Preuve de paternité : le casse-tête de l’ADN

Faire appel à la science pour prouver la filiation paternelle et garantir quelques droits pour l’enfant, relève du parcours du combattant, d’autant plus que les cas où c’est légalement permis sont rares.

Tanger, novembre 2014. Une jeune femme donne naissance à une petite fille et dépose plainte pour viol auprès du procureur général de la ville. Quelques mois plus tard, le juge d’instruction ordonne une expertise génétique pour confirmer le lien biologique entre le père et la fille née hors mariage. Le test se révèle positif et le couple est condamné à un mois de prison avec sursis pour débauche, selon les dispositions de l’article 490 du Code pénal.

L’affaire ne s’arrête pas là. La jeune femme, armée des résultats du test ADN, dépose plainte pour la reconnaissance de paternité de sa fille. Le 30 janvier 2017, fait historique, le tribunal de Première instance de Tanger lui donne raison. Le père, estimant qu’il a déjà payé sa dette avec une condamnation à la prison en sursis, nie être redevable de quoi que ce soit à sa fille, mais le tribunal le condamne à verser  une indemnité de 100.000DH à la mère pour le préjudice et la marginalisation causés par cette naissance hors mariage.

Ce jugement, salué à l’international, a été possible car le juge, par souci de protection de la dignité et du futur de l’enfant, s’est référé non pas au Code de la famille, mais à la convention internationale sur les droits de l’enfant que le Maroc a ratifiée. Malheureusement, la décision a été annulée en appel en octobre 2017 et la mère s’est pourvue en cassation. Depuis, on n’a plus eu de nouvelles, mais les Marocains ont découvert grâce à cette affaire que les tests ADN peuvent être une preuve valide de paternité pour peu que le juge soit ouvert d’esprit.

Des tests, dans la légalité ou pas

Le 15 juillet 2014, et sans rapport avec cette affaire, le ministère de la Santé publie dans un communiqué de presse son intention d’interdire la vente libre de tests ADN, y compris sur internet. Le ministère considérait ces tests “peu fiables en raison de la variabilité des normes d’analyse et du manque de cadre juridique”, et susceptibles d’être réalisés avec de “mauvaises intentions”.

Se sentant à juste titre visé, le site Ddc-maroc a interprété, dans un communiqué, ces “mauvaises intentions” par “les personnes voulant se décharger de responsabilités paternelles par un test négatif”. Pour Me Zahia Ammoumou, avocate au barreau de Casablanca et militante féministe, la réglementation de ces tests est salutaire. “Le souci concerne la paix sociale. Imaginez le nombre de fausses paternités que ces tests auraient dévoilé s’ils avaient été rendus plus accessibles. Aujourd’hui, seuls le service d’empreintes génétiques du Laboratoire national de la police scientifique à Casablanca et le laboratoire de la Gendarmerie Royale à Rabat sont agréés par la justice”, affirme-t-elle.

Presque 4 ans après la publication du communiqué du ministère, le site Ddc-Maroc est toujours en ligne, proposant des tests génétiques de paternité et de maternité, y compris ceux prénataux. Une simple recherche sur internet permet de savoir que l’offre de ces tests est trop importante pour qu’on puisse la réglementer, car si le ministère peut contrôler les tests effectués dans les laboratoires marocains, il ne peut rien contre les sites européens qui envoient leurs résultats par la poste sous pli anonyme. À partir de 300 euros, ces laboratoires proposent des kits de prélèvements – cotons tiges ou buvard – à effectuer à domicile, pour des probabilités de paternité d’une exactitude pouvant atteindre 100% s’il s’agit seulement d’exclure et non de prouver un lien de père à fils. Seul hic, au Maroc, ces tests ne sont recevables dans une plainte pour reconnaissance de paternité que s’ils ont été préalablement autorisés par le juge.

Flou juridique

L’article 152 du Code de la famille établit les conditions de la filiation paternelle.  Soit par l’aveu du père, et dans ce cas, la question est réglée. Soit par les rapports conjugaux, lesquels constituent une preuve irréfutable sauf si le père nie tout en bloc et dans ce cas, c’est à lui de fournir la preuve de l’absence de filiation. Et enfin par des rapports sexuels “fautifs”, autrement dit hors mariage, à ce moment-là, la filiation paternelle est établie par les moyens de preuve légalement prévus. Qu’entend-on par “moyens de preuves” ? “Les moyens de preuve traditionnels, comme le témoignage de personnes au courant de la relation entre les parents de l’enfant. À noter que les tests d’ADN ne sont autorisés par le juge que dans le cas de fiançailles, jamais dans le cas d’une relation libre entre deux adultes consentants sans promesse de mariage”, précise Me Zahia Ammoumou. En cas de fiançailles, mais aussi dans le cas d’une grossesse survenue suite à un viol en groupe, afin que l’enfant puisse avoir un patronyme. Les tests ADN ne sont pas explicitement mentionnés dans la loi, mais ils sont admis depuis quelques années pour prouver la paternité de l’enfant. “Une femme peut parfaitement demander au juge l’autorisation d’une expertise génétique. Si le père désigné ne se présente pas au laboratoire pour le prélèvement, son absence fait office de reconnaissance automatique de paternité. Le vrai obstacle c’est que ces tests coûtent cher et il arrive que l’avenir de l’enfant soit gâché parce que sa mère est incapable de trouver 3.000 ou 4.000 DH”, explique l’avocate.

Rien pour la mère

“Chaque jour, 153 enfants sont nés hors mariage. Faites le calcul pour l’année et vous verrez que ce chiffre est effrayant”, met en garde Aicha Ech-Chenna, fondatrice et présidente de l’Association solidarité féminine qui œuvre à aider les mères célibataires. Même si, dans un monde idéal, la paternité est établie pour tous ces enfants, tout ce à quoi ils auront droit, c’est un patronyme dans leur état civil afin qu’ils puissent poursuivre leur scolarité, et un prénom avec la particule “Abd-” choisi dans une liste imposée. L’héritage et la pension alimentaire, par exemple, leur seront interdits, deux privilèges réservés aux enfants légitimes. “Aujourd’hui, l’état civil accepte la reconnaissance de paternité même en dehors du mariage, il suffit que le père la déclare dans un délai de 30 jours après la naissance. Mais les mères célibataires sont toujours marginalisées. Rien qu’à Casablanca, elles sont 27.000”, ajoute Ech-Chenna. Les lois évoluent petit à petit pour protéger davantage les enfants, mais les mentalités sont toujours impitoyables avec les femmes. 

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