En 2018, Chadia Arab a publié “Dames de fraises, doigts de fée, les invisibles de la migration saisonnière marocaine en Espagne”. Presque à la même période éclate l’affaire des saisonnières marocaines victimes d’agressions sexuelles et de viol. “Ces affaires ont donné de la visibilité à mon livre, et de la visibilité à ces femmes”, dit-elle. Grâce à ses enquêtes sur le terrain et à son expertise en tant que géographe et chercheuse au CNRS d’Angers, Chadia Arab a mis le doigt sur une problématique occultée par tous. Car avant que l’affaire des saisonnières n’éclate au grand jour, ces Marocaines analphabètes, explique la chercheuse, étaient présentées comme un modèle à suivre. “Mais quand on creuse un peu, on se rend compte que le mécanisme ne fonctionne pas, et que la parole de ces femmes n’a jamais été entendue. On a utilisé leur force, leur travail, leurs doigts de fées pour ramasser ces fraises et on n’a jamais écouté les problématiques liées à cette migration”, martèle-t-elle. “Je suis contente qu’un mal ait permis de sortir de l’ombre des femmes qu’on ne voyait pas, qu’on n’entendait pas, et sur lesquelles on avait très peu envie de travailler ou d’améliorer leurs conditions de travail”, précise-t-elle.
L’ouvrage traduit en espagnol et en italien et publié au Maroc pour en permettre l’accessibilité au plus grand nombre a même inspiré des plaidoiries. Le succès du livre est dû, non seulement à la thématique traitée mais aussi et surtout de la démarche choisie, car Chadia Arab s’intéresse à l’humain. “Quand on travaille sur les questions migratoires, on ne peut pas rester dans sa tour d’ivoire à écrire des livres… On doit se mettre en difficulté…”
La chercheuse a choisi dans ses travaux l’observation participative. Autrement dit, “l’objet de recherche devient un sujet qu’on n’étudie pas seulement de l’extérieur mais avec laquelle on interagit.” C’est dans ce sens qu’elle privilégie l’immersion totale pendant une dizaine de jours ou plus et garde le contact avec ses sujets de recherche dans leurs lieux d’installation ou de vie. C’est cette même approche que la chercheuse a adopté pour ses travaux précédents, que ce soit “Les harragas” ou encore “Les Aït Ayad”.
Les circulations migratoires sont toujours au cœur des travaux de Chadia Arab qui planche actuellement sur la thématique des Marocaines des pays du Golfe. Ce travail qu’elle mène avec l’anthropologue Nassima Moujoud vise à déconstruire l’image de la prostituée qui colle à la Marocaine pour dévoiler des parcours forts de femmes qualifiées qui luttent et résistent. La touche engagée de Chadia Arab se révèle dans toutes les thématiques abordées. “Si j’étais née et suis restée dans le village de mes parents (son père a immigré en France en 1965 et sa mère l’a rejoint en 1972, NDLR), je n’aurais pas fait ce que je fais aujourd’hui. J’ai un devoir en tant que chercheuse de travailler sur ces sujets et c’est aussi ma manière de m’engager”, dit-elle. Comme elle l’a déjà fait pour les saisonnières, Chadia Arab essaie, dit-elle de “déconstruire ces stigmates de la femme facile qui nous collent à la peau.”