L’Orient fantasmé

Face aux affiches orientalistes réductrices, le musée Abderrahmane Slaoui a mis en avant les œuvres de quatre artistes contemporaines, dessinant ainsi une analyse des codes de représentations utilisées dans la construction d’un imaginaire fantasmé. Visite guidée. Une exposition à voir et à admirer jusqu'au 29 septembre 2018.

Stéréotypes, clichés réducteurs, représentations, catégorisation… L’Orient a suscité bien des fantasmes chez l’Occidental, donnant naissance à une vision aux antipodes des réalités des pays colonisés. Les affiches publicitaires ont concentré cette vision d’un Orient fantasmé. Ses symboles (palmiers, désert, mosquées, turbans, jarres, puits de pétrole, etc.) ont dessiné les contours d’un univers qui n’existait que dans l’imaginaire de l’Occidental. Ce monde des Mille et une nuits, exalté par les affiches exotiques aux couleurs flamboyantes a donné une place à part à la femme, objet de tous les désirs. “Sexualisée” et fantasmée à l’extrême, la femme est dans une posture soumise, figure d’un Orient sensuel et voluptueux mais aussi archaïque et décadent.

Ce sont ces affiches-là, réalisées au cours des années 1930 à 1960 que le Musée Abderrahmane Slaoui a sélectionné pour cette exposition ouverte depuis avril dernier et qui se poursuivra jusqu’au 26 septembre 2018. En regard, ce sont les œuvres de quatre artistes contemporaines : Héla Ammar, Meriem Bouderbala, Yasmina Bouziane et Lalla Essaydi qui bousculent ces stéréotypes véhiculés par l’Occident, en se jouant de ces représentations et clichés exotiques. Symboles, références, ambiguïtés, modernité et archaïsme révèlent une approche furieusement engagée.

Symboliques et stéréotypes

Le parcours de l’exposition “L’Orient fantasmé” démarre par l’affiche titrée Proche Orient d’Air France où “les symboles apparaissent clairement identifiables (le minaret, le minier de pétrole, le vêtement et la jarre). Le symbolisme est ici utilisé pour donner corps à une catégorisation radicale. En quatre termes, le Proche Orient est résumé et ainsi stéréotypé”, explique Laura Scemama, directrice du Musée Slaoui et commissaire de l’exposition. Le parcours se poursuit dans la même veine. Ce sont autant d’affiches qui vantent les charmes des colonies aux peuples européens. “ Diffusées en masse, les “réclames” ont contribué à la création d’un Autre fantasmé, exotisé et bien souvent essentialisé”, précise la commissaire de l’exposition.

    Les quatre artistes marocaines et tunisiennes qui présentent leurs œuvres dans l’enceinte du musée Slaoui à Casablanca “empruntent l’imagerie de l’Autre pour questionner leur propre condition aujourd’hui et à travers l’histoire et penser une (ré)-appropriation du corps et des codes…”, souligne encore Laura Scemama.

Les contre-portraits de Yasmina Bouziane

C’est ainsi que la première des artistes à accrocher le regard dans ce cheminement artistique n’est autre que Yasmina Bouziane. Née à Washington d’un père marocain et d’une mère française, l’artiste revendique sa marocanité à travers ses Contre-portraits, une série qui ambitionne, comme le souligne la commissaire de l’exposition, de restaurer l’intégrité des Marocaines photographiées au temps du protectorat en vue de recenser les différentes physionomies locales.

Avec un humour décapant, Yasmina Bouziane détourne les codes de cette représentation. La série qui porte justement le titre “Inhabited by Imaginings We Did Not Choose” (Habités par des imaginations que nous n’avions pas choisies), se présente comme une histoire visuelle construite à la façon des cartes postales anciennes prises dans l’enceinte du studio et dans lesquelles l’artiste est à la fois modèle et photographe.

L’Odalisques 2.0. d’Héla Ammar

Les femmes travesties de Yasmina Bouziane et qui défient l’objectif cèdent la place aux œuvres d’Héla Ammar. Cette Tunisienne, dont les travaux questionnent la mémoire, l’identité et la place de la femme, présente sa série Odalisques 2.0.

Inspirée des odalisques orientalistes et directement de la toile Le Bain Turc de Jean-Auguste-Dominique Ingres, la toile reprend la composition du bain maure, le dos nu, le foulard noué dans les cheveux… La photographe y superpose des imprimés fleuris populaires et des journaux de la révolution en français et en arabe… Une réappropriation culturelle qui inscrit réalité contemporaine et réalité rêvée dans une projection autour de la femme tunisienne. “L’Odalisque d’Héla Ammar illustre ce glissement des codes sur fond de féminité sexualisée, le journal remplace l’affiche, mais son rôle demeure celui de véhicule des stéréotypes”, rappelle Laura Scemama.

Buller Revisited  de Lalla Essaydi

La réflexion artistique de Lalla Essaydi s’articule autour de la femme. Mêlant peinture, calligraphie et photographie, les œuvres de l’artiste installée aux Etats-Unis sont d’une grande beauté esthétique, et le prétexte tout trouvé pour déconstruire les idées reçues autour de la femme et de l’identité féminine en Orient. Le musée a choisi pour illustrer cette approche sa Grande Odalisque qui reprend la même posture de l’œuvre d’Ingres, mais en y insufflant sa marque de fabrique, à savoir la calligraphie appliquée au henné. Celle-ci est volontairement indéchiffrable. La seconde série intitulée Buller Revisited dévoile des douilles d’armes à feu qui deviennent les vêtements de ces femmes. “Des vêtements aux formes vides, à l’instar de la femme orientale qui n’existe que dans l’esprit de l’Autre”, commente la commissaire de l’exposition.

Women Map de Meriem Bouderbala

Le parcours artistique s’achève par Women Map de Meriem Bouderbala. L’artiste dont les œuvres interrogent la condition de la femme dans les pays musulmans use des drapés pour dissimuler ce corps, objet des fantasmes masculins. “Le vide du textile laisse la place à une femme qui sort de sa posture allongée, se relève, s’extrait du vêtement et de cette identité créée de toute pièce, s’abandonne pour se réapproprier son identité et son image”, estime la directrice du Musée Slaoui. Aussi, et au-delà de la beauté esthétique de chacune des toiles exposées , le travail des quatre artistes remet les pendules à l’heure  grâce à une judicieuse réappropiation de son  identité. υ

Musée de la Fondation Abderrahmane Slaoui, 12 rue du Parc, Casablanca

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