selon l’article 5 de la loi n° 16-98 relativeau don, au prélèvement et àla transplantation d’organes et detissus humain, “le don ou le legs d’un organehumain est gratuit et ne peut, en aucun cas,et sous aucune forme, être rémunéré ou fairel’objet d’une transaction. Seuls sont dus lesfrais inhérents aux interventions exigées parles opérations de prélèvement et de transplantationainsi que les frais d’hospitalisation qui ysont afférents”. Oui, mais…
L’offre
Elles sont là, entre les annonces immobilièreset les opportunités commerciales.Souvent courtes, directes, sans fioritures,des mots simples qui vont à l’essentiel :“Jeune homme de 26 ans habitant Casablanca,sportif, en bonne santé, non fumeur, groupesanguin O-, vend mon rein pour des raisonsfinancières. Non sérieux s’abstenir.”Pour peu, on pencherait davantage pourune annonce matrimoniale. Mais non, cejeune Marocain, comme tant d’autres, metun de ses organes en vente. Si ce derniern’avance aucun prix, d’autres semblentplus au fait du marché. Comme Yassine, 24ans, originaire de Tétouan, qui a mis son annonceen français, en anglais et en espagnolavec un prix fixe : 60.000 euros.Lorsqu’on lui demande les raisons d’untel geste, Yassine nous parle de sa situationfamiliale et du désespoir qui le ronge face àce qu’il appelle “3icha dial zbel” (N.D.L.R. :une vie de merde). Frère aîné d’une fratriede cinq enfants, son père est aux abonnésabsents, sa mère est sans revenus, sa soeurhandicapée, et pour couronner le tout, luimêmeest chômeur de longue date. Aprèsavoir travaillé sur les marchés comme gardiende voiture, vendeur de cigarettes au détailou encore marchand ambulant, ce “donneur”de rein s’est tourné en désespoir decause vers la seule solution qui lui semblaitla plus fructueuse pour subvenir aux besoinsde sa famille. Cette idée lui est venue aprèsavoir regardé un reportage sur une chaîneespagnole. Les risques ? “On peut bien vivreavec un seul rein, non ?”, affirme-t-il avecaplomb. Déterminé, Yassine nous indiquequ’il n’a pas peur des conséquences de sonacte, que c’est un moyen “halal” de gagnersa vie et qu’il est également très confiant,puisque son propre cousin a déjà tenté l’expérienceavec succès.Oussama a 30 ans à présent, il a vendu sonrein à une riche Espagnole il y a cinq ans,non pas pour de l’argent, mais en échangede la nationalité ! C’est un rabatteur quia permis la transaction et le transportjusqu’en Europe ainsi que l’hospitalisation.Depuis, Oussama vit hors du Royaume, “ila bien reussi sa vie”, soupire Yassine. Leditrabatteur est, depuis, en prison. Aussi,notre jeune homme doit se contenterdes petites annonces en espérant que lasienne trouve acquéreur au plus vite. Ilmise sur sa proximité géographique avecl’Espagne, sur son capital santé et sa capacitéà franchir les frontières espagnolessans problème de passeport.Sur Internet, les annonces comme cellesde Yassine sont légion et les femmes ne sontpas en reste.Yasmine, 24 ans ; Souhaila, 20 ans ; Kamar,18 ans ; Houda, 28 ans ; Sara, 22 ans… Ellesont toutes en commun une jeunesse insoucianteet font face à une crise financière quiles pousse à l’extrême : chômage, parentsmalades auxquels il faut financer les traitements,enfants à charge… les raisons sontnombreuses et se ressemblent toutes. “Il vautmieux vendre une partie de son corps que soncorps tout entier, en faisant la prostituée”, justifieune jeune Marocaine de 23 ans sur le Net.Sous son annonce, les critiques pleuvent :“Va bosser comme caissière au McDo ! ”; “Entrevendre un organe et se prostituer, je ne vois pas ladifférence. Quoique la prostitution est moins dégradantepour la santé !” ; “Le travail, ce n’est paspour les chiens, va bosser ma grande !”… Maiselles passent quasi inaperçues au milieu decertains commentaires, beaucoup plus nombreux,qui valorisent davantage l’annoncede la demoiselle, comme celle de MohamedYassin : “Jeune homme, 25 ans, 63 kg, pas de cigarettes,pas de drogue, pas d’alcool, vends mon reinpour des problèmes d’argent” ; ou encore celled’Ismail, “Jeune Marocain de 29 ans, marié etdes enfants, plein de forme, svp qui est vraimentintéressé, je suis là pour vendre mon rein”.Souvent relayées dans les rubriques“faits divers” de nos médias nationaux,entre les crimes passionnels et les histoiresde “tcharmil”, ces annonces qui semblentinsolites sont en réalité révélatrices d’ungrand désespoir qui touche nombre de nosconcitoyens.On se rappelle de Hicham Jilali, ce policierde Khouribga radié pour avoir mis, enjuin dernier, son rein en vente sur Facebookafin de subvenir aux besoins de sa famille.Ou encore d’Aziz Kaissouni, cet athlètemarocain de 26 ans, contraint lui aussi demettre en vente son rein pour soigner sapetite Hind, handicapée suite à une erreurmédicale à sa naissance.Des histoires tragiques qui se ressemblenttoutes sur le fond et sur la forme, etqui témoignent d’une détresse morale etfinancière car, comme le disent certains :pour (sur)vivre, il faut vendre son corps.Qu’importe la manière.
La demande
S’il y a offre, il y a forcément demande. Et ellen’est pas si difficile à trouver. Rabatteurs oumalades désespérés, tous se tournent égalementvers Internet pour obtenir ce qu’ils recherchent: un organe à vendre. Nous avonsrépondu à l’une des annonces dont les caractèresen gras et en lettres capitales ne nousont pas laissés indifférents : “VOULEZ-VOUSVENDRE VOS ORGANES ? Contactez-nous sivous souhaitez vendre votre rein pour de l’argent.Nous sommes un hôpital spécialisé, nous traitonset Dieu offre la guérison”…Après avoir pris contact avec cet “hôpitalspécialisé” intéressé par l’achat de notrerein, nous recevons un formulaire à remplir,puis un second mail qui nous informe qu’ilfaut s’acquitter de frais d’inscription de 100 dollars avant d’être “admissible à recevoir lepremier versement de l’avance de 35.000 dollarsqui sera versée sur votre compte. Les détails de lachirurgie vous seront alors envoyés.”À la question de savoir où et commentse déroule l’opération de transplantation,notre interlocuteur nous indique que l’actechirurgical se fera en Inde, mais que tousles frais et documents de visa inhérents auvoyage ainsi que l’hébergement seront prisen charge par l’hôpital, sauf si nous souhaitonsexpressément nous faire opérer auMaroc, auquel cas cette possibilité peut égalementêtre envisagée. Bizarrement, il nousexplique que le transfert de la somme serafait par une banque située au Nigeria…Outre ce genre d’annonces, on peut aussitrès facilement entrer en contact avec des intermédiaires.Ces individus qui, comme dansn’importe quel autre business, vont mettre lesvendeurs en liaison avec les acheteurs. Il suffitpour cela de mettre une annonce en ligne et attendreque le poisson flaire l’appât. À notre petiteannonce “Jeune femme du Maroc, célibatairede 27 ans, vend son rein en urgence pour de gravesproblèmes financiers. Groupe O+. Sportive, enparfaite santé, n’ayant jamais subi de chirurgie”,nous avons reçu 15 offres dont six émanaientde “semsaras” prêts à nous mettre instantanémenten contact avec des acheteurs potentiels.L’offre peut même sembler alléchante : priseen charge totale du déplacement, hébergementtout inclus, une semaine tous frais payéspour se remettre du traumatisme de l’opérationavant le retour au Maroc.
Paradoxalement, s’il y a bien une offre etune demande réelle et croissante au Maroc,l’intervention en elle-même ne se pratiquepas (ou très peu) dans notre pays. Pour desraisons de lacunes dans l’acte chirurgical enlui-même ainsi que par manque de prise encharge, les vendeurs autant que les acheteursmarocains vont se faire opérer dansdes pays voisins (Égypte, Turquie, Espagne,Israël, Pakistan, Inde…).
Le tourisme detransplantation
Si certains de nos concitoyens sont prêtsà vendre une partie de leur corps pour desraisons financières, d’autres, plus fortunés,n’hésitent pas à braver les risques etla législation pour sauver leur vie. En effectuantce reportage, le résultat d’un sondageeffectué par FDM est sans appel : 85 % dessondés seraient prêts à acheter un organesur le marché noir si cela pouvait leur permettrede vivre, même si cela comporte desrisques non négligeables.C’est sur cette notion de “réflexe de survie”que repose ce qu’on appelle le “tourisme detransplantation”. En Chine, principalement,un client riche et désespéré, poussé par lacrainte de mourir ou celle de la perte d’un êtrecher, peut obtenir très facilement la partie ducorps désirée en y mettant le prix. Des organesgénéralement issus de prisonniers exécutés ;la Chine autorisant en effet le prélèvementdes organes sur les condamnés à mort.Selon Nancy Sheper-Hugues, fondatriced’Organ Watch (organisation en charge dela surveillance des trafics d’organes dans lemonde), “les pauvres sont devenus une banquede pièces de rechange pour le bien-être”.
Quelles solutions ?
Tel que la déclaration d’Istanbul l’a recommandéen 2008, les trafics d’organes et le tourismede transplantation doivent être interditspar tous les pays afin de réduire ces territoireset juridictions où cette activité n’estpas encore criminalisée. Au Maroc, nousavons la chance d’avoir une réglementationdes plus rigoureuses. Le deuxième élément,et le plus fondamental, tel que le recommandela déclaration de l’OMS en 2010, estla responsabilité des États de conduire les effortsà atteindre l’autosuffisance en matièrede transplantation d’organes et de tissus.Selon le professeur Mohammed BenghanemGharbi, du service de néphrologie auCHU Ibn Rochd de Casablanca, c’est la responsabilitéde tous les citoyens de participerà un mouvement national en faisant don deleurs organes. La transplantation d’organeset de tissus n’est pas uniquement une médecinede pointe, c’est avant tout un projet desociété construit sur un socle de générosité etde solidarité pour sauver des vies humaines,et il ne peut se faire sans le don. Nous sommestous invités à être des donneurs potentiels,soit durant notre vie, en faveur d’un membrede notre famille, soit après notre décès, en faveurd’un membre de notre société. â—†