Quel est l’objet de Burn Out, votre dernier film en date ?
C’est le dernier volet de ma trilogie sur Casablanca, et une chronique urbaine. Je voulais parler de différents sujets à travers des personnages perdus mais liés entre eux : le riche et sa femme, la call girl et le politicien, le petit cireur qui veut acheter une prothèse à sa maman unijambiste… Je voulais montrer à quel point nous sommes perdus dans cette société où seul l’amour peut nous sauver.
Pourquoi baser la trilogie sur Casablanca et pas sur autre chose ?
C’est une obsession. Je suis de Safi et enfant, le plus beau cadeau que pouvait m’offrir ma mère était un voyage à Casablanca. J’étais fasciné par cette ville, ses hauts bâtiments et ses rues labyrinthiques. Casablanca c’est mon Paris à moi. Puis, un jour pendant mes études de cinéma en Norvège, le professeur nous a parlé du célèbre film Casablanca (film réalisé en 1942 par Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, ndlr). Dans ce film, j’ai vu des Américains, des Français, des Allemands… mais les Marocains étaient relégués à l’arrière-plan et à leur image folklorique. Je me suis alors promis de faire un film où j’exprime mon amour pour cette ville et Casanegra est né. Mais après, j’ai senti que ce n’était pas assez, et j’ai fait Zero et c’était trop claustrophobique. Dans Burn Out, j’ai tout ouvert, visuellement parlant. Tout y est beau et bleu et rouge… mais les personnages sont perdus. En plus, il y a la mer qu’on voit pour la première fois dans la trilogie, parce qu’elle représente l’espoir pour moi.
Et là, vous êtes guéri de votre obsession ?
Je n’en sais rien. Peut-être que je ferai d’autres films sur Casablanca, mais c’est sûr, ils seront différents.
Qu’est-ce que vous aimez tellement chez Anas El Baz pour que vous le castez dans tous vos films ?
Anas a une très belle énergie et une présence incroyable ; la lumière et la caméra l’aiment. Je sais très bien comment il bouge et fonctionne, et je sais le diriger. C’est toujours intéressant de filmer quelqu’un qu’on connaît dans le sens visuel, et tous ces acteurs avec lesquels j’ai travaillé, je les connais très bien, car je m’entraîne avec eux trois mois avant le début du tournage et j’essaie de les étudier. Pour ce film, je voulais des Marocains beaux, c’était un parti-pris, je voulais sortir du cliché du Marocain laid et sec qu’on voit dans certains films…
Burn Out est un film choral. Pourquoi avez-vous fait le choix de ce genre au lieu d’opter pour une histoire linéaire avec moins de personnage ?
Parce que je suis gourmand, je voulais aborder plusieurs sujets. D’abord l’avortement, parce que je suis convaincu que la femme a le droit de faire ce qu’elle veut de son corps. Ensuite le handicap, à travers l’histoire d’Ayoub le petit cireur et sa mère amputée. Et enfin le rapport à la richesse. En plus, dans la vraie vie, c’est incroyable le nombre d’histoires que les gens peuvent vivre dans une soirée. Le cordonnier qui viole les enfants dans mon film, ça existe aussi dans la réalité. Le politicien qui est contre l’avortement et qui, en même temps, viole une prostituée, ça existe aussi. Raconter tout cela dans un même film était un challenge pour moi, je m’étais dit que si ça ne marche pas, j’aurais au moins essayé.
Parlez-nous de cette scène de viol qui a, apparemment, mis tellement de gens mal à l’aise.
Le personnage de Sarah Perles est une jeune étudiante en médecine. Elle rencontre un politicien conservateur farouchement opposé à l’avortement, qui veut juste de la compagnie. Un jour, elle lui parle d’avortement, le ton monte, il se met en colère et finit par la violer. C’est vrai que la caméra est restée figée sur le visage de la fille pendant quatre minutes et que la scène est dure – des gens nous ont d’ailleurs insultés à cause de cette scène, mais je voulais que le public sente la douleur de cette femme. Cette scène est pour moi fondamentale, car des femmes se font violer tous les jours et nous fermons nos yeux et nos gueules.
Dans le générique de fin, vous dédiez ce film à la mémoire de Abbès Saladi dont les tableaux sont très présents dans le film. Pourquoi lui et pas un autre ?
Le personnage de Morjana Alaoui est obsédé par ce peintre dont elle possède tous les tableaux sauf un. L’œuvre qui lui manque se trouve chez un autre riche qui lui propose de vivre avec lui pendant une semaine en échange du tableau.
Quand j’ai découvert Saladi, j’avais l’impression de voir l’œuvre de quelqu’un qui a compris le Maroc. Sa peinture m’intrigue encore à ce jour. Il était atteint de schizophrénie et vendait ses tableaux à des prix dérisoires à Jamaa El Fna, jusqu’à sa mort à l’âge de 42 ans. Aujourd’hui, c’est l’un des peintres les plus chers au Maroc. Malheureusement, le public marocain ne connaît pas Saladi, parce que les riches achètent les tableaux et les gardent chez eux sans les montrer.
On voit aussi Mohamed El Khiari dans un rôle très différent de ce dont il nous a habitués.
Je voulais quelqu’un avec un côté un peu nounours et qui joue très bien. El Khiari est un très bon acteur auquel on colle toujours, malheureusement, des rôles de cliché de aaroubi rustre alors qu’il a un talent fou. J’ai voulu le sortir de son moule comme j’ai fait avec Mohamed Benbrahim dans Casanegra.
Et comment avez- vous déniché Sarah Perles ?
C’est son cousin, qui n’est autre que l’artiste Amine Bendriouich, qui m’en avait parlé. Elle a fait un travail incroyable. D’ailleurs, elle vient de finir le tournage d’une grande production française et va jouer dans une série sur Netflix. Elle aura un avenir radieux à l’échelle internationale.
On voit aussi le rappeur Bigg dans une apparition caméo…
J’aime beaucoup ce qu’il fait, et j’ai toujours trouvé qu’il a un énorme potentiel dans le cinéma. Je lui ai proposé le rôle et il a dit oui. Il comprend très vite ce que je veux dans mon travail. Ce rôle fût bref, mais je compte faire appel à lui dans mes prochains films.