein important à la prise de décision. Ce sentiment engendre un doute souvent dissimulé par un surinvestissement, une suraffirmation de soi. Des doutes que le boss doit gérer seul. Car le pouvoir, fatalement, isole. Entrer dans la sphère des décideurs, c’est aussi entrer dans l’arène du doute. Que pensent-ils de moi ? Me suivront-ils dans cette démarche ? Qui assurera jusqu’au bout ? Qui me lâchera en cours de route ? Qui m’apprécie ? Les managers et les boss sont des humains. Comme tous les humains, ils aimeraient bien être appréciés et aimés de tous…
Mon beau miroir, dis-moi si je suis la (le) plus compétent (e)…
Les Américains, champions toute catégorie en matière de développement personnel, ont mis au point des moyens pour savoir ce que pensent les autres de soi en milieu professionnel. Le plus en vogue, depuis des années, est le fameux “360° feed Back”. Principe : les pairs, les supérieurs et les subordonnés du cadre soumis au 360° remplissent anonymement des questionnaires exhaustifs comptant environ 200 questions. Un certain nombre de dimensions, qui couvrent un large spectre allant de la qualité de la communication à la prise de décision en passant par le leadership, sont appréciées. Après compilation et synthèse, le résultat est transmis uniquement à la personne qui en fait la demande. Le plus intéressant dans l’affaire est que le premier à remplir le questionnaire est l’intéressé lui-même. Et pas question de se mentir, ni de se limiter à un laconique et lapidaire : oui ou non : il faut se placer sur une échelle d’évaluation de 1 à 5. Tout est passé au crible : esprit d’équipe, gestion de la délégation, gestion du stress, aptitude à communiquer, etc.
Répondre au questionnaire 360° fait émerger des questions que l’on passe sous silence, habituellement, que l’on évite de se poser. On se trouve dans l’obligation de s’exprimer sur des sujets avec lesquels on n’est pas à l’aise. D’ou des crispations, des réactions de rejet ou encore des réactions de défense. Toutes ces réactions résultent de l’anxiété distillée par ce genre d’exercice. Il est assez perturbateur et inquiétant d’être jugé sur des comportements et d’être appelé à les changer !
Le volumineux rapport récolté après l’exercice qui scrute sur 360° tous les aspects de votre relation à autrui au boulot, peut réserver bien des surprises : on croyait être un as de la communication, la majorité des répondants attestent de la difficulté à cerner les messages que l’on émet ! Tel manager se croyait d’un calme olympien en période de stress, tous les collaborateurs attestent de la panique qu’il distille par tous les pores du corps en période de gros rush ! C’est déstabilisant, pour sûr. Mais cela a le mérite de provoquer un déclic salutaire pour les plus valeureux. Après la prise de conscience, le vrai travail commence. Les plus fragiles, s’abstenir !
Parole de pro
Interrogé sur la pertinence d’un outil qui permet de mesurer et d’évaluer ce que pensent les autres de soi en milieu professionnel, Jacques Salomé, psychosociologue dont le cheval de bataille est justement l’amélioration de la communication dans toutes les sphères du quotidien confie : “Les autres peuvent penser ce qu’ils veulent (on ne peut contrôler l’imaginaire d’autrui), l’important est de savoir se définir, se positionner et de porter cela à la connaissance de ceux avec qui on travaille. J’appelle cela la carte de visite relationnelle qui consiste à émettre clairement, moyennant des messages lisibles à adapter à chaque secteur et à chaque type d’entreprise. La teneur de ces messages peut être traduite ainsi : voici mes ressources professionnelles, sur lesquelles vous pouvez compter. Voici mes limites. Voici mes zones d’intolérance (points sensibles liés à mes valeurs, mes croyances, mes choix de vie). Voici mes ressources personnelles que je peux mettre à disposition à certains moments. A partir de là, on peut construire ensemble des relations saines qui permettent au manager d’échapper à la solitude du décideur et aux collaborateurs de travailler dans la sérénité.”
On peut certes s’interroger sur les modalités de réalisation du 360° : par exemple, comment définir la qualité de la communication ? La communication revêt plusieurs formes en entreprise : orale, écrite, officielle, non officielle, implicite, explicite… Comment cerner tous ces aspects ? Les réticences face à la pertinence de mettre en équation les comportements sont parfaitement recevables. N’empêche, l’évaluation à 360° apporte une plus-value : elle prend acte du fait que le manager est un prestataire de service. Elle l’oblige à tenir compte du regard que posent les autres sur lui et à ne pas rester centré et focalisé sur les résultats. Elle donne aux membres de l’équipe un moyen anonyme et encadré d’exprimer une opinion. Bien conduite, l’évaluation à 360° permet de rééquilibrer la relation des collaborateurs avec leur chef. Le 360° constitue l’ébauche d’un travail d’amélioration des qualités managériales. C’est une bonne base pour permettre au manager de réfléchir sur son mode de fonctionnement et sur le décalage qui existe entre ce qu’il pense faire et ce qu’il fait. Madame Mansouri lbtissam, DRH, abonde dans ce sens : “La méthode 360 degrés présente plusieurs avantages. Elle s’articule d’abord autour de faits et non de jugements de valeur.Recevoir un rapport professionnel à son seul usage est plus gratifiant que rumeur et autres bruits de couloir. Ensuite vos juges sont crédibles : supérieurs, pairs et subalternes. Et ils sont sondés d’une manière pro qui laisse peu de place à l’improvisation, au simple désir de nuire ou de se venger ou encore à celui de plaire au candidat par opportunisme. Le déroulement du processus, du début à la fin, permet d’échapper à la solitude pesante du manager. Le but du jeu étant de progresser.”
Progresser, le mot clé est lâché. Pour progresser, il faut changer. Or, il est très difficile de changer. Et contrairement au slogan, éculé, vouloir c’est pouvoir, le pouvoir n’est pas toujours au rendez-vous. En effet, comment continuer à travailler auprès de ceux et celles qui vous ont démoli ? L’anonymat garanti ne facilite pas toujours les choses. Il faut avancer en aveugle. Il faut tenir compte des critiques des uns et des autres. Ce qui suppose une aptitude non négligeable à l’introspection positive, à l’autocritique. Si on ne sort pas démoli de l’exercice, on est gagnant à plus d’un titre. Mettre sur pied, avec l’aide du cabinet spécialisé qui a réalisé l’enquête, un plan d’action efficace pour rectifier le tir et devenir un meilleur manager, peut ouvrir les portes à une promotion bien méritée. Mais, il ne faut pas se leurrer, l’opération changement requiert des efforts intenses et du temps. Plusieurs mois pour mettre en route et appliquer un plan d’action, cela peut en rebuter plus d’un ! Même si la promotion n’est pas au rendez- vous, une formation – ou plusieurs – articulée(s) autour des points faibles du manager mis en exergue par la méthode, est envisageable.
Alors pour ou contre le 360° ?
Quelle que soit votre réponse, FDM vous souhaite une excellente rentrée !