FDM : Quelques mots sur vous ?
Anass Yakine : J’ai 25 ans et je suis documentariste. J’ai passé deux ans à la fac d’économie avant de m’apercevoir que ma vie ne valait rien. Je me posais des questions sur moi, sur la vie que je menais. Je me suis rendu compte que je me contentais d’exister… J’ai donc décidé d’aller au bout de mes rêves et d’allier ma passion à mon travail. Comme je m’intéressais beaucoup à la photographie et au voyage, j’ai décidé de devenir réalisateur de documentaires. J’ai laissé tomber la fac et j’ai commencé à m’intéresser à la réalisation, à la photo et à parcourir le Maroc à pied.
D’où vous vient ce tempérament de globe-trotteur ?
Voyager, c’est un rêve d’enfant. A l’âge de 12 ans déjà, j’étais fasciné par un très grand voyageur français, Théodore Monod, qui partait à la recherche des secrets du désert ; alors qu’à l’école, on nous apprenait au contraire que ce dernier était synonyme de vide. Du coup, ça a attisé ma curiosité et je me suis demandé ce que ce monsieur pouvait bien chercher… C’est ainsi qu’est née en moi l’envie de voyager. Puis, à 20 ans, j’ai eu le déclic.
En quoi consiste exactement votre projet ?
A marcher de Dakhla à Tanger, en passant par Casablanca et Oujda, un voyage de 5.000 kilomètres qui durera un an. Je marcherai 20 à 30 kilomètres par jour, dormirai chez l’habitant quand c’est possible, sinon à la belle étoile, sous ma tente. J’irai à la rencontre des gens les plus simples. Le premier objectif de ce voyage est de réaliser un documentaire sur le Maroc. Je ne pars pas seul, mais accompagné de mon chien et ma peluche.
C’est quoi cette histoire de peluche ?
C’est elle qui partira à la rencontre des gens, et plus particulièrement des enfants, se prendra en photos avec eux et fera tout au long du voyage ses commentaires. Cette peluche, c’est une créature parfaite, qui n’a jamais fait de mal à personne et qui pourra donc se permettre de faire sa critique de l’être humain, ou plutôt de l’être marocain. Je me servirai d’elle pour faire passer mes messages car au moins, on ne pourra rien me reprocher. Je me suis rendu compte que les gens acceptaient très mal qu’on puisse émettre des avis sur leur mode de vie, et lorsque je suis passé sur la deuxième chaîne dernièrement, que j’ai exprimé mon désaccord avec ce système qui fait qu’on étudie 20 ans pour en travailler 40 et mourir, j’ai reçu beaucoup de messages de gens qui me demandaient pour qui je me prenais pour oser parler ainsi. Du coup, j’ai eu l’idée de ce nounours qui lui, a le droit de ne pas aimer certaines choses, et surtout de le dire.
Comment votre entourage réagit-il ?
Mes parents sont très ouverts et compréhensifs. Ils m’ont accordé la liberté de choisir ce que je veux, à condition d’assumer ensuite. Mais mon entourage n’a pas fait preuve d’autant d’ouverture d’esprit, d’autant plus lorsque j’ai arrêté mes études, chose inimaginable au Maroc quand de surcroît, c’est pour marcher à travers le pays ! J’entends souvent : “Il a arrêté ses études, ça y est, il est perdu… Et en plus, il veut partir ! Le pauvre… (rires)”
Quelles sont les contraintes de ce voyage ?
Le fait de décider d’entamer un tel périple au Maroc est en soi une contrainte ! A l’origine, je voulais commencer mon voyage à partir de Lagouira, en janvier dernier. Je me suis donc rendu à Dakhla où le wali m’a dit qu’il fallait que je déclare mon passage aux autorités, et que j’avais besoin d’un visa mauritanien. J’ai dû rentrer à Casablanca où on m’a annoncé que le ministère de l’Intérieur me fournirait une autorisation pour aller à Lagouira, sans passer par la Mauritanie. S’en sont suivis des semaines et des mois de “sir hta tji” dans les administrations et les ministères… Puis, ils ont décidé de mener une enquête sur moi et les policiers débarquaient régulièrement à mon domicile. Enquête à la suite de laquelle on m’a accusé d’appartenir au Polisario, d’être un espion. Pour eux, le fait de décider d’aller à Lagouira est à ce point bizarre… Deuxième élément suspect : je n’emmène pas avec moi un drapeau marocain car je préfère voyager léger et emporter une bouteille d’eau à la place. Personnellement, je voyage au Maroc, je pars à la rencontre des Marocains et je ne vois pas l’intérêt d’en prendre un avec moi ! Troisième chose : je me suis rendu en Algérie il y a quelque temps, mais c’était pour soutenir l’équipenationale marocaine et en plus, je portais un maillot aux couleurs du Maroc et arborais un drapeau de trois mètres sur deux. En raison de toutes ces contraintes, je suis obligé de commencer mon voyage par Dakhla, et de zapper la case Lagouira.
Pourquoi avez-vous choisi de marcher ?
Parce que c’est une façon de rencontrer plus de gens et de découvrir plus de choses. C’est aussi une manière de voyager qui nourrit la pensée. D’ailleurs, beaucoup de grands philosophes ou penseurs comme Ghandi et Rousseau étaient des marcheurs. Je vais prendre tout mon temps pour apprendre, découvrir. Dans notre société, dans les villes où nous vivons, on court derrière la vie mais on n’a pas le temps de vivre. Moi, je vais prendre le temps… Sinon, c’est aussi un voyage vert, car je serai équipé d’un panneau solaire et voyagerai sans polluer. Il aura aussi une dimension humanitaire car je ferai escale dans des centres SOS Villages et les enfants qui le souhaiteront pourront marcher avec moi pendant quelques kilomètres.
Est-ce votre première expérience de ce type ?
Non, j’ai déjà fait l’aller-retour à pied de Casablanca à Ouarzazate. Ça m’a pris 23 jours. Cela m’a donné un avant-goût de ce qui m’attend. J’ai pu aussi me rendre compte que la tâche ne sera pas facile avec les autorités car de la même manière que les barrages de policiers arrêtent les voitures, on m’arrêtait pour me demander “une autorisation de marcher”. J’avais droit à des questions du genre : “Pourquoi marches-tu ?”, “Où vas-tu ?”, “Qu’est-ce tu as dans ton sac ?”… J’ai pris l’habitude de dire que je suis fou, c’est plus facile à justifier. J’ai pu m’apercevoir que les Marocains ne comprennent pas, en général, ce genre d’initiative. On m’a souvent demandé si j’avais besoin d’argent, si j’en étais réduit à errer parce que je m’étais disputé avec ma famille… A contrario, tous les étrangers que je rencontrais comprenaient ma démarche.
Combien vous coûte ce voyage ? Avez-vous des sponsors ?
J’ai acheté tout mon matériel à l’étranger en le commandant à distance et cela équivaut à 70.000 dirhams. Sinon, le voyage en lui-même va me coûter environ 40.000 dirhams, et il faut aussi compter la nourriture du chien ! Tout cela est financé par mes parents et mon oncle. En dehors du soutien des membres du groupe Hoba Hoba Spirit, qui sont des amis, je n’ai aucun sponsor. La réaction d’un grand groupe de téléphonie marocain à qui j’ai exposé mon projet pour obtenir son soutien m’a refroidi : “Pourquoi te prends-tu autant la tête ?”, m’a-t-on demandé.
On trouve quoi, dans votre sac ?
Un tee-shirt, un short, des chaussures, des sous-vêtements de rechange, des bouteilles d’eau, un panneau solaire, trois caméras, un trépied, ma tente et mon sac de couchage ; le tout pèsera 13 ou 14 kilos.
Marcher en solitaire, ça ne vous fait pas peur ?
Le voyage joue sur le moral plus que sur le physique, mais je sais que je vais y arriver. Quand tu vois la route s’étendre à l’horizon et que tu te dis : “Il faut encore marcher tout ça…”, c’est là que c’est dur. Mais ce périple est à l’image de la vie, avec des objectifs à atteindre. Je suis conscient des risques mais ça fait partie de l’aventure alors j’essaie de ne pas y penser, sinon je n’ai qu’à rester chez moi. En revanche, je ne serai peut-être pas toujours seul car je reçois des messages de gens que je ne connais pas forcément qui veulent me rejoindre sur la route. Ma mère sera d’ailleurs de la partie. Bienvenue à tout le monde !