Le retour à l’école, un défi pour les filles en milieu rural

Fragile malgré les avancées. La scolarisation des jeunes filles en milieu rural est un défi de taille, après une année scolaire malmenée par la pandémie de Covid-19.

Elles devaient déjà se heurter à un tas d’obstacles pour parvenir jusqu’à la porte de leur école. L’éloignement de leur établissement scolaire, l’insuffisance des transports ou des cantines, et désormais les répercussions de la pandémie de Coronavirus (Covid-19). Après des mois privées d’école, les jeunes filles en milieu rural, comme des millions d’autres élèves, ont été appelées à reprendre les cours le 7 septembre. Sur le terrain, plusieurs questions s’entrechoquent pour cette rentrée scolaire de “tous les dangers”. Car comment parler d’enseignement à distance lorsque 8,4 % des ménages n’ont pas encore d’électricité, un chiffre atteignant les 25,4 % en milieu rural(1), et qu’il manque aussi plus de 2  millions de tablettes comme l’avait avoué, fin juin, Saaid Amzazi, le ministre de l’Education nationale ? De l’autre côté, comment évoquer l’enseignement présentiel en toute sécurité sanitaire alors qu’on sait que, par exemple, l’accès aux toilettes est assuré à tout juste 70,8% dans le secteur public dont 64% en milieu rural d’après l’enquête sur les Indicateurs des prestations de services en éducation (IPSE) de l’Observatoire national du développement humain (ONDH) ?  Le tout dans le respect de la Vision stratégique 2015-2030 de la réforme de l’éducation dont l’un des fondamentaux est l’équité et l’égalité des chances…

Un décrochage… malgré elles !

“L’État doit assurer une offre scolaire avec une qualité en bâtiment et en ressources humaines”, rappelle justement Naima Senhadji, présidente du Comité De Soutien à La Scolarisation Des Filles Rurales (CSSF)(2) qui porte l’initiative “Une bourse pour réussir”, un programme qui offre aux jeunes filles issues de zones fortement enclavées, des foyers créés, en partenariat avec des associations locales, à proximité des collèges de l’enseignement public. Depuis son lancement en 2000, l’initiative a totalisé 4.000 bénéficiaires, 45 foyers d’accueil gérés par 29 associations partenaires. “Au bout de trois ans, l’association partenaire doit s’autonomiser et continuer le financement du foyer par les moyens qu’elle mobilise, précise-t-elle. Aujourd’hui, nous accompagnons 8 foyers. Car de retour chez elles dès l’annonce du confinement en mars dernier, les jeunes filles ont suivi, tant bien que mal, leurs cours à distance, avec l’aide du Comité qui rechargeait le téléphone de celles qui en avaient un. “Certaines qui habitent dans la région d’Imilchil n’avaient même pas d’électricité”, glisse la responsable, avant d’ajouter que “d’autres se sont également retrouvées en difficulté car elles n’avaient pas trouvé d’aide à la maison lorsqu’elles ne comprenaient pas une leçon, leurs parents étant pour la plupart analphabètes.” Nombreuses ont ainsi décroché à leur dépens et n’ont qu’une hantise : ne plus pouvoir revenir à l’école, leur lieu de savoir et d’émancipation. “Quand certains élèves des grandes villes ont perçu l’annonce du confinement comme de possibles vacances, nos filles ont été très frustrées et inquiètes pour leur examen, décrit, de son côté, Karima Targaoui, représentante de l’ONG Education For All(3) au Maroc qui compte 250 pensionnaires filles réparties dans 6 maisons situées à Asni, Ouirgane et Talat N’Yacoub. Leur retour au village a été vécu comme un retour à la case départ sans aucun matériel numérique, ni connexion Internet.” Grâce à des dons, l’organisme a réussi à procurer des tablettes et des recharges internet à 25 candidates au baccalauréat. Mais malgré cette aide, le cauchemar ne s’est pas arrêté. “Le réseau Internet fonctionnait mal voire pas du tout selon la zone…”, déplore-t-elle. Pour avoir une chance d’avoir une barre de connexion, certaines bénéficiaires se sont vues contraintes de marcher plusieurs kilomètres à pied afin d’atteindre le village voisin. “Nous avons même eu des filles qui se sont hissées en haut d’une colline pour télécharger les documents envoyés par les professeurs et échanger avec leurs camarades afin d’avancer dans leurs devoirs”, poursuit-elle avant de lâcher : “Il est évident que l’enseignement à distance ne peut pas être la solution pour ces filles et plus généralement pour les élèves en milieu rural. Des mesures doivent être mises en place pour leur permettre de revenir à  l’école, au moins quelques jours par semaine, appuie-t-elle. Dans notre cas, nous espérons avoir une autorisation pour pouvoir au minimum ouvrir les pensionnats équipés d’ordinateurs et de connexion Internet. Car même si les écoles restaient fermées, les filles auraient au moins accès à l’enseignement à distance dans de bonnes conditions et pourraient continuer à s’épanouir.”

Des avancées… en péril

La scolarisation des jeunes filles a toujours été un enjeu. Aussi, des décisions et des initiatives se sont enchaînées. La Convention internationale des Droits de l’Enfant de 1989 a été ratifiée par le Maroc en 1993, la Constitution de 2011 assure dans son article 32  la protection de l’enfant et garantit son droit d’accès à l’enseignement fondamental, sans oublier la loi sur la scolarisation obligatoire jusqu’à 15 ans, la politique d’alphabétisation de masse, le projet “Un million de cartables”, le programme Tayssir (bourse conditionnée sur l’assiduité des enfants en primaire et en secondaire collégial) ou encore la création d’internats, notamment pour les filles (Dar Taliba). Les dernières statistiques de 2017-2018 comptabilisent 107 internats et 6.679 internes (2.757 filles) au niveau primaire, 413 internats et 47 517 pensionnaires (23.588 filles) au secondaire collégial, et 369 internats avec 57.125 internes (28.253 filles) au secondaire qualifiant. Toute une série de mesures synonyme d’avancées dans la lutte nécessaire contre la déscolarisation des jeunes filles en milieu rural. Résultats : pour les filles, le taux d’abandon est tombé à 1,7% au primaire, à 8% au secondaire collégial et à 8,6% au secondaire qualifiant(1). Malgré le combat quotidien pour l’éducation de ces jeunes filles, une inquiétude grandit en cette ère de Covid-19. En effet, la crise économique inédite enclenchée fait craindre une augmentation du travail des enfants issus des familles les plus démunies ainsi qu’une hausse du mariage des mineures… “Aujourd’hui, les parents doivent prendre en charge leurs filles et craignent que l’enseignement à distance (quasiment inexistant pour certaines) ne leur permettent pas d’avoir de bonnes notes, et par ricochet, les empêchent d’obtenir leur diplôme et un travail dans l’avenir. Pour eux, la seule issue semble alors le mariage…”, prévient Karima Targaoui. Depuis des siècles, les premières victimes des crises ont ainsi été les femmes, notamment les plus pauvres, qui ont su, ne l’oublions jamais, rester debout malgré la puissance des tempêtes et la dégradation de leurs droits. Aussi, n’est-il pas temps de surmonter ensemble cette période difficile sans sacrifier pour autant nos jeunes filles en milieu rural ? 

(1) Rapport sur la situation des enfants au Maroc publié en novembre 2019 et mené par l’ONDH, l’ONDE et l’UNICEF Maroc.

(2) http://comitessf.org/

(3) www.efamorocco.org

Dans les méandres de la vie conjugale au Maroc, le consentement sexuel entre époux reste un sujet brûlant et souvent
Alors qu’aux États-Unis et en Europe, le féminisme 4.0, également connu sous le nom de cyberféminisme ou féminisme du hashtag,
Soumaya Mounsif Hajji est traductrice assermentée. À la veille de la réforme de la Moudawana, cette virulente militante dresse un
L’état des lieux des droits des femmes au Maroc révèle toujours des écarts flagrants entre les décisions politiques de la
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4