FDM : Vos prouesses sont connues et reconnues dans le microcosme médical. Quel est votre parcours ?
Asmaa Khaled : J’ai fait mes études à la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca. Après mon doctorat en médecine générale, j’ai suivi une formation en médecine d’urgence au sein du même établissement. Ensuite, j’ai intégré l’université Sheikh Anta Diop de Dakar, où j’ai eu l’opportunité d’être mise face à d’autres réalités et de bénéficier d’un enseignement nouveau pendant cinq ans, avant de rentrer au Maroc où j’ai exercé en tant que médecin libéral. Mais la soif d’apprendre m’a très vite rattrapée. J’ai donc décidé de m’envoler pour la France, où j’ai immédiatement commencé à travailler, tout en continuant de suivre des formations en parallèle. Aujourd’hui, je travaille au service cardio-vasculaire de l’hôpital Henri Mondor, à Créteil.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’hypnose ?
C’est une discipline qui m’a toujours fascinée, et ce, depuis mes années d’études à la faculté de médecine. L’hypnose, bien que ses vertus soient reconnues par les médecins, n’est malheureusement pas enseignée durant le parcours universitaire classique. J’ai donc appris les bases au Maroc, chez le docteur Aboubakr Harakat, qui m’a initiée et aidée à améliorer ma technique. Je considère l’hypnose comme étant un outil important de travail. Mais c’est en France que j’ai pu développer la pratique et en faire un moyen d’anesthésie efficace.
Vous avez hypnotisé une patiente atteinte d’un cancer pour l’amener à chanter durant l’opération chirurgicale. Une première mondiale…
Je pratique l’hypnose depuis très longtemps. Mais ce cas est une première mondiale car nous avons pu amener cette patiente, qui était chanteuse professionnelle, à utiliser sa voix comme moyen de monitorage peropératoire. Cela nous a permis de localiser sa tumeur et de mieux la maîtriser. Je l’ai donc mise en transe hypnotique durant son intervention pour l’inciter à chanter, ce qui a permis de guider le geste du chirurgien.
Comment êtes-vous parvenue à l’amener en transe hypnotique ?
Dans un entretien préparatoire, nous avons discuté des moments heureux de sa vie. Elle m’a donc parlé des personnes et des lieux auxquels elle tient. Pour la mettre en transe hypnotique, j’ai choisi de l’emmener au Sénégal, un retour vers ses racines. Elle était hypnotisée et ne ressentait donc pas de douleurs, mais plutôt certaines sensations de toucher. à ce moment-là, la piqûre de l’intraveineuse équivalait à celle d’un moustique. Alors que le chirurgien atteignait les tissus profonds du cou, je lui parlais d’un collier de scène en noix de coco lourd et dur. Suite à sa demande, je lui ai également fait revivre la naissance de son fils au moment d’extirper sa tumeur.
Vous employez l’hypnose pour certaines chirurgies cardio-vasculaires. À quel point est-ce nécessaire pour ce genre d’opérations ?
La chirurgie cardiaque est très lourde. D’ailleurs, nos patients sont les premiers à bénéficier de ce mode de prise en charge anesthésique. Les interventions que nous réalisons consistent à implanter une bioprothèse valvulaire aortique en remplaçant les produits anesthésiants et vaso-constricteurs par l’hypnose. En d’autres termes, il s’agit de détruire la valve aortique calcifiée, et de la remplacer par une bioprothèse. La procédure d’anesthésie classique comporte des risques élevés pour le cœur déjà fragilisé des patients. L’hypnose permet donc de limiter la survenue de certaines complications. Nous sommes d’ailleurs en cours de réalisation d’une étude dans ce sens. Nous attendons les résultats que nous souhaitons favorables.
Est-ce que tout le monde est réceptif à l’hypnose ?
Il faut savoir que l’hypnose est un état naturel reproductible chez tout le monde. Par exemple, si on emprunte le même trajet tous les jours, on finit par s’y habituer et arriver à destination sans vraiment s’en rendre compte. C’est un peu le principe de cette science. Concernant l’hypnose à des fins chirurgicales, elle ne doit pas être très profonde, pour permettre une anesthésie locale. L’intérêt est que l’intervention, dont la durée varie généralement de deux à cinq heures, se déroule dans de bonnes conditions. On ne propose ce mode d’anesthésie que quand il représente le moyen de sécurité ultime, surtout quand le patient est extrêmement fragile. C’était d’ailleurs le cas de la chanteuse, qui avait une tumeur qui se confondait avec les nerfs, car ils avaient visuellement la même texture. C’est une technique que nous proposons aux malades avec une explication très simplifiée et approfondie, tout en précisant qu’il y a un éventuel risque de recourir à une anesthésie générale classique. On ne réalise l’hypnose qu’après l’approbation des patients.
Est-ce qu’il arrive que les patients demandent eux-mêmes ce type d’anesthésie ?
Les patients bénéficient tous d’une consultation pré-anesthésique standard, quel que soit le mode d’anesthésie que nous allons leur proposer. C’est lors de cet échange que nous jugeons de l’aptitude de la personne à recevoir une anesthésie. Certains ont parfois un risque de mortalité sous anesthésie allant de 10 à 15%, ce qui est énorme compte tenu du fait que la norme est de 1 %. Donc, pour les patients chez qui l’hypnose constitue une mesure de sécurité supplémentaire, nous la proposons d’emblée. On leur explique les avantages et les inconvénients liés à cette pratique, sans omettre de leur parler des différentes alternatives conventionnelles. Sinon, il nous arrive de recevoir des personnes qui nous ont été adressées spécialement pour l’hypnose par leur médecin traitant.
Avez-vous été sollicitée par d’autres établissements, en France ou à l’étranger ?
Nous avons en effet été sollicités par plusieurs patients de pays étrangers qui ont demandé à se faire opérer à l’hôpital Henri Mondor. Nous avons eu des demandes émanant d’un peu partout dans le monde. Mais nous souhaitons mettre en place un dispositif nous permettant de mobiliser toute notre équipe, pour pouvoir nous déplacer et proposer ce mode de prise en charge aux patients qui en ont besoin. Par contre, je n’ai pas été sollicitée au Maroc.