Encore une fois, le Concert pour la Tolérance a été un total suc-cès. Bien avant le début du show, une impressionnante marée humaine avait déjà envahi la plage d’Agadir. Les organisateurs parlent de 200.000 spectateurs ! Il faut dire que l’affiche avait de quoi séduire. Une programmation riche, compo-sée de sonorités variées, a enchanté le public. Une quinzaine d’artistes et de groupes d’origines et de styles différents se sont en effet succédés sur scène, devant une foule de fans en liesse. Et ce sont les Chico & the Gyp-sies qui ont donné le coup d’envoi du concert avec un medley de leurs plus grands tubes. Ils ont littéralement fait décoller l’assistance avec leurs mythiques “Djobi Djoba”, “Bandolero”ou encore “El porompompero”.
Dany Brillant, Vigon et les autres
D’autres artistes sont ensuite mon-tés faire les honneurs de la scène : l’indémodable Michel Fugain, le crooner Dany Brillant ou encore la star du rap français Rohff. Bernard Lavilliers et VV Brown ont pour leur part fait vibrer les spectateurs en chantant en duo le titre mythique “Me-lody, tempo, harmony”. Autres duos de choc : Dany Brillant et Vincent Niclopuis Sofia Essaïdi et Julie Zenatti, qui ont interprété le titre “Yalla” du chanteur Calogero. Le Concert pour la Tolérance a encore une fois rendu hommage à Vigon, en l’accueillant pour la deuxième année consécu-tive sur sa scène. Il était accompa-gné d’Erick Bamy et Jay Kani, ses complices du trio Vigon Bamy Jay, qui a récemment sorti un album au titre évocateur : Les soul men. Les organisateurs ont également pensé à inviter, comme à chaque édition, des valeurs montantes de la scène francophone telles que Lucenzo, le Collectif Métissé, Kenza Farah, Brice Conrad et Mickaël Miro. Les chanteurs marocains étaient aussi à l’honneur à travers deux groupes de la nouvelle scène : Ribab Fusion et Fnaïre, qui ont complète-ment mis le feu !
“Laâyoune Ayniya”
by ChicoCeux et celles qui ont fait le déplace-ment pour assister au concert n’ont pas été déçus. Le show n’a pas man-qué de moments inédits et excep-tionnels. Chico & the Gypsies ont ainsi réservé au public une surprise de taille en chantant “Laâyoune Ay-niya”, titre célèbre des Jil Jilala, en un bel hommage du fondateur du groupe, Chico Bouchikhi, à son pays d’origine, le Maroc.D’autres moments forts ont par ailleurs marqué la soirée, à l’image de l’interprétation de “Heal the world”, titre phare de Michaël Jackson, par tous les artistes réunis sur la scène du Concert pour la Tolérance pour un superbe final, dans un magni-fique message de paix et de fraternité. Que de surprises, donc, pour cette neuvième édition de ce méga show qui bénéficiera, comme chaque an-née, d’une large diffusion à l’échelle mondiale. Le spectacle, qui vise avant tout à sensibiliser un public multiple au respect des différences et à la di-versité, sera en effet retransmis sur la chaîne phare du service public fran-çais France 2 ; les autres canaux du groupe diffuseront des bandes-an-nonces et des extraits. Le concert sera également multi-diffusé sur le réseau TV5 Monde et sur 2M, dès ce mois-ci. Ce sont douze millions de téléspecta-teurs qui sont ciblés. Le concert sera ainsi l’occasion de présenter le Maroc en tant que pays d’ouverture et de dia-logue entre les cultures.
Colloque en marge du concert
Le sujet était justement au cœur du débat d’un colloque en marge du concert. “Dialogue des Cultures et Culture du Dialogue”, tel était le thème de cette rencontre qui a ras-semblé, plus tôt dans la journée, des intervenants plus prestigieux les uns que les autres. Objectif : engager un échange entre les cultures et une ré-flexion sur l’identité. Bariza Khiari, vice-présidente fran-co-algérienne du sénat français et membre du groupe sénatorial d’ami-tié France-Maroc, a ouvert le débat en mettant en avant le rôle de l’artiste en tant que producteur de culture. “Les artistes nous interrogent et nous montrent les mystères de l’origine. Pour ça, nous de-vons leur être reconnaissants. Nous avons aussi le devoir de les protéger car quand les libertés publiques sont menacées, ils sont les premiers à dénoncer. On l’a vu, souvent, dans le monde arabe”. Bariza Khiari a par ailleurs insisté sur le mérite des artistes qui sont aussi “le premier barrage face à l’intolérance”, ainsi que sur l’impor-tance de l’éducation artistique dans la formation de l’individu. C’est d’éducation aussi que l’uni-versitaire, politologue et écrivain marocain Mohamed Tozy parlera lors de ce colloque. “L’éducation comme acteur de changement”, insiste-t-il. Or, comme il a tenu à le préciser, “au Maroc, il y a un énorme décalage entre la nouvelle Constitution et ce qu’on en-seigne à l’école. Les manuels scolaires portent les germes d’une culture très intolérante”. Mohamed Tozy a en ef-fet pointé du doigt les dangers que contiennent les programmes de l’éducation nationale, sans omettre d’attirer l’attention sur la manière dont ils sont enseignés.
L’école de l’intolérance
A propos de cette question des dan-gers de l’enseignement, Olivier We-ber, écrivain, diplomate et grand reporter, a pour sa part exposé l’ex-périence des medersa au Pakistan, pays qu’il vient de visiter. “Une grande majorité des medersa sont radicales. Je suis effaré du lavage de cerveaux instauré dans ce genre d’écoles”, rapporte-t-il. Ce grand reporter, qui a vécu la tolérance tout comme l’intolérance, a estimé qu’il était du devoir de la société po-litique et des O.N.G. du monde entier de combattre toutes les formes de l’extrémisme religieux : “Le dialogue des cultures est paralysé à cause des idées fondamentalistes émanant de différents courants religieux, idéologiques et poli-tiques”. Il s’est aussi longuement ar-rêté sur le concept de mondialisation. Pour lui, elle est certes tangible, mais nous ne vivons pas pour autant dans un village planétaire. “Il n’y a jamais eu autant de frontières qu’à notre époque. Je suis effaré par cette montée en puis-sance de l’intolérance”. Comment concilier globalisation et tolérance quand les identités sont me-nacées ? Telle est la question à laquelle a tenté de répondre Ahmed Sabir, doyen de la faculté d’Agadir, en exposant le cas de notre pays : “Le Maroc est une mosaïque culturelle, à travers la langue, qui est le miroir de la société”. Pour cet académicien, l’essentiel du travail doit se faire à la base : “Il est fondamen-tal aujourd’hui d’éclairer les jeunes sur les vraies valeurs du dialogue, de la diffé-rence et du multiculturalisme.
”“Islam des lumières”
L’anthropologue des religions, phi-losophe et essayiste Malek Chebel prône pour sa part un “islam des lu-mières”. Pour lui, “sur le plan concep-tuel, il n’y a aucune incompatibilité entre islam et modernité”. Et d’ajouter : “Tous les pays ont des écoles de guerre, mais au-cune n’a d’école de paix. L’islam peut être un des éléments qui militent pour cette dernière. Il est plus rentable de miser sur les capacités positives de l’islam, y com-pris dans les milieux hostiles comme c’est le cas de l’Europe laïque, plutôt que de valoriser la minorité qui génère ces petits soldats perdus de Dieu. Alors que Dieu n’en a jamais envoyé, ça, je peux vous le garantir ! Il n’a transmis que des notions de respect, de paix et de tolérance”. Le philosophe se questionnera ensuite longuement sur l’impact de la population musulmane dans le monde. “Les musulmans constituent 26 % de la population mondiale. Mais l’effet réel qu’ils produisent, au niveau des échanges pacifiques, est de 6 %. On est très en dessous de l’impact réel sur la marche du monde”. Là entre en jeu, pour lui, le rôle de la réflexion pour une culture de la paix : “Si nous n’avons pas de poids sur les plans économique et décisionnel, ayons un poids au niveau des concepts et des idées”. Pour mettre ceci en pratique, Malek Chebel pro-posera à cet effet le projet d’une école de “l’Islam des Lumières”.Pour clore ce débat passionnant, Catherine Enjolet, écrivain et pro-fesseur de lettres française, a préféré mettre en avant les définitions diffé-rentes du mot “tolérance” : “C’est glo-balement une invitation au dialogue, à la différence. Mais il ne faut pas confondre tolérance et tolérantisme, qui serait une dérive regrettable, parce que tolérer ne signifie pas tout accepter”. Et d’ajouter que le “travail de tolérance doit d’abord se faire sur soi-même, pour finalement permettre de s’adopter mutuellement, af-fectivement, par-delà tout clivage”. Avec ce colloque, l’événement franchit une nouvelle étape : celle de la rencontre riche et productive entre des intel-lectuels de renom et un public avide d’échange et de culture. â—†