Résumé du film : Androman est une fille obligée par son père à vivre comme un homme, pour une question d’héritage et afin de perpétuer le métier de charbonnier qui se transmet de père en fils dans la famille. Tout se déroule selon les
plans du père, jusqu’au jour où elle rencontre un homme dont elle tombe amoureuse. Elle va alors partir à la recherche de la part féminine qui est en elle, et ce n’est qu’au cours de cette transformation qu’elle va se rendre compte de la prison dans laquelle elle vivait jusqu’à présent.
FDM : Vous avez reçu le prix de la meilleure actrice au Festival national du film de Tanger, et au Festival international du film d’Alexandrie. Ça vous fait quoi ?
Jalila Talemsi : S’agissant du prix qui m’a été remis à Tanger, je l’ai reçu comme une véritable reconnaissance, au niveau national, de mon travail d’actrice. Mais j’ai été encore plus surprise d’obtenir le titre de meilleure actrice au festival d’Alexandrie, où douze pays étaient représentés, avec notamment la participation de l’Iran, dont le cinéma me passionne ; mais aussi l’Egypte, pays porteur d’une si grande histoire et qui est, pour nous les Marocains, un modèle. C’était la 28ème édition de ce festival, presque mon âge (rires), et la première fois qu’une actrice marocaine remportait ce prix. La qualité des films était tellement élevée ! J’étais entourée de grandes comédiennes, et j’avoue avoir complètement oublié la compétition. La preuve, c’est que je n’ai pas assisté à la clôture et ai appris que j’avais gagné par une amie. C’est un vrai coup d’accélérateur pour ma carrière et cela représente aussi pour moi une grosse responsabilité, car il faudra encore mieux choisir les rôles que j’interpréterai à l’avenir.
Avez-vous passé un casting pour le rôle d’Androman ?
Je n’ai pas passé de casting, mais j’avais déjà un petit rôle dans le téléfilm d’Azlarabe Alaoui, “La poudre de Satan”, dans lequel mon personnage se fait tuer par une bande de trafiquants. Pour me préparer à cette scène, le réalisateur m’a prévenue qu’après m’avoir tuée, ils jetteraient mon corps au milieu de la chaussée. Je lui ai suggéré de jeter mon cadavredans une benne à ordures pour être plus fidèle à la violence des malfrats dans la réalité. Il a d’abord refusé, puis, après réflexion, a accepté en insistant pour me jeter lui-même dans la benne afin d’être sûr que je ne me fasse pas mal en tombant (rires). A la fin du tournage, il m’a proposé un rôle dans son long-métrage. Il m’a dit : “J’ai besoin d’une fille comme toi, qui endure, courageuse, qui ne soit pas douillette et qui soit masculine.”
Dans ce film, vous campez le rôle d’une femme qui vit toute sa vie dans la peau d’un homme. Racontez-nous les difficultés que vous avez rencontrées en interprétant ce rôle ?
Le fait de jouer un double personnage était très difficile sur tous les plans. Il fallait que je m’éloigne des clichés sur les hommes, souvent repris par les actrices au théâtre. Sans compter que je parle très peu dans le film, donc tout le langage est véhiculé par mon corps, mes postures, mon regard. L’autre difficulté de ce tournage a été de jouer aux côtés de gens qui ont une grande expérience du cinéma, et d’essayer d’être à leur hauteur. Le réalisateur m’a confié un premier rôle et ma préoccupation principale était de savoir si j’allais arriver à porter ce film. Tout ce qui est féminin en moi devait être gommé. Mais quand la transformation du personnage commence, qu’Androman part en quête de sa féminité, il était difficile pour moi, après tant d’efforts pour être un homme, de redevenir une femme… J’espère que vous me suivez (rires), car il fallait que je me transforme en femme, tout en restant très masculine.
Avez-vous été coachée pour effectuer ces mutations tant physiques que psychologiques ?
C’était un travail aussi personnel que professionnel. Je me suis inspirée de ce que je peux observer dans la société, de mon entourage masculin. Dans les montagnes où on tournait, je marchais chaque jour pendant environ une heure pour parfaire mon allure d’homme. Sinon, le réalisateur et les comédiens m’ont également prodigué de précieux conseils.
Qu’est-ce qui vous a le plus attachée à ce personnage ?
Androman est un personnage qui a vécu 24 ans dans la frustration et un beau jour, une force incroyable a émané de lui et lui a permis de libérer les femmes de la tribu dans laquelle il vivait. Même si on le détruit au quotidien, il se relève à chaque fois et en devient plus fort. Rien ne peut empêcher son ascension. C’est cette force qui m’a bouleversée et me bouleverse encore à chaque fois que je vois le film. Le mot “Androman”, en amazigh, représente un arbre qui, même si on le coupe, reste en vie et supporte les conditions climatiques les plus rudes.
Pouvez-vous nous raconter une anecdote liée au tournage ?
Un jour, j’étais invitée par des gens du village à boire le thé et au retour, je me suis perdue. J’ai demandé à un homme le chemin à suivre pour rejoindre l’équipe de tournage et il m’a répondu : “Oui, bien sûr mon frère, va tout droit et tu vas les trouver.” J’avais le crâne rasé et il m’a prise pour un homme (rires).
Quels sont vos projets pour l’avenir ? Allezvous rester dans le registre dramatique ou retourner au comique ?
J’ai commencé avec le comique en faisant du one-man-show, puis des sitcoms, des émissions, des téléfilms… toujours dans le même registre. J’avais du mal à en sortir car au Maroc, les acteurs sont catalogués.On vous colle rapidement une étiquette dont il est très difficile de se débarrasser. Jouer dans “Androman” était pour moi l’opportunité rêvée de changer de cap. Désormais, je pourrai choisir mes projets différemment et bientôt, d’ailleurs, j’interpréterai un rôle tragique dans le long-métrage d’Othman Naciri, “Echec et mat”. Sinon, je continue de jouer au théâtre, dans des pièces comiques.