Donnant pour la première fois, un concert au Maroc dans le cadre du festival Mawazine de Rabat, vous êtes venue y chanter le répertoire de Nougaro. Pourquoi cette exclusivité ?
Parce qu’en ce moment, je suis à fond dans Nougaro. Je me suis mise entre parenthèses provisoirement pour faire revivre toute la « fougue nougaresque » et reconstituer tout l’univers de Claude, à travers la richesse de ses textes, ses mélodies, les couleurs musicales qui imprègnent son répertoire. Je suis du reste très fière de chanter les chansons de Claude, au milieu de tous ces monstres sacrés présents au festival: Sting, Santana, Elton John, BB King… Vous savez, Nougaro n’a jamais eu la reconnaissance qu’il méritait ; même si les gens avaient un grand respect pour lui, il n’y avait pas la proximité qu’il y a avec un Gainsbourg, un Brassens… Je pense que le public marocain appréciera, car je sais qu’au Maroc, il y a une grande passion pour la chanson française. Ils vont voir une belge qui essaie de chanter avec l’accent toulousain (rires), même si reproduire le timbre rocailleux du maître, c’est presque inimitable… J’y vais à l’instinct !
Votre histoire avec Claude Nougaro remonte à il y a très longtemps… Racontez-la nous…
J’en parle dans mon spectacle qui est ponctué d’anecdotes et des nombreuses aventures que j’ai pu vivre avec lui. Si on remonte au tout début, j’étais toute jeune et je suivais, telle une groupie, Claude, à chaque fois qu’il se produisait quelque part ; en coulisses, je lui offrais des fleurs, des pralines, des textes de chansons… Tout pour me faire remarquer, mais je me faisais jeter comme une malpropre. Un jour, à quatorze ans, bravement, je décide de lui faire remettre par mon père, une cassette. Et, j’attends, j’attends… Rien, aucune réponse. Puis, Surprise… Assez longtemps, après, je reçois une lettre. Une missive fracassante, invraisemblable, magnifique, remplie à la fois de critiques et d’encouragements, excessive et passionnelle, tout à fait dans la ligne droite du personnage. A partir de là, il m’a autorisé à chanter quelques chansons à moi, au milieu de ses spectacles. On a, par la suite, vécu une grande amitié faite de grands moments mais aussi d’engueulades (rires). Car s’il m’a pris par la main et a été invariablement présent, il m’a parfois castagné durement avec les mots. De fait, je me suis reconnue à travers lui, dans tout ce côté excessif, bouffeur de vie, d’émotions. Cette poésie d’écorché vif. La bête de scène qu’il était, sa personnalité si complexe, sa générosité, sa fureur, sa tendresse, tout cela m’a profondément marqué, tatoué à vie…
Qu’est-ce qu’il vous a apporté sur le plan artistique ?
Tout ! Le voir sur scène me fascinait. Il m’a donné envie de me pencher sur la littérature, la poésie, m’a communiqué sa soif d’éclectisme dans la musique : il aimait le jazz, la musique africaine, brésilienne, le flamenco, le rap… Ca m’a personnellement sensibilisé à beaucoup de genres musicaux différents. Je me suis aussi rendue compte, au fil du temps, à quel point nous avions de choses en commun : nous sommes nés dans une famille d’artistes tous les deux (nos mères respectives étaient pianistes ; son papa à lui était chanteur d’opéra et le mien directeur de Conservatoire de musique). Il était complexé par sa taille, moi par mon poids. Sur scène, nous nous sentions heureux et dans notre élément… Malheureusement, sur le plan de la collaboration artistique, on s’est souvent ratés ; en effet, sur la fin de sa vie, il était question d’enregistrer un duo ensemble, lequel duo ne s’est pas fait. Il avait sa maladie, son cancer et il m’a fait venir chez lui à la maison pour écouter une chanson qu’il voulait qu’on interprète à deux, intitulée « l’espérance en l’homme ». Quant à moi, j’étais tellement concentrée que Claude a cru que sa chanson n’avait rencontré aucun écho chez moi, dixit Hélène, son épouse. Il ne m’a donc pas rappelé et est décédé quelques semaines plus tard. Ce souvenir reste comme un regret vivace en moi. Lorsque Hélène m’a demandé de faire un album de reprises de ses chansons, il m’est alors apparu, coulant de source qu’il devait porter le titre de cette chanson qui lui ressemblait tellement. De fait, je veux que la jeune génération redécouvre Nougaro : elle ne connaît de lui que « Nougayork » mais il a fait tellement de choses avant et après…
Vous, sa « légitime héritière » comme il vous surnommait, continuez de jouir également auprès du grand public d’un coefficient de durabilité et de popularité exceptionnel. Et ce, depuis votre premier album « danser » en 1986 et votre rôle de Marie Jeanne dans l’opéra Starmania… A quoi attribuez- vous cela ?
Je pense qu’au départ, j’aime la vie et, quand on aime la vie, c’est communicatif ! Que ce soit dans ma musique ou mes textes, je carbure beaucoup aux rencontres, aux fusions, aux métissages ; en effet, je pense que mélanger les couleurs, çà peut donner des identités très fortes. Je suis une exploratrice qui a besoin de voyager, de bouger, pas seulement en prenant des avions, mais aussi dans sa tête, dans son cœur et son plexus ! Je sillonne sans arrêt de nouveaux territoires musicaux ; j’ai besoin que les choses soient en mouvement et j’ai le défaut (ou la qualité) de manifester de la curiosité pour tout. En ce moment, sur le spectacle de Nougaro, j’ai un Pepito parmi mes Beatles (ndlr : ses musiciens) qui est toulousain de Malaga et fait les voix flamencas ! Je viens aussi de tourner un film avec Gérard Depardieu : « la tête en friche ». Et je peux dire que cette expérience m’a enchanté, parce que se retrouver face à cette icône du cinéma pendant une semaine, c’était fabuleux : vrai, rentre dedans, excessif, il est tout ce que j’aime ! En même temps, je ne me prends pas pour une actrice ; j’essaie de chanter du Nougaro en restant Maurane ; j’ai envie de continuer de toucher mon public, sans jamais tricher avec lui ou en faire des tonnes pour lui plaire…
Tout au long de votre carrière, vous avez aussi embrassé de nombreuses causes humanitaires, la lutte contre le SIDA (concerts Sol en Si), les restos du cœur… L’engagement, c’est un volet essentiel pour vous de la condition d’artiste?
Oui, je suis toujours très touchée quand les gens souffrent ; et, encore pire, lorsqu’il s’agit d’enfants, étant moi-même maman d’une grande Lou de seize ans ! Mon image publique doit servir aussi à faire avancer des choses, à faire profiter les exclus de l’ombre. Je fonctionne au coup de cœur et au coup de gueule : lorsque je ressens les choses profondément, j’y vais et je mobilise les autres potes artistes avec moi. Par exemple, je suis la marraine en Belgique d’une association « Make a wish », qui s’occupe de réaliser les rêves d’enfants très malades, condamnés ; çà peut aller jusqu’à les emmener en mer Rouge, nager avec des dauphins ! Il y a très longtemps, j’avais commis la bêtise de dire que j’étais une chanteuse dégagée ; au contraire, je me sens, maintenant, de plus en plus engagée. Mais il est vrai aussi que, depuis que Facebook et Myspace existent, je reçois avec mon manager Ludo, dix demandes par jour pour des associations ; impossible de satisfaire tout le monde !
Il paraît que vous êtes une grande fana d’Internet et des réseaux sociaux ?
Rires… Oui, j’adore ! Ma fille prétend même que je suis devenue accro… J’aime répondre aux messages des internautes et rester en contact avec mes fans.