Islam en Europe: Les imams rempart contre l’extrémisme

En novembre dernier, le Conseil européen des Oulémas marocains a organisé à Bruxelles, un colloque sur “le rôle de l’imam dans le contexte européen : entre défis actuels et enjeux à avenir” en mettant l’accent sur le rôle central de l’imam dans l’encadrement religieux en Europe. L’objectif de cette rencontre était de rehausser l’action des imams dans le contexte européen et de renforcer les capacités de ces derniers et des préposés religieux pour contribuer efficacement à la stabilité et à la promotion de la paix sociale dans les sociétés européennes. Détails.

Plus de 150 imams en provenance de différents pays européens, France, Allemagne, Espagne, Italie, Pays Bas et Belgique, ont assisté, le 25 novembre 2017, au colloque des Imams d’Europe organisé par le Conseil européen des Oulémas marocains (CEOM) qui s’est tenu au Square Brussels Meeting Center, en plein centre de la capitale européenne, Bruxelles. “À travers ce colloque, nous avons souhaité donner la parole aux imams d’Europe pour qu’ils s’expriment sur les problèmes relatifs à l’exercice de leur profession. Les imams sont tiraillés entre leur devoir spirituel et leur vie au sein d’une société différente ouverte à toutes les influences. Être imam au Maroc ou en Europe, c’est différent. Au Maroc, nous avons une tradition, qui gère la relation entre l’imam et la communauté. L’imam est protégé par cette tradition. En Europe, il n’y a pas de tradition islamique établie. En les invitant à partager les défis qu’ils sont appelés à relever au quotidien et à réfléchir sur les enjeux à venir, dans la perspective d’établir un état des lieux de l’action des imams, ils ont le sentiment d’être de vrais partenaires pour la consolidation du vivre-ensemble”, explique Khalid Hajji, secrétaire général du Conseil européen des Oulémas marocains, en charge de promouvoir la réflexion et l’innovation dans les domaines religieux et intellectuels avec pour objectif d’assurer un cadre de référence religieux capable d’ouvrir les voies du dialogue et de communication entre les différentes cultures au sein des sociétés européennes.

Ainsi, durant toute la journée, les imams, jeunes et moins jeunes, ont abordé les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs missions en Europe. Ils ont, en premier lieu, manifesté leur mécontentement quant à leur situation sociale et matérielle qui, selon eux, est en-deçà des exigences et des conditions de vie en Europe, limitant ainsi leurs actions au sein des mosquées et de la société en général et les empêchant d’assumer pleinement leur rôle de partenaire reconnu au sein du paysage religieux et social en Europe. Ils ont également mis l’accent sur la langue en tant que principal obstacle à la communication avec les jeunes de la communauté musulmane ou encore avec les non-musulmans. Le manque d’encadrement a aussi été l’une des principales doléances exprimées par de nombreux imams. La plupart ont déploré, en effet, l’absence de cadre légal reconnu qui définit les conditions matérielles et morales de l’exercice de leur fonction d’imam, et qui leur assure la protection juridique nécessaire dans les sociétés européennes. Ils ont ainsi demandé à ce que la fonction d’imam soit institutionnalisée afin de la rendre plus structurée et pour la protéger des dérives.

Les imams, partenaires de  la promotion du vivre-ensemble

“Actuellement, en tant que musulmans, nous vivons des tensions en Europe. Celle-ci vit dans la peur de l’Islam. Or, l’islam fait partie intégrante de l’Europe. Et nous, musulmans, devons faire de notre mieux pour aider l’Europe à sortir de cette zone de turbulences et de peur. Mais, on ne peut pas appeler la communauté musulmane à combattre le terrorisme et la radicalisation à elle seule, et faire abstraction du rôle des institutions éducatives, politiques, économique et familiales…”, souligne Khalid Hajji. Aussi, selon lui, pour faire face notamment à la radicalisation de certains jeunes, il faut prendre en considération tous ces éléments et mutualiser les efforts pour trouver un terrain d’entente et communiquer. “Apprendre la langue du pays où l’on réside est un devoir moral pour l’imam. Mais on oublie souvent que les prêcheurs les plus influents sont souvent ceux qui maîtrisent les langues européennes. D’où la nécessité d’instaurer un encadrement religieux et l’appartenance à une tradition de modération qui permettront à l‘imam de prêcher tout en comprenant la subtilité de la culture où il vit et la rhétorique acceptable dans l’espace public européen”, ajoute Khalid Hajji.

Ce dernier tient à rappeler également que si, aujourd’hui, les imams sont souvent pointés du doigt, accusés de délivrer des discours de haine et d’être la source de dérapages et de dérives, il ne faut pas oublier qu’en réalité “ils ne sont que des employés de la mosquée. C’est l’employeur qui choisit le profil d’imam. Et c’est là qu’il y a risque de dérapage. il faut savoir que dans une même ville européenne peuvent cohabiter une mosquée dirigée par un mouvement islamiste, un centre islamique financé par un pays du Golfe, une université des sciences religieuses fondée par un mécène, un organisme officiel désigné par l’État européen, des écoles qui enseignent la réforme de l’islam, une mosquée algérienne, une autre tunisienne, un lieu de prière loué par des dissidents islamistes…”, précise-t-il. Aussi, propose t-il de former les employeurs et les responsables des associations en charge des lieux de culte afin qu’ils deviennent également des acteurs clés d’intégration des musulmans dans le contexte européen.

Actuellement, le savoir-faire marocain fondé sur le rite malékite, la doctrine achâarite et le soufisme sunnite est réclamé par les pays européens. Pour répondre à cette demande, le CEOM organise régulièrement des rencontres et des sessions de formation en faveur des imams et des morchidates officiant dans des mosquées et centres culturels islamiques européens. L’objectif étant de consolider leur rôle spirituel et religieux au sein de la société européenne et les rallier à l’idée d’un islam modéré, pour qu’ils soient capables de coexister paisiblement dans le contexte européen et au sein d’une société multiculturelle, pluraliste et ouverte. “C’est un des objectifs fondamentaux de notre initiative. Les imams sont les encadreurs de la communauté musulmane et ce sont eux qui sont en mesure d’évaluer réellement la situation sur le terrain. Or, ils sont traités comme des objets d’étude qu’on ne consulte pas, alors qu’ils ont un rôle fondamental. À l’ère d’une culture numérique où il n’y a plus de frontière entre le réel et le virtuel et où l’encadrement religieux fait défaut, le rôle de l’imam n’est plus central comme il l’était auparavant. Aussi, notre but est de veiller à la réhabilitation du rôle de l’imam et son encadrement continu pour faire face à l’extrémisme religieux”, soutient Khalid Hajji.

Les morchidates au chevet de la jeunesse européenne

Sur les 150 imams présents lors de ce colloque, seules quelques femmes morchidates étaient présentes. Parmi elles, Nezha Gaouiz de Annesmasse en France, Najiha El Boujadayni de Leyde en Hollande, Naima Amaadour de Pise en Italie, et Khadija El Qaiti de Bruxelles. Toutes sont membres du conseil européen des Oulémas. En tant que morchidates, elles jouent le rôle de conseillères spirituelles, et ont pour missions : l’encadrement, l’orientation, l’information et la sensibilisation religieuses principalement auprès des populations féminines et de la jeunesse. “En plus d’enseigner aux femmes les différentes matières et les sciences islamiques et le saint Coran au niveau des mosquées, une morchida est aussi à l’écoute des problèmes personnels, quelquefois intimes, des femmes et des jeunes filles”, précise Najiha El Boujadayni qui, depuis 2008, enseigne l’arabe et les préceptes de l’islam en néerlandais aux enfants, jeunes filles et femmes de confession musulmane.

Selon elle, enseigner dans la langue du pays est certes indispensable pour que le message coranique soit bien assimilé par les jeunes générations, mais il faut plus que cela. Elle insiste ainsi sur la nécessité de s’ouvrir et de sortir des mosquées si l’on veut garantir un véritable encadrement religieux de la communauté de confession musulmane en Europe, en général, et des jeunes, en particulier, et redorer l’image de l’islam en Europe, associé aujourd’hui au terrorisme, à l’extrémisme et à la violence. Un avis que partagent les autres morchidates présentes à la rencontre. “Actuellement, une grande frange de la communauté musulmane, principalement jeune, pour s’informer sur l’islam, n’a pas recours aux mosquées mais aux réseaux sociaux, internet… Or, si nous voulons éviter que ces jeunes dévient vers l’extrémisme, on se doit de les approcher et d’en faire notre principale priorité. Et, nous ne devons en aucun cas leur imposer ou les orienter vers une pratique rigoriste. Il faut être à leur écoute. Les jeunes, surtout ceux issus de la deuxième ou troisième génération, souffrent de problèmes identitaires. Notre rôle est donc de les accompagner en leur rappelant sans cesse que tout en ayant des origines arabo-musulmanes, ils sont avant tout des citoyens européens et qu’ils doivent respecter et préserver les valeurs du pays où ils vivent car c’est leur pays également”, explique Khadija El Qaiti.

Toutes pointent du doigt le rôle des parents dans l’éducation religieuse des jeunes et dénoncent l’absence de dialogue familial. D’après elles, les parents tiennent un discours religieux simpliste et rigoriste à leurs enfants. Les jeunes, livrés à eux-mêmes, sont alors tiraillés entre ce qu’ils entendent et voient à la maison et la liberté qui existe en dehors de la maison familiale. Aussi, pour Naima Amaadour, morchida dans un centre culturel islamique à Pise, en Italie, l’accent doit être mis aujourd’hui sur cette jeunesse, si l’on veut rectifier le tir. “Ils sont l’avenir de notre communauté. Notre devoir est d’en faire des ambassadeurs d’un islam modéré et ouvert”, précise-t-elle.

Nos morchidates n’hésitent pas à investir l’espace public pour prêcher la bonne parole. Elles participent aux rencontres organisées, par des associations laïques et religieuses, dans plusieurs capitales européennes. Parallèlement, elles organisent régulièrement, chacune dans son pays respectif, des activités de sensibilisation au profit des jeunes et des familles de confession musulmane, mais aussi des non-musulmans, dans les écoles, les mosquées, les hôpitaux, durant les festivités… “Nous mélangeons les deux communautés afin qu’elles se côtoient, et pouvoir ainsi établir les vraies bases du vivre-ensemble. Aujourd’hui, l’islam est associé à la violence et au terrorisme. Aussi, en tant que musulmans en Europe, il est important que nous montrions que nous sommes là pour vivre en paix et nous devons le prouver par nos actes. Nous devons donner l’exemple mais cela ne dépend pas juste des musulmans mais de la société dans son ensemble”, souligne Nezha Gaouiz.

Cependant, si leur travail d’orientation et de proximité les a propulsés aux premiers rangs et qu’elles sont parfois, et souvent même, plus influentes que les imams du fait de leur proximité avec la communauté musulmane en dehors des mosquées, toutes déplorent le manque de considération accordée aux femmes, notamment dans les mosquées et en terme de formation religieuse. “Dans les mosquées, les Comités d’administration sont exclusivement composés d’hommes. Les femmes sont reléguées au second plan et notre voix n’est pas vraiment prise en compte. Il n’y a qu’à voir la rencontre d’aujourd’hui. Nous ne sommes que cinq femmes, alors que nous sommes toutes aussi concernées que les imams par ces questions. Nous sommes de ce fait souvent beaucoup plus proches de ce qui se passe sur le terrain que les imams qui, pour la plupart, restent cloîtrés dans leur mosquée. Malheureusement, la culture patriarcale est encore trop présente”, s’indigne Najiha El Boujadayni.

Aussi, appellent-elles à plus de mixité notamment au niveau des centres de décision des mosquées et des activités de sensibilisation. “Aujourd’hui, il est impératif de créer des comités composés d’hommes, mais aussi de femmes, de jeunes filles et garçons pour que chacun puisse s’exprimer au nom de son groupe. Les jeunes n’ont pas les mêmes aspirations que les anciennes générations. De même pour les femmes. Et encourager la mixité et l’ouverture vers l’autre ne pourra que servir l’intérêt de notre communauté. C’est pour cette raison que nous sommes venues de loin pour assister à cette rencontre, pour que la voix de la femme musulmane ait aussi sa place”, conclut Najiha El Boujadayni. 

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