La rentrée scolaire est un bon repère pour se rendre compte que son enfant a grandi. C’est un sentiment qui engendre tendresse, fierté et ambivalence : on oscille entre le désir de voir son rejeton s’autonomiser – ce qui se traduit par un allègement des obligations incombant aux parents ! – et celui de le garder tout contre soi comme quand il était petit. Difficile de trouver le point d’équilibre ; certains poussent leur enfant de façon quelque peu prématurée vers l’autonomie (surtout quand il s’agit de l’aîné ou d’un enfant unique), d’autres le maintiennent volontairement sous leur coupe. Or, quel que soit l’âge, une dépendance excessive se révèle aussi dangereuse affectivement et physiquement pour l’enfant qu’une séparation précoce. Un certain “contrôle”, assurent les psys, reste indiscutablement nécessaire pour accéder progressivement à l’indépendance qui, si elle est trop précipitée, sépare encore davantage les parents de leur progéniture car elle nourrit le besoin de réassurance affective de l’enfant. Autonomie se conjugue aussi avec contraintes. Dans la conquête d’indépendance de son enfant, il y a une part de risques à accepter : la rue, l’argent dépensé à tort et à travers, les leçons mal apprises, les sorties avec des copains dont on craint l’influence, etc. ; et une part de limites à poser. Si le chemin vers une autonomie pleine et entière reste jalonné d’obstacles et de difficultés conscientes ou inconscientes, un enfant est bien mieux à même de se débrouiller que nous ne le pensons. Particulièrement si nous l’avons averti de ce qu’il faut faire et ne pas faire et si nous lui accordons notre confiance. Tour d’horizon de certaines situations clés, balises vers l’autonomie.
Rester seul à la maison
Dès que l’enfant connaît le fonctionnement de la maison (fermer à clef la porte d’entrée, téléphoner, se repérer dans l’immeuble, dans le quartier), il est prêt à rester seul. Certains adorent, d’autres pas. A partir de 7-8 ans, si l’enfant est d’accord, les parents peuvent tenter l’expérience. On peut commencer par petites doses : absence d’un petit quart d’heure, grosses courses au supermarché, dîner chez les amis, etc. Il faut tenter d’évaluer en finesse l’inquiétude de l’enfant, le sentiment parfois confus de solitude que cette situation engendre chez lui, doublé par l’impression de ne plus susciter l’intérêt de ses parents maintenant qu’il se débrouille. Si on sent poindre chez son enfant un vague à l’âme de cet ordre ou s’il en parle, mieux vaut repousser l’échéance de quelques mois et continuer à organiser une présence autour de lui. Les spécialistes estiment que c’est aux alentours de 10 ans qu’un enfant peut vraiment se garder tout seul. Ces mêmes professionnels mettent en garde contre la demande parentale de prise en charge des petits par leurs aînés. Cette responsabilité peut angoisser le frère ou la soeur plus âgé(e) : imaginez s’il arrivait quelque chose ! Il ne faut pas systématiquement charger le doyen de garder ses cadets jusqu’à tant que le plus jeune soit en mesure de se garder seul. Ensuite, les deux enfants pourront se tenir compagnie, ce qui est psychologiquement très différent !
Affronter la rue
Aller à l’école tout seul – si la famille habite à proximité – voilà le vrai début de l’indépendance ! Mais carrefours encombrés à traverser ou rencontres indésirables à craindre, aller seul(e) à l’école reste une aventure qui peut s’avérer dangereuse bien que les enfants n’en perçoivent pas toujours les risques. Pour les rendre autonomes, il faut donc les mettre suffisamment en garde. Avant l’âge de 7 ans, difficile de lâcher un enfant dans la jungle de la circulation ; tout n’est encore prétexte qu’à jouer. Il ne maîtrise pas son impulsivité et ne mesure pas les conséquences de ses actes.
Donner de l’argent de poche à son enfant de façon régulière est incontestablement l’une des clefs de son autonomie. Autre paramètre dont il faut tenir compte : son champ de vision est réduit de moitié jusqu’à environ 8 ans. Il a du mal à estimer les mouvements et les distances et il confond facilement la taille et l’éloignement : il voit la voiture plus loin qu’elle ne l’est réellement. D’autre part, il localise mal l’origine des bruits. Le niveau de maturité physiologique nécessaire pour faire face aux dangers de la rue progresse à grands pas entre 8 et 10 ans. Maîtrisant mieux ses émotions, l’enfant parvient, dans le feu de l’action, à garder en tête la mémoire des consignes qu’il a reçues (se tenir éloigné du bord du trottoir, traverser la rue sur les clous tout en étant attentif aux bruits…). On doit encore le cadrer, mais de plus loin… La maturité visuelle qui permet à l’enfant d’être complètement autonome dans la rue s’acquiert vers 10-11 ans. Le hic, c’est que c’est aussi l’âge où l’enfant entre dans une zone de turbulence psychologique avec une recherche du danger. Les pré-ados meurent d’envie de sortir, de bouger, de se balader, bref de traîner avant de rentrer. Il faut les informer des dangers sans les angoisser : agression physique ou sexuelle, racket… Pour ce faire, le docteur Benjelloun, pédiatre, rappelle qu’il ne suffit pas de lui dire de ne pas suivre un inconnu ou de ne pas parler aux étrangers. Il faut clairement lui dire : “Si tu es seul(e), n’accepte rien d’un inconnu. Ne laisse pas un grand ou un adulte t’approcher d’une manière qui n’est pas appropriée. Si cela arrive, crie, manifeste-toi, appelle au secours même s’il te paraît gentil et/ou qu’il te connaît, tu dois absolument nous en parler”.
Gérer son argent
Donner de l’argent de poche à son enfant est incontestablement une des clefs de son autonomie. Il s’agit d’une bonne habitude à prendre dès que l’enfant sait compter et qu’il est capable de s’acheter quelque chose tout en contrôlant la monnaie qu’on lui rend, vers 7-8 ans. L’enfant doit réaliser que recevoir de l’argent de poche est un privilège et non un droit, que cela peut lui être retiré si nécessaire (punition, problèmes financiers…). Les parents doivent veiller à ce que l’argent de poche soit versé régulièrement car l’entrée périodique de fonds permet l’acquisition de notions clés telles que la planification et l’épargne. Les spécialistes recommandent d’éviter d’accorder une avance car cela revient à inciter les enfants à se servir d’une sorte de carte de crédit. Ces derniers doivent apprendre assez tôt ce que signifie gérer ses finances : je ne dépense pas plus que ce que je gagne. Pour réussir le pari de l’autonomie financière, il ne faut pas intervenir sur le petit pécule que l’enfant constitue sauf s’il s’agit d’une grosse somme pour un achat précis qui peut alors susciter une discussion en famille. L’enfant doit être maître de l’argent dont il dispose ; qu’il le perde, l’économise ou le dépense pour des futilités, il doit faire lui-même ses expériences.
Faire ses devoirs tout(e) seul(e)
Faire systématiquement le travail scolaire avec son enfant l’empêche, d’une certaine manière, de prendre son indépendance. Habitude oblige, on se persuade qu’on est indispensable et qu’il ne peut rien accomplir sans notre aide. Un vrai cercle vicieux. Alors comment l’aider à apprendre à travailler seul ? Wafae Al Montassir, didacticienne, propose : “Plutôt que de l’assister, on peut se glisser dans la peau d’un conseiller. Aider son enfant, ce n’est pas lui dire ce qu’il a à faire et encore moins le faire à sa place. Pour mieux apprendre, un des moyens consiste à consacrer une pause pour réfléchir à la façon dont il s’y est pris pour réussir sa dictée, sa rédaction ou son contrôle de maths. Il pourra ensuite réutiliser ces méthodes”. De même, s’il a obtenu une mauvaise note, on peut réexaminer avec lui sa manière de travailler, l’inciter à revenir sur ses erreurs et à comprendre pourquoi il a échoué. Cela l’aidera davantage à prendre son envol que de multiplier les exercices de façon rébarbative. Dès qu’ils mettent le pied dans la cour du collège, nombreux sont les pré-ados qui refusent que leurs parents jettent un oeil à leurs affaires scolaires. Un excellent moyen pour ne pas relâcher l’attention parentale : conserver des liens réguliers avec le collège, le staff des professeurs. L’enfant sent ainsi l’intérêt que les parents portent, non pas à sa stricte scolarité – en gros à ses notes ! -mais à tout son univers éducatif.
Sortir avec les copains
Dès leur naissance, et pendant de longues années, les parents restent le centre du monde de leur enfant. Puis, progressivement, les copains et copines prennent plus de place dans sa vie. Ses choix ne sont plus les mêmes que les vôtres, il prend de la distance. Comment l’aider, par l’intermédiaire des relations qu’il va engranger au fil de son adolescence, à accéder à une vraie autonomie sociale ?
A partir de 11-12 ans, les collégiens veulent se retrouver entre eux. Ces rencontres accélèrent leur autonomie et leur apprentissage de la vie. Selon leur âge et le type de sorties, il faut moduler la tolérance parentale et fixer clairement les jours et les horaires où l’on autorise ses virées. Vers 15-16 ans, il devient très problématique d’imposer son veto de parent aux multiples sorties. Pas toujours évident de savoir où ils se trouvent ni avec qui. Madame Benjelloun recommande aux parents déboussolés de tenir le discours suivant à leurs ados : “Je veux savoir où tu es, avec qui tu es. Non pas parce que je ne te fais pas confiance, mais parce que je suis inquiète”. Et se dire et se redire à soi-même (pour s’en convaincre !) qu’on ne peut pas supprimer tous les risques. Il nous faut garder en tête, nous parents, que lorsque nous respectons leur autonomie, nos enfants ne vont pas vers l’excès. Ils ne sont tentés par la transgression que si les limites imposées sont trop rigides. â–