La transmission comment ça marche ?

Le métier de parent est un métier impossible, disait Freud. Quoi qu'on fasse, on passe à côté de quelque chose, inévitablement. Et pourtant, on continue à transmettre nos valeurs à nos enfants...

Naïma, 45 ans, prend le frais, les bras appuyés au balcon de son appartement, situé dans une résidence habitée par une population de la classe moyenne casablancaise. En bas, dans l’espace vert commun, une bande de bambins joue. Naïma n’en croit pas ses oreilles quand elle entend le petit Nabil, à peine 6 ans, apostropher ses copains de jeu par un flot de paroles ordurières pour qu’ils lui passent le ballon. Le petit Nabil, Naïma le connaît bien. Ses parents, des professeurs universitaires sont ses voisins immédiats. Des gens bien sous tous rapports, selon la formule consacrée, dont l’existence est dédiée à l’éducation de leurs 3 enfants.

Hassan, 50 ans, raconte à son meilleur ami combien il a été choqué par l’attitude de son ado de 16 ans, parti en voyage linguistique à Oxford -un fort sacrifice financier pour toute la famille- qui a violemment apostrophé sa maman au retour de son séjour à l’aéroport parce qu’elle lui avait reproché d’avoir été avare de coups de fil, refusant de la prendre au téléphone quand elle l’appelait pour avoir de ses nouvelles.

Naïma, Hassan, comme d’autres parents, ont le sentiment amer que quelque chose n’a pas marché, qu’un élément a rompu dans la chaîne de transmission des valeurs.

Aujourd’hui, tout change si vite qu’on peut se demander s’il est encore possible – et utile – de transmettre d’une génération à l’autre les valeurs qu’on a reçues. Ces valeurs elles-mêmes ne sont plus aussi nettes qu’elles étaient, les priorités ont changé.

Hier (qui semble si lointain aujourd’hui surtout en milieu urbain), les enfants perpétuaient le métier du père. Ils héritaient du coup des valeurs intrinsèques liées à la profession. Les enfants des ouvriers avaient de fortes chances de virer gauchos. Les rejetons des commerçants grossissaient souvent les rangs des conservateurs. Ce schéma est totalement caduc aujourd’hui. De l’eau a coulé sous les ponts depuis. Même le langage a changé. Les enfants n’obéissent plus, ils revendiquent des opinions personnelles. De plus en plus tôt. Latifa, 41 ans explique : “Avec mon mari, nous avons veillé à instaurer dès la naissance de notre premier enfant, une démocratie familiale dans le sens où l’on discute davantage, on échange et on s’informe. Les enfants sont invités à s’exprimer, à s’expliquer. On écoute leurs aspirations. Bien sûr, parfois, cela tourne à la cacophonie. Mais c’est le prix de la démocratie, non ?” (rires).

La démocratie familiale a effectivement un prix : la tâche des parents est devenue beaucoup plus difficile. A titre individuel, parce que nous, parents, nous sentons souvent moins assurés dans des convictions simples et que nous avons appris les bienfaits d’une éducation libérale dont nous n’avons pas le mode d’emploi. A titre collectif, parce que l’environnement ne nous aide pas. L’anonymat de la vie urbaine et la complexité des structures moins bien hiérarchisées incitent au relâchement. Les incertitudes de l’avenir, les difficultés, les nouvelles convenances même poussent au chacun pour soi. Les parents ne sont pas les seuls à transmettre. Les enfants, tout petits déjà, sont soumis à de multiples influences. Les nouveaux médias, télévision, réseaux sociaux (Facebook et cie) sont omniprésents et porteurs d’une grande part de dérision, d’agressivité, d’immédiateté, d’incitation à la satisfaction immédiate. Des valeurs opposées à celles de la famille, de l’école. “J’ai l’impression, à titre de mère et donc de transmettrice de valeurs, d’être tout le temps disqualifiée par les sacro-saints télé et web et tout ce qu’ils véhiculent : promotion de la réussite spectaculaire sans efforts ; surexposition de l’intimité ; banalisation des comportements violents et aberrants”. Ainsi s’exprime Loubna, 38 ans, maman de deux enfants. Cette mère, comme beaucoup de parents, se sent désarmée face aux nouveaux médias, pointés comme dangereux. A tort ou à raison ? “A tort”, répond, catégorique, Chantal Emran, psychologue. “Les enfants aujourd’hui sont multi référentiels. Ils sont capables de s’ouvrir et de s’identifier à plusieurs modèles grâce à leur rapidité d’adaptation et à leur facilité pour communiquer, notamment via internet qu’ils connaissent depuis le berceau et qu’ils maîtrisent mieux que les parents. Ce qui participe, soit dit en passant, au sentiment d’insécurité des parents face à ce média : on a toujours peur de ce qu’on connaît mal. De tout temps, les jeunes s’identifient aux pairs. Cette sociabilité spécifique s’est encore renforcée et semble plus précoce et plus indépendante de l’influence familiale, par la force justement de l’outil Internet”.

 

A la recherche du modèle (éducatif) perdu

“Ce qui nous fait défaut, à nous parents aujourd’hui, c’est une stratégie éducative bien définie. On nous a vendu la modernité en tout, y compris en matière d’éducation, mais sans nous donner le mode d’emploi qui va avec !”, explique Nadia, superbe maman moderne de deux enfants qui avoue, sans détour, succomber plus que de raison à une bienveillante tolérance qui amène facilement au “chacun fait ce qui lui plaît” ou presque ! De là à estimer que chacun a le droit de faire ce qui lui plaît… et c’est la regrettable perte des B.a.-Ba de l’éducation. “Tout a changé, dit Mona, maman et enseignante. Quand j’étais enfant, on ne pouvait pas tricher au nez et à la barbe du professeur. Aujourd’hui, certains profs ne bronchent même pas quand les élèves copient. Alors, ces derniers en profitent et disent que c’est normal d’en profiter puisque tout le monde le fait”. Fréquent, oui. Normal, non. Précisément, non. Il est probable que de nombreux enfants favorisent la triche en classe. L’honnêteté ne ferait pas partie des priorités des jeunes aujourd’hui ? Et pour cause ! Qui leur inculque les règles de base dans ce domaine ? Finies les leçons de morale à l’école. L’éducation religieuse que reçoivent les enfants favorise la peur au détriment d’une approche pédagogique basée sur les valeurs essentielles. Résultat : des élèves qui se comportent mal en classe et copient sans scrupules le jour des examens.

Alors, une école défaillante, un environnement agressif sont autant de géants à côté desquels les parents se sentent tout petits, dépossédés de la possibilité de transmettre les valeurs auxquelles ils croient ? Le pouvoir des parents en matière de transmission des valeurs serait-il agonisant ? Non. Démonstration.

 

La transmission via les styles de vie

Internet n’y peut rien : nous imprégnons nos enfants des valeurs qui dominent notre vie. Nos jugements, nos passions, nos colères, nos indifférences servent toujours de grille à leur lecture du monde. Même si, de part et d’autre, le mécanisme n’est ni spontané, ni conscient. Enormément de choses se transmettent inconsciemment à travers nos attitudes. On ne lègue que ce qu’on porte en soi. Certes, plus nos valeurs sont explicites, fortes, plus elles impressionnent nos enfants. En grandissant, ils subiront d’autres influences, ils rejetteront probablement ce qui les a trop marqués mais qui subsistera en creux.

La transmission est également sous-tendue par les styles de vie marqués à l’aune d’options de valeurs déterminantes. Il y a les familles ouvertes, qui reçoivent avec plaisir et souvent. Il y a les familles qui vivent recroquevillées sur elles-mêmes. Celles où les repas sont des plaisirs longuement mitonnés. Celles où l’on expédie les repas en dix minutes chrono. Celles où les livres font la trame du quotidien et celles où les téléviseurs sont allumés quasiment 24 heures sur 24. Celles où le travail a la première place, celles qui taillent la part belle à la créativité, aux loisirs et au sport. Dans chacune de ces familles, les enfants vivent des émotions, des plaisirs différents. Ils constituent une hiérarchie de valeurs particulière. Des comportements réflexes sont adoptés. Ainsi, à notre insu, nous transmettons à nos enfants un héritage dont beaucoup de pièces serviront aussi à nos petits enfants. Nos propres parents consolident auprès de nos rejetons certaines de ces pièces. Comme l’explique si bien le psychiatre Philippe Jeammet dans son ouvrage “Que transmettre à nos enfants ?”, ce qu’on lègue à nos enfants, ce n’est pas tant ce que l’on maîtrise, qu’un état d’esprit. Et cet état d’esprit traduit la confiance que l’on a – ou pas ! – dans le monde qui nous entoure.

Mais, en matière de transmission, tout n’est pas automatique ! Les enfants n’adhèreront à nos valeurs que s’ils sont emballés ! Si nos propres valeurs ne nous rendent pas heureux, nos rejetons n’auront aucune envie de les entériner et de les faire leurs ! Ils refuseront d’être des héritiers de valeurs sans aucune valeur ajoutée pour parler contemporain !

 

La transmission, une affaire de confiance

On n’est pas dans le même univers que nos enfants. Mais on reste pour eux un point de référence. Les enfants sont tournés vers l’avenir, vers la nouveauté. Pour les accompagner, il faut croire à la nouveauté. Il faut faire confiance au monde qui les entoure et qui nous entoure ! Cette confiance se construit chez l’enfant à travers ses parents. Le regard que posent les parents sur le monde est un paramètre de l’équation transmission. Si les parents ont confiance, l’enfant se sent en sécurité. Les parents qui ont peur du changement transmettent cette peur à leurs enfants. Et plus les enfants se sentiront en insécurité, plus ils auront besoin de s’agripper à des valeurs figées ou, à l’inverse, de tenter d’exploser le système. Côté parents, quand on est inquiet, on cherche à transmettre de façon figée une structure sociale qu’on pense avoir trouvée une fois pour toutes. Or, comme le dit si bien Philipe Jeammet, transmettre du pareil au même c’est un peu transmettre la mort. “Les sociétés primitives dont les rites se sont figées sont mortes à force du transmettre du même. La vie, c’est l’ouverture au changement. Certes, les changements se sont accélérés ces derniers temps. Les jeunes ont des modes de vie différents de ceux de leurs parents, une culture et des rites sociaux différents, d’où le sentiment que tout fout le camp. Qu’on assimile à “il n’y a plus de valeurs”.”

Il y aura des valeurs tant qu’il y aura des parents pour les transmettre et des enfants pour les recevoir. Nous laissons le mot de la fin à une grande dame : “C’est avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun”. Ainsi s’exprimait Hannah Arendt en 1954. A méditer.

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