Le premier single de votre second album a été dévoilé le 3 avril. Que pouvez-vous nous en dire ?
C’est une balade indie-pop marocaine que j’ai composé et écrite il y a quelques mois. Un chauffeur de taxi me racontait des faits divers entendus ou lus : un suicide d’un jeune élève n’osant pas révéler un lourd secret qui a fait ressortir en moi ce poids du silence ou encore comment deux amies proches se sont entretuées parce que l’une a révélé le secret de l’autre. Une série de faits divers qui m’a beaucoup titillé. Nous vivons dans une société qui ne communique pas beaucoup tout en étant un peuple bavard, qui aime échanger et parler du quotidien. Cette contradiction m’a toujours interpellé ! Nous pouvons être proches sans pouvoir tout se dire. J’avais en face de moi un inconnu qui m’a livré beaucoup de choses en peu de temps sans m’en dire plus sur sa vie à lui. C’est ce que je raconte dans « Serrek f ‘bir », cette envie qu’on ressent de parler à autrui, mais pas à n’importe qui, de s’ouvrir à l’autre. J’utilise la métaphore de la nature qui est le symbole du retour à l’essentiel, à l’essence tout simplement. Là où tout a commencé et si l’on en est conscient, là où tout peut se résoudre.
« Serrek f’ bir » s’inscrit-il alors dans la même veine que votre précédent album ?
C’est une continuité ! Dans le premier, qui est pour moi un brouillon, prémices de quelque chose, puisque je considère ce deuxième comme mon premier, je propose un univers assez rock pop avec toujours une touche marocaine. Dans celui-ci j’assume totalement mes envies de voyages, mes fantasmes d’un ailleurs où la Darija se ballade dans des rythmes du monde selon ses caprices. Ce sont les paroles qui dictent l’ambiance de la chanson, on peut passer d’une bossa manouche presque reggada à un reggae châabi tout en se permettant un rock afro. C’est aussi l’album de la rencontre avec des musiciens de talent qui ont la même vision que moi : Salim Ammor au clavier, Taha Sehaqui à la guitare, Kamal Roufi à la basse et Ayoub Harti à la batterie apportent leur univers, leur touche, leur vécu aux chansons. En somme, je réitère mon amour pour le Marocain et ma langue maternelle puisque toutes les paroles sont en darija, j’y ajoute une osmose avec un groupe de musiciens incroyables qui ont su lire en moi et grâce à eux, nous avons signé un album de musiques du monde marocaines.
Après avoir chanté vos états d’âme dans Loon Bladi, vous avez choisi de révéler les maux de la société dans le second. Vous sentez-vous une âme de militante artistique ?
Je pense qu’en écrivant ses maux et ses coups de gueule, on est forcément militant même sans le savoir. J’aime beaucoup votre expression « militante artistique », cela colle plus à mon côté pacifiste. Je ne suis pas du tout dans le conflit ou la provocation comme certaines formes de militantisme mais j’estime que pousser des cris de cœurs à travers des chansons, c’est être militant. Je parle de ce que je vis au quotidien : le poids des traditions, la malhonnêteté, la hogra, le harcèlement en tout genre, le manque de libertés individuelles, la violence mais aussi mes combats à moi comme l’échec, les ruptures amoureuses, la famille et son poids parfois, les blessures du passé. Le tout en partageant quelques philosophies de vie comme le pouvoir du travail acharné, l’urgence de s’écouter ou l’optimisme à toute épreuve. C’est ce qui permet d’aller de l’avant, de continuer…
Quelles ont été vos influences et inspirations pour votre second album ?
J’ai la chance de faire un métier où je rencontre des artistes inspirants, ou je consomme beaucoup de culture. Je pense que chaque rencontre marquante est une sorte d’influence, d’inspiration ! Ce second album c’était l’envie de dire des choses simples dans une langue accessible à tous, celle que l’on parle dans la rue. Au Maroc, même le journal télévisé est dans un arabe proche du classique, on ne parle pas aux gens directement ! Je souhaitais avoir cette proximité avec le plus de gens possibles, qu’on comprenne ce que je dis sans pour autant être vulgaire. La darija n’est pas vulgaire. J’aime ce que fais Hoba Hhoba Spirt, qui est vraiment un groupe que j’admire. J’adore l’univers d’Ahmed Soltane, de Souad Massi ou Fatoumata Diawara. J’admire ce qu’on réussit à faire Nass El Ghiwane et Jil Jilala à l’époque. J’écris comme je parle, je chante comme je respire et je compose comme je vis avec cette liberté de pouvoir puiser dans mes racines maghrébines, arabes, africaines, amazighes, andalouses, musulmanes et judaïques.
Vous avez choisi la ville d’Essaouira pour enregistrer votre album et vous avez bénéficié du soutien d’un opérateur touristique écolo. Ce choix rejoint-il votre propre approche de la vie ?
Absolument ! Et d’ailleurs le rapprochement avec Sébastien et Marie Deflandre de l’Océan Vagabond s’est fait presque naturellement parce que nous avons cette même vision, ce même combat et cette même passion. Ils ont à réunir avec le photographe Julien Chapon, un collectif d’artistes de tous horizons soucieux de l’environnement où la poésie rime avec le vent, où la musique peut se perdre dans les dunes de Dakhla ou la plage d’Essaouira, où les dessins, le design, la peinture respirent l’air pur. La nature est très présente dans mes chansons, ce pouvoir qu’elle a de nous rappeler d’où l’on vient et que l’on n’est rien sans elle, face à elle. Et aujourd’hui, il est plus que primordiale de la respecter davantage car elle a cette force de se retourner contre nous, de nous rappeler à l’ordre si nous venions à l’oublier. Etre respectueux de l’environnement c’est être respectueux de l’humain et de ce que Dieu nous a laissé. L’abimer c’est nous abimer nous même. C’est pour cela que je suis chanceuse d’avoir des gens derrière moi respectueux de l’autre, qui me suivent, nous font confiance à mon groupe et moi. Leur combat est non seulement noble mais nécessaire. Quand à Essaouira, c’est la ville de mes ancêtres, c’est une ville qui m’a beaucoup apporté et continue encore. Elle a mis sur mon chemin des gens formidables qui ont changé ma vie à jamais…
Comment vous définissez-vous ?
C’est difficile de se définir… Je vais rapporter ce qui se dit de moi souvent : une personne joviale, optimiste et passionnée. J’ai toujours essayé de suivre mes passions, de côtoyer mes rêves tout en n’ayant pas peur de l’échec. Au contraire, les erreurs, les bas, les difficultés sont une source inépuisable d’inspiration. Ce n’est que comme cela qu’on peut aller de l’avant. Le confort et la routine sont mes pires ennemis !
Peut-on imaginer un jour Jihane Bougrine abandonner le journalisme pour se consacrer entièrement à la chanson ?
Oui c’est tout a fait imaginable ! (Rires). Si je devais faire un choix un jour, je privilégierai sûrement la musique ! La musique ne m’a jamais lâché, elle a toujours été présente dans ma vie. C’est sûrement un peu cliché, mais elle m’a même sauvé de la folie, de tomber dans le piège de la déviance. L’écriture est un besoin et le journalisme a réussi à nourrir ce besoin. C’est un métier magnifique que j’ai la chance d’exercer qui complète ce besoin artistique. Mais jamais le journalisme n’a jamais été un obstacle, ou un substitut. J’ai tout faire pour opter pour un « boulot alimentaire » qui me ressemble, qui puisse faire de moi une meilleure artiste. C’est devenue une seconde passion. Mais si j’avais l’opportunité de vivre de la musique, de m’abandonner complètement à elle pour qu’elle me donne encore et encore, je le ferai sans hésiter !
@Crédit photos Mehdi Triqui
https://www.youtube.com/watch?v=6CHLaVbA6Ac&feature=youtu.be