Légalisation de l’avortement : la pilule qui passe mal

Après la polémique, le rendu de copie. La commission en charge d’éplucher le dossier ne s’est montrée favorable qu’à trois cas de figure. De quoi laisser sur leur faim bien des parties prenantes.

Entre auditions et retard, le conseil choisi pour trouver un terrain d’entente relatif à la légalisation de l’avortement a fini par trancher. Trois mots clés ont fusé après plus d’un mois et demi de tractations : malformations fœtales, viol et inceste. En dehors des situations citées, et bien sûr du risque pour la santé de la mère, l’avortement reste un crime.

Bon début pour les uns, déception pour les autres, difficile de concilier les velléités progressistes et le conservatisme ambiant. Mais pendant ce temps, que font toutes celles dont les  situations n’entrent pas dans  les catégories précitées ? N’est-ce pas les encourager à faire avec “les moyens du bord” que d’arrêter la règle à trois ou quatre cas d’espèce? Ces enjeux n’ont pas pesé bien lourd face aux considérations d’ordre religieux.

Selon la commission en charge, la majorité des Marocains interrogée se serait  carrément prononcée en défaveur d’une légalisation plus large. En dépit du caractère restrictif de ces conclusions, une ouverture subsiste encore : le fait que le Roi ait expressément demandé aux ministres concernés, à savoir celui de la Santé publique et celui de la Justice, de travailler en symbiose avec le corps médical à l’élaboration du projet de loi.

Cette disposition permettra peut-être aux praticiens d’intégrer des données “oubliées” et d’ouvrir les yeux au législateur sur le sort de milliers d’autres femmes. Une ouverture que la société civile compte bien faire valoir avant que le texte final n’arrive au Parlement. Privilégier l’esprit de la loi au corps de la loi prendra ici tout son sens. Explication des militants…

Interview avec Pr Chafik Chraibi, médecin, président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC)

On vous dit un peu déçu de l’actualité…

Chafik Chraibi : Je ne suis pas déçu de la décision royale mais des conclusions tirées par la commission en charge du dossier. Pour appuyer sa thèse, elle a avancé que la majorité des Marocains était en faveur de la criminalisation de l’avortement illégal. L’échantillon des personnes sondées était-il vraiment représentatif de la population ? Il faut ratisser large pour pouvoir avancer de telles conclusions ! A noter que l’AMLAC n’a pas été auditionnée par la délégation du ministère de la Justice alors que la problématique nous touche de très près.

Vous avez réellement cru qu’un revirement à 180° était possible ?

J’avais au moins l’espoir que l’amendement de l’article 453 autorise l’avortement dans les cas où la vie, mais aussi la santé physique, psychologique et sociale de la femme seraient menacées. Si la chose avait été posée de cette manière, il n’y aurait pas eu de problème. Basons-nous sur la définition de l’OMS selon laquelle la santé ne se limite pas uniquement au bien-être du corps. Une femme qui risque de faire l’objet d’un crime d’honneur ou qui court à l’expulsion par sa famille à cause d’une grossesse hors mariage doit être protégée par la législation car il y va de sa santé psychologique et sociale !

Vous dites qu’il n’y a pas de versets coraniques interdisant l’avortement, mais il n’y en a pas non plus qui l’autorisent…

Je ne suis pas un spécialiste religieux, mais j’ai étudié les textes. Selon mes modestes conclusions, il n’y a rien qui prohibe l’avortement. Ce qui est haram en revanche, c’est de laisser des gens en souffrance, de laisser des femmes mourir de complications suite à la prise de remèdes traditionnels, de courir le risque que des enfants soient jetés à la poubelle par des mères désespérées. Ce sont là de grands périls et la religion dit de ne pas s’exposer au péril.  

Y a-t-il un moyen d’optimiser les conclusions  de cette commission ?

Evidemment. La loi n’a pas encore été promulguée, elle est en phase d’élaboration, le ministère de la Santé publique doit donc en profiter pour élargir son champ d’application et insérer des cas analogiques qui permettront une meilleure protection de la femme. Dans le cas du viol par exemple, on devra inclure les mineures, mais également les retardées mentales, car il est clair que ces dernières auront été abusées, chose qui à mon sens ne diffère pas d’un viol.  Si l’on se mobilise tous, on a encore un espoir de rattraper les choses.

Concrètement, en cas de viol ou d’inceste, comment la victime va-t-elle procéder pour faire valoir son “droit” d’avorter ?

Ça va être très compliqué et j’ai des appréhensions à ce sujet. Il faudra déjà qu’elle ait le courage d’aller se plaindre à la police, de braver l’humiliation et les interrogatoires intimidants, qu’elle apporte les preuves médicales de ce qu’elle a subi, que le tribunal reçoive la demande et l’accepte (notez que l’on perd beaucoup de temps entre chaque étape) pour pouvoir ensuite prétendre à un avortement. Comment les juges vont-ils trancher ? Est-ce qu’une procédure sera mise en place ? C’est très contraignant à mon sens.

Ce qu’ils en pensent

Fouad Abdelmoumni, activiste de la société civile

Je m’attendais à plus de courage politique de la part de l’Etat. Nous sommes engagés sur une évolution à long terme qui nécessite des mesures fondamentales, alors sortons de cette logique d’intangibilité des règles. Acculer une femme à poursuivre une grossesse dont elle ne veut pas ou qu’elle ne peut pas assumer, c’est l’exposer à des situations désastreuses. Le droit à l’avortement est un recours de force majeure devant être autorisé pour toutes les personnes qui en ont besoin. Telle qu’elle est formulée aujourd’hui, la loi règle au mieux 10% des cas qui se posent. Quid des 90% restants ?

Nouzha Skalli, ancien ministre

Il ne faut pas se précipiter. S’il ne devait y avoir qu’une lecture étroite du communiqué, j’aurais été déçue, mais pour l’instant, nous n’avons pas encore vu le projet de loi, sachant que la formulation peut changer du tout au tout. Il est possible de faciliter une situation sans heurter les opinions conservatrices. Attendons déjà que ce texte arrive au Parlement. Je fais confiance à la clairvoyance de Sa Majesté qui ne nous a pas habitués à des réformettes. Lorsqu’il s’engage en faveur d’un changement, il va jusqu’au bout des choses.

 

Latifa El Bouhsini, Professeur universitaire et militante des droits de l’Homme

Je m’attendais à mieux. Bien sûr, c’est déjà pas mal qu’on ait levé le voile sur un tabou, mais le débat ne fait que commencer. Trois cas, c’est restrictif. Les autres cas sont ceux sur lesquels il aurait fallu se pencher. Nous allons devoir arrêter l’hypocrisie et attaquer la question de front. Armons-nous de courage pour enfin arriver à quelque chose !

 

 

Leila Majdouli, Secrétaire générale de Solidarité féminine,

co-fondatrice de la section marocaine d’Amnesty international.
Cette question me tient à cœur. Les résultats énoncés récemment ne correspondent pas du tout aux ambitions du mouvement féministe. La question ne devrait pas relever du Code pénal, mais d’un Code de la santé. Il faut penser à la femme, à sa santé générale et à sa sécurité. Pourquoi ne pas  adopter des lois reflétant l’image d’un Maroc moderne ? N’abandonnons pas les femmes à leur sort avec des grossesses non désirées, défendons leurs intérêts au lieu d’appliquer la politique de l’autruche !

 

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