FDM : Racontez-nous la genèse de ce projet…
Marine : Nous sommes tous les deux des fans de voile et de nature. Nous avions dans l’idée de faire le tour d’Afrique à la voile avec des amis, et d’associer à ce voyage un projet environnemental. Mais ça n’a pas pu se faire pour plusieurs raisons.
Quel en a été le déclic ?
Mehdi : Au printemps 2009, on a loué un bateau à Marseille, et on est partis naviguer en Corse avec des amis. Ça a été le déclic, et on s’est dit : “Pourquoi ne pas faire du bateau-stop ?”. C’était la solution idéale pour éviter de devoir louer ou acheter un bateau, et trouver des sponsors pour financer notre voyage.
Expliquez-nous le principe du bateau-stop ?
Mehdi : Le bateau-stop consiste à se mettre en contact avec des personnes qui ont un bateau et qui sont à la recherche d’équipiers. De plus en plus de personnes âgées achètent un bateau et ont besoin de maind’œuvre à bord. Car le plus dur sur un bateau, ce sont les quarts de surveillance qu’il faut assurer. A deux, c’est très difficile, car il faut se relayer 24h/24. Il vaut donc mieux avoir deux autres équipiers pour diviser toutes les tâches par quatre.
Marine : En faisant du bateau-stop, on participe aux frais de nourriture, de carburant et de marina…
Grâce à la magie d’Internet, nous avons passé Noël sur une île hallucinante, chez un homme avec lequel nous n’avions eu que très peu d’échanges.
Comment s’est passé le départ ?
Marine : Nous avions fait en sorte de nous libérer de tout engagement à partir de novembre, car c’est le mois idéal pour traverser l’Atlantique. On économisait depuis longtemps et on avait réuni suffisamment d’argent pour pouvoir partir pendant 18 mois.
Mehdi : Sur Internet, nous avons fait la rencontre d’un couple cherchant deux coéquipiers pour traverser l’Atlantique à la mi-novembre, au départ du Sénégal, pour aller au Brésil. On ne leur avait parlé qu’une fois au téléphone avant de prendre un avion pour aller les rejoindre !
Une appréhension avant le départ ?
Mehdi : Oui bien sûr ! Avant de faire la rencontre de ce couple, nous étions en contact avec d’autres personnes qui se sont désistées au dernier moment. Généralement, avant de faire du bateau-stop, on se parle le plus souvent possible sur Skype pour essayer de faire connaissance, et on prend l’habitude de poser tout un tas de questions pour connaître un peu mieux la personnalité de l’autre ; mais il y a des choses qu’on ne peut absolument pas deviner au téléphone… Des trucs rigolos, comme par exemple, les odeurs des gens ! On a passé deux mois et demi avec un gars dans le Pacifique et franchement… S’il ne se lavait pas au bout de six heures, ça devenait insupportable ! (rires)
Où avez-vous fait escale ?
Mehdi : Nous sommes partis du Sénégal vers le Brésil, où nous sommes remontés par les terres jusqu’en Guyane. De là, nous avons pris un bateau jusqu’à Trinidad, en faisant une halte au Suriname. A Trinidad, nous avons fait du wwoofing dans une ferme pendant quelque temps, puis nous nous sommes rendus au Venezuela en bateau. Là-bas, nous avons aussi travaillé dans des fermes, ainsi qu’en Colombie. Ensuite, direction le Panama, puis les îles Galapagos. On a traversé le Pacifique et on a fait une première escale aux îles Marquises, avant de découvrir l’archipel des Tuamotu, Tahiti et les îles Sous-le-Vent, les îles Cook et enfin, la Nouvelle-Zélande où nous avons à nouveau travaillé dans une ferme. Ensuite, on est repartis vers l’Australie, l’Indonésie, la Malaisie où on a refait du wwoofing, la Thaïlande et les îles Andaman. On a traversé le Golfe du Bengale et débarqué au Sri Lanka, direction le Rajasthan, l’Inde du Sud et l’Ethiopie. Avantdernière escale, l’Egypte, puis la France, et au bout de 18 mois de voyage… retour au Maroc.
Quel est le principe du wwoofing ?
Mehdi : On travaille dans des fermes qui s’inscrivent dans une logique de développement durable où on apprend un savoir-faire, des techniques d’agriculture biologique, et où on est logés, nourris et blanchis en échange de notre main-d’oeuvre.
Quel est votre plus beau souvenir ?
Mehdi : Il y en a un paquet ! Mais disons que le premier qui me vient à l’esprit, c’est lorsque nous étions au Brésil et qu’on y a découvert la magie d’Internet… On avait vu les plus belles plages du pays, on avait suivi un circuit un peu touristique et on voulait sortir des sentiers battus mais sans trop savoir où aller. On est alors tombés sur le mail d’un homme qui nous a répondu rapidement et nous a proposé de nous rencontrer à notre hôtel. On a alors vu débarquer une espèce de Sean Connery avec un chapeau d’aventurier… Il nous a parlé de sa maison au milieu d’une île et nous a invité à prendre un bus, trois bateaux… pour y aller. Il ne nous a pas accompagnés et nous nous sommes retrouvés chez ce monsieur qu’on connaissait à peine, sur une île hallucinante qui compte la plus importante concentration d’albinos au monde !
Marine : C’était incroyable ! Un petit banc de sable qui sort de la mangrove, entouré d’eaux magnifiques et auquel on accède en bateau une fois tous les quelques jours. Nous avons passé Noël là-bas, tous les deux, il y a maintenant deux ans de cela…
Mehdi : A manger une omelette et à boire du vin brésilien franchement pas terrible… (rires)
Et votre pire souvenir ?
Marine : Le transport en général. La peur des bus qui nous occasionnent des frayeurs pas possibles. Des heures de trajet interminables dans des taxis en piteux état, sur des routes horribles, sous la pluie… Des moments où tu te demandes si tu vas y arriver, si tu vas t’en sortir…
Mehdi : C’était en Inde. L’ambassade d’Ethiopie, où nous voulions nous rendre pour un séjour de deux
mois, a refusé de nous délivrer des visas. L’ambassadeur nous a demandé, médusé : “Mais qu’est-ce que vous voulez faire pendant deux mois en Ethiopie ?”. On a donc envoyé nos passeports par DHL à l’ambassade d’Ethiopie en France, cachés dans des bouquins parce que c’est interdit, pour avoir notre visa. On devait recevoir ensuite nos passeports dans une autre agence DHL de Bombay, le soir de notre départ pour l’Ethiopie ! Gros stress… Surtout quand l’employé de DHL nous a demandé nos passeports pour pouvoir nous remettre le colis… dans lequel ils se trouvaient !
Ce qui a changé dans notre vie, c’est l’envie de faire ce que l’on veut. On sait Désormais que tout est possible, à condition de le vouloir.
Un moment mémorable durant la traversée en bateau ?
Marine : La dernière traversée ne s’est pas bien passée du tout. Nous sommes partis de l’Australie vers le Sri Lanka, et nous avons essuyé trois jours et trois nuits de tempête. J’étais fatiguée, je n’en pouvais plus ! En fait, on était le seul bateau à recevoir des bulletins météorologiques et on a été prévenus, alors qu’on avait pris le large, qu’une tempête tropicale arrivait derrière nous. On a navigué dans des conditions épouvantables, mais on est arrivés à temps et on a évité le pire.
Mehdi : Arrivés au Sri Lanka, on a appris que 100.000 personnes avaient été déplacées à cause de la tempête et on a vu arriver des bateaux réduits à l’état d’épaves. Beaucoup d’autres qui nous suivaient ont coulé… C’est en voyant l’ampleur des dégâts qu’on s’est rendus compte à quoi on avait échappé.
Sans indiscrétion, quel a été le coût de votre voyage ?
Marine : 25.000 euros, à raison de 1.400 euros environ par mois pendant 18 mois.
Et comment s’est passé votre retour au Maroc ?
Mehdi : On est rentrés au bout de 18 mois de voyage, complètement fauchés et sans emploi. L’objectif numéro un, c’était donc de trouver un job. Avant de partir, Marine travaillait dans une association de microfinance et moi, j’étais consultant en organisation en plus d’avoir monté ma boîte dans le nautisme, dont j’ai revendu mes parts en partant.
Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?
Marine : On attend un bébé, prévu pour mars 2012 ! Sinon, je travaille de nouveau dans une association. Mehdi : J’ai récupéré mon poste à la banque et je m’intéresse toujours autant au secteur du nautisme au Maroc car mon rêve, à terme, c’est de faire de ma passion pour la voile mon métier.
Votre prochain trip est pour quand ?
Marine : Dans 10 ans, avec nos enfants, un tour de la Méditerranée en bateau.
Mehdi : Et plus tard, quand on sera retraités, on aura notre propre bateau et on vivra six mois sur un bateau, six mois sur terre.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie ?
Mehdi : L’envie de faire ce qu’on veut. On sait maintenant que tout est possible, à condition de le vouloir. Même les moyens peuvent se trouver car il y a toujours des possibilités de se faire aider, de monter des dossiers de sponsoring… pleins de projets voient le jour ainsi. â–