Etre veuve au Maroc en 2010

Au-delà du chagrin provoqué par la perte du conjoint, la détresse et la précarité s'associent au deuil pour devenir le quotidien d'une grande majorité de veuves marocaines. Eclairage..

“LA PERTE D’UN ÉPOUX DANS LES COUCHES SOCIALES LES PLUS DÉMUNIES PRÉCÈDE INCONTESTABLEMENT UNE SÉRIE DE DRAMES TOUCHANT TOUTE LA FAMILLE.”

Affairée dans la cuisine de la grande villa où elle travaille en tant que femme de ménage, Rachida, 54 ans, affiche un sourire un peu gêné tout en continuant de vaquer à ses occupations de manière empressée. Elle ne sait pas comment raconter cet épisode sombre de sa vie. Elle finit par s’asseoir sur un tabouret, son torchon à la main, prend sa respiration et se confie enfin d’un air résigné : “Mon mari est mort il y a trois ans et demi d’un cancer du poumon. Il avait 56 ans”. Ce mari disparu, longtemps craint et détesté par sa femme en raison de sa violence, n’a rien laissé derrière lui à sa mort. “Cela n’a pas changé grand-chose à ma situation financière car je ne comptais plus sur lui depuis longtemps déjà. Aujourd’hui, je vis seule avec ma fille qui a 19 ans. Je veux absolument qu’elle poursuive ses études et j’ai bien l’intention de continuer à travailler le temps qu’il faudra pour qu’elle puisse aller au bout de ses ambitions”, explique-t-elle. Si Rachida, comme beaucoup d’autres femmes, n’a pu compter sur l’aide de personne à la mort de son conjoint, il existe cependant des cellules de soutien aux femmes en détresse et notamment l’association Mouassat. Basée à Mohammedia, Mouassat est la seule association marocaine qui se consacre exclusivement au soutien des veuves en leur fournissant une aide administrative, matérielle et psychologique. Selon Malika El Fad, Présidente fondatrice de Mouassat, la condition des veuves marocaines soulève de nombreux problèmes de société. “Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de sensibiliser les décideurs”, explique- t-elle. Et pour cause, la perte d’un époux dans les couches sociales les plus démunies précède incontestablement une série de drames touchant l’ensemble de la famille. Deux facteurs s’avèrent alors être déterminants face à l’épreuve du deuil : l’âge de la veuve et sa condition sociale. Certes, il arrive dans certains cas, que l’épouse et mère de famille échappe à la vie précaire qu’entraîne bien souvent le deuil dans son sillage, grâce à un héritage suffisamment important pour la mettre, elle et ses enfants, à l’abri du besoin. Certaines d’entre elles n’hésitent d’ailleurs pas à mettre leur expérience douloureuse à profit en intégrant des associations de soutien, non pas pour y être assistées mais pour être à l’écoute et aider d’autres femmes n’ayant pas de moyens financiers. “Leur présence et leur aide nous sont très précieuses”, confie Malika El Fad.

L’âge, un facteur aggravant

L’affaire se complique toutefois dans le cas d’une veuve d’un certain âge dont les enfants sont déjà adultes et mariés, autrement dit une femme entourée par ses enfants et pas vraiment dans le besoin. Selon la militante, 50% de ces femmes nécessitent une aide médicale car à leur âge avancé, il n’est pas rare qu’elles souffrent de maladies chroniques comme le diabète. Leurs enfants qui ont eux-mêmes une famille à nourrir ne peuvent assumer financièrement les soins coûteux qu’entraînent de telles maladies. “C’est là que nous intervenons”, précise Mme El Fad, car si l’association ne peut prendre en charge ces soins, elle oriente les personnes concernées vers d’autres structures qui pourront leur venir en aide d’un point de vue médical. Par ailleurs, bien qu’entourées, ces femmes souffrent tout de même de solitude suite à la disparition de leur conjoint. “Nous leur apportons alors un soutien psychologique, leur offrons des occasions de s’exprimer lors de réunions mais également de se divertir au cours de soirées que nous organisons pour elles”, poursuit la présidente de Mouassat. Ce soutien psychologique et médical n’a pas été nécessaire pour Aïcha, l’exception qui confirme la règle. A 64 ans, la coquette vieille femme déborde d’énergie. Son histoire ? Elle n’a aucun mal à en parler, au contraire : “Mon mari est mort il y a 12 ans des suites du diabète. Il avait alors 62 ans et j’en avais 52. Il consultait un médecin depuis quelques temps déjà et bien que celuici ne cessait de le mettre en garde, lui conseillant de suivre un régime, il n’en faisait qu’à sa tête. Les pâtisseries, le thé à la menthe… il ne voulait pas se passer de tout ça. Le jour de sa mort, rien ne laissait présager que la fin approchait. Il est rentré vers 22 h à la maison, il a dîné, regardé la télévision et il est parti se coucher. A 6 heures du matin, il m’a réveillée car il avait soif. J’ai tout de suite su en le voyant qu’il était en train de nous quitter. J’ai réveillé mes enfants et nous l’avons veillé jusqu’à sa mort”. Mère au foyer, Aïcha s’est alors retrouvée seule pour élever sept enfants, avec pour héritage la maison familiale et un agrément de taxi qui lui rapporte 1.200 dirhams par mois. “C’est suffisant pour vivre seule mais pas avec sept enfants dont certains vont encore à l’école. Comme je ne m’en sortais pas, ils ont décidé d’interrompre leurs études pour m’aider. Certains d’entre eux vivent aujourd’hui à l’étranger et ils m’envoient de l’argent. Les autres sont restés près de moi et m’aident du mieux qu’ils peuvent.”

Une précarité difficile à Surmonter

Mais si certaines arrivent à survivre grâce à un héritage ou grâce à l’aide financière de leurs proches, il n’en est pas de même pour une grande majorité de veuves. Car il existe une autre réalité… une réalité laide, douloureuse et qui ne se solde pas par un happy end. Il s’agit du quotidien d’une majorité silencieuse, celles de veuves en pleine détresse et vivant dans la misère. Aux habituelles inégalités sociales et économiques subies par ces femmes s’ajoute une troisième tare : le veuvage et son lot de drames. La perte du conjoint ne se limite pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, au chagrin causé par la perte d’un être cher. Véritable malédiction, le décès d’un époux entraîne, dans les couches sociales les plus démunies, c’est-à-dire dans la majorité des cas, de véritables fléaux auxquels la société peine à trouver remède. Ainsi, la très large majorité des veuves soutenues par l’association Mouassat correspond à un profil type, à savoir des femmes analphabètes, mères au foyer, ayant le plus souvent plus de trois ou quatre enfants, et dont le mari travaillait dans un secteur informel. Le jour où le mari décède, toutes les portes se referment devant ces femmes, et c’est une véritable descente aux enfers qui commence. Aujourd’hui, ces femmes, souvent jeunes, sont de plus en plus nombreuses à perdre leurs maris dans des morts violentes, et notamment dans des accidents de la route. C’est le cas de Fatima, dont le mari a perdu la vie, il y a à peine deux ans, fauché par une voiture alors qu’il traversait la chaussée. “Il m’a laissée avec deux enfants que je peine à élever. Je me suis réfugiée chez ma mère qui vit dans un bidonville. Notre situation est plus que précaire et le peu d’argent dont je disposais a été englouti dans les procédures judiciaires entreprises pour tenter d’obtenir des indemnités. Jusqu’ à présent en vain…”. Une situation des plus difficiles, surtout lorsque l’épouse en question était jusqu’alors mère au foyer. Dans ce cas de figure, celle-ci est contrainte de quitter son domicile pour travailler et devenir, le plus souvent, femme de ménage ou ouvrière. Ses enfants, qu’elle protégeait jusqu’alors, ne bénéficient donc plus d’aucune surveillance. Ayant beaucoup de mal à joindre les deux bouts avec un salaire précaire, cette mère va alors solliciter l’aide financière de ses enfants qui seront par conséquent déscolarisés. Grandissant sans surveillance, “beaucoup sombrent dans la délinquance”, conclut Malika El Fad. La crise économique actuelle n’est pas pour arranger les choses car c’est cette même classe sociale qui en souffre le plus. Zohra en est la preuve, elle qui travaillait en tant qu’ouvrière dans le textile dans une usine de Casablanca. “J’ai été congédiée du jour au lendemain car mes employeurs n’avaient plus les moyens de payer mon salaire”. La situation se complique davantage quand la veuve en question parvient à un âge avancé. Qui voudrait encore employer en tant qu’aide ménagère une femme de 60 ans ? Très peu de monde. Khadija en fait les frais. Congédiée par la famille qui l’employait, elle ne parvient plus à trouver un travail en raison de son âge. “Les gens préfèrent employer des jeunes filles qui ont encore la force de faire ce travail”. Seul recours pour elle : faire la manche. Mais ce scénario catastrophe peut aboutir à une situation encore plus grave pour cette mère de famille qui se retrouve très vite confrontée à un dilemme : rester intègre et ne pas satisfaire les besoins ou tout simplement les envies de ses enfants, ou s’assurer un revenu financier stable et suffisant en flirtant avec l’illégalité ? A la clé de ce dilemme, leur survie. Et c’est parce qu’elles n’ont d’autre choix que celui-ci que certaines sombrent alors dans la prostitution. En perdant leur intégrité, elles s’exposent dans le même temps à des risques : se faire arrêter par la police ou être contaminées par des MST. Leur statut social et juridique bascule, et de victimes, elles deviennent débauchées… elles sont coupables aux yeux de la justice.

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