Baiser de Nador : un (d)ébat de trop ?

Chaque mois autour d'un café, FDM discute avec des jeunes d'un sujet qui les intéresse. L'affaire des adolescents de Nador inquiète. Poursuivis en justice pour avoir publié la photo d'un baiser sur Facebook, ils risquent de deux à trois ans de prison. Sur le Web et dans les médias, les réactions fusent. Un "kiss-in" a même été organisé à Rabat. Interrogés sur l'affaire, des jeunes réagissent.

Publier la photo d’un baiser sur le Web est-il condamnable ?

Abouammar : si l’acte de s’embrasser ne peut être condamnable, comment la publica-tion d’une photo peut-elle l’être ? Et si donner un baiser s’avère être un crime, alors cela ne fait qu’alimenter notre schizophrénie sociale légendaire. Tout le monde s’embrasse au Ma-roc. C’est un pays plein d’amour. Je suis outré de voir à quel point un simple bisou a réussi à bousculer l’opinion publique. Il a même été qualifié d’attentat à la pudeur ! Si c’est le cas, que doit-on dire des bordels ? Pourquoi un baiser gêne-t-il, contrairement au tourisme sexuel ? Ce qui s’est passé est déplorable. D’ailleurs, j’incite les Marocains à s’embrasser et à s’aimer. Pour revenir à la question initiale, je dirais que publier une photo, quelle qu’elle soit, ne peut en aucun cas être condamnable. Les profils Facebook sont censés être privés. En plus, comment reconnaît-on un attentat à la pudeur ? Quelles sont les règles ?

Kaouthar : alors que des criminels sont toujours en liberté, on s’acharne sur de pauvres adolescents qui ont eu l’insou-ciance de poster une photo de leur baiser sur un réseau social. En plus, ce ne sont même pas eux qui l’ont publiée, mais l’auteur de celle-ci. Pourquoi ne déploie-t-on pas la même énergie pour traquer les délinquants ou les barons de la drogue ? Je pense que les autorités ont d’autres chats à fouetter que de faire une fixette sur trois pauvres adolescents. Cette affaire a d’ailleurs bou-leversé l’opinion publique et attisé la co-lère des conservateurs. Nous sommes tous différents les uns des autres, mais nous vi-vons dans une seule société. Nous devons respecter nos divergences. Traîner des enfants en justice est une perte de temps. Ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une atteinte à la pudeur sont-ils des saints ? Je comprends qu’on puisse être choqué en voyant un baiser en public, mais réagir avec autant de violence me dépasse.

Youssef : pourquoi condamne-t-on le bisou des adolescents de Nador et pas les scènes d’amour des feuilletons turcs et mexicains dif-fusés sur les chaînes nationales ? Les familles marocaines n’ont apparemment aucun mal à voir des baisers. L’association qui a dénoncé ces pauvres ados n’était-elle pas censée dé-fendre les libertés individuelles ? Son prési-dent, Fayçal El Marsi, qui se proclame garant de la pudeur, n’a pourtant pas pris position lors du Daniel Gate. Je me demande si l’amplifica-tion de cette affaire n’a pas été orchestrée afin de détourner l’attention portée sur Ali Anouz-la, et diviser l’opinion publique.

Kaouthar : personne n’a le droit de dicter quoi que ce soit à qui que ce soit. Je pense que Fayçal El Marsi s’est tout simplement offert son petit moment de gloire, pour parler de lui et de son association. Il n’a fait que soulever un débat creux.

Ces violentes réactions ne sont-elles finalement pas la preuve que le pari des libertés individuelles n’est pas gagné ?

Abouammar : au contraire, je pense que le débat sur les libertés individuelles est plus que jamais d’actualité ! C’est un combat en cours. Rien n’est figé. Par exemple, “L’felsafa f’zenka”(événement culturel où des jeunes discutent de philosophie en public, N.D.L.R.) continu d’exister même si au départ, les au-torités s’y opposaient. Un autre exemple : ce-lui de “L’Boulevard”, qui était contesté à ses débuts alors que maintenant, il est légitime. Le combat n’est pas perdu. C’est normal qu’il y ait deux courants : les conservateurs et les progressistes. C’est justement ce qui permet à la cause d’être débattue.Kaouthar : il y a toujours des gens pour et d’autres contre. Tout ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est important de camper sur sa position, quoi qu’il arrive. La résistance est la clé du changement.

Youssef : le débat sur les libertés indivi-duelles continuera grâce, notamment, au choc entre les deux courants susmentionnés. Le problème, c’est que la société marocaine est schizophrène, comme tout le monde le sait. A titre d’exemple, le Maroc est au-jourd’hui un grand producteur d’alcool, alors que nous avons un gouvernement islamiste !

Organiser un “kiss-in” est-il le meilleur moyen de servir la cause ?

Kaouthar : ce n’était pas le seul moyen de ri-poste. Certains ont pris la parole sur les blogs et les journaux. Certes, le “kiss-in” a pu choquer les âmes sensibles, mais la provocation est sou-vent une bonne chose. Quand tu heurtes les gens, tu les pousses à réagir. Généralement, les Marocains sont très complaisants et n’osent pas se prononcer. Cette manifestation a donné à l’affaire une autre dimension. Les médias in-ternationaux en ont également parlé.

Abouammar : le bisou pose problème quand il est associé à un événement. Peut-être que le “kiss-in” n’est pas la meilleure manière d’agir. Mais il a au moins servi à faire réagir. Les médecins utilisent l’électrochoc pour réanimer un cœur prêt à lâcher. Le Mou-vement du 20 février a aussi choqué, mais il a réussi à créer une dynamique. Qu’on soit pour ou contre, l’essentiel est qu’il y ait polémique. Ensuite, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Quand le débat d’opinions cède la place à l’usage de la force, sous prétexte que notre religion a posé des interdits qu’on ne doit pas transgresser, les problèmes surgissent. Ceux qui sont hermétiques à tout échange d’idées se basent sur l’islam pour justifier leur posi-tion. Personnellement, j’aimerais leur poser une question : pourquoi ne se sont-ils pas ma-nifestés le jour où un fquihcomme Maghraoui a sorti sa fameuse fatwa autorisant le mariage des fillettes de 9 ans ? J’ai l’impression que cette histoire des ados de Nador a été surex-posée. S’embrasser en public n’est pas une pratique qui fait partie de nos mœurs, mais c’est un débat qui a lieu d’être, et chacun est libre de se dire pour ou contre.

Kaouthar : je suis pour le débat aussi, mais sans la violence. A la base, quand quelqu’un est incapable d’échanger sereinement et qu’il ne sait imposer ses idées qu’à travers la violence, il est forcément en po-sition de faiblesse.

Youssef : l’idée du “kiss-in” est bonne, mais pas le ti-ming. Ceux qui ont initié cette idée auraient dû, à mon avis, élargir le débat pour englober toutes les libertés, y compris la liberté d’expression, en condamnant l’ar-restation du journaliste Ali Anouzla, entre autres. En limitant la discussion à l’affaire du baiser, la société ma-rocaine s’est divisée en deux, et ce n’est pas dans notre intérêt. Rappelez-vous, il y a trois mois, tous les Maro-cains étaient d’accord pour condamner la grâce royale dont avait bénéficié le pédophile espagnol. Beaucoup ont changé de camp pour l’histoire de Nador. Et le pire, c’est que parmi ceux qui condamnent ces ados, on re-trouve des gens qui boivent, qui fument et qui s’éclatent comme ils veulent, mais qui changent de discours dès qu’il s’agit de prendre position. En fait, les Marocains ont un problème avec le sexe, et avec le corps de manière plus générale. Déjà, on n’a pas d’éducation sexuelle et puis, on est imprégnés par la notion de hchouma.

A-t-on le droit, finalement, de remettre en question les croyances des uns et des autres ?

Abouammar : tu remets en question les croyances de l’autre si tu lui demandes de faire comme toi. Mais là, personne n’exige de faire comme les jeunes de Nador en donnant un baiser en public et en postant la photo sur Facebook. Si moi je trouve que c’est normal, et même légitime, d’embrasser ma petite amie devant tout le monde, je n’impose à personne d’en faire de même. Le problème se pose quand l’autre m’oblige à changer de comportement, sous peine de me taxer d’athée. Il faut qu’on arrête de se voiler la face et de vivre dans l’hypo-crisie. C’est trop facile de brandir à chaque fois la carte de la religion. Quelqu’un serait-il capable de me faire le portrait du musulman parfait ? Il n’y en a pas ! J’appelle les gens à être plus ouverts au débat, parce que sinon, jamais notre société n’évoluera. Il faut cesser de catalo-guer les individus et de croire à cette fameuse exception marocaine, parce qu’elle n’existe pas. Le Marocain est pluriel, c’est désormais inscrit dans la Constitution.

Youssef : le Maroc est un Etat musulman modéré, qui est censé accepter l’autre, qu’il soit athée, juif, chrétien ou autre. Quand on remonte dans l’histoire, on se rend compte que l’islam était beaucoup plus tolérant. Au quatrième siècle de l’hégire, on raconte qu’à Bagdad, musulmans et athées se rencontraient à la mosquée pour débattre de leurs croyances. Aujourd’hui, on est en 2013, et on a toujours du mal à tolérer qu’un Maro-cain soit athée. Autre chose : j’ai l’impression que, pour jouir de toutes mes libertés au Maroc, il faudrait que je m’appelle David ou avoir un passeport étranger. La preuve ? Les gens tolèrent que deux Européens s’em-brassent dans la rue, mais ils s’indignent si ce sont des Marocains qui osent le faire. Ils seraient même capables de les lyncher sur le champ ! â—†

À Rabat, le féminisme intergénérationnel était au cœur d’un séminaire inédit organisé par la Coalition Génération Genre Maroc. Militantes de
C’est l’un des films événement de cette fin d’année 2024 ! « Mufasa : Le Roi Lion », très
Cet hiver, The View Bouznika, idéalement situé en bord de mer à 30min de Casablanca et de Rabat, se pare
1-54 Contemporary African Art Fair, la plus grande plateforme mondiale pour l'art contemporain d'Afrique et de la diaspora africaine, se
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4