Amazones Amazighes

Garante des idéologies amazighes, la femme a depuis toujours eu un rôle important. Mais au fil de son histoire et des mutations politiques et socioculturelles, elle a vu peu à peu ses droits limités et la communauté amazighe, qui jusque-là était régie par un système matriarcal, a laissé place à une société exclusivement masculine, mettant ainsi en péril la culture berbère. Flash-back.

Assimilées à des insoumises, des prophétesses, prêtresses ou encore des sorcières par les historiens arabes, les femmes amazighes ont pourtant souvent occupé une place importante dans l’Histoire. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs marqué cette dernière et ont même quelquefois été à la tête de royaumes, comme Tin Hinan, du royaume des Amohaks ; Taougrate, poétesse engagée dans le Moyen Atlas ; Mririda, du Haut Atlas ; Ytto, de l’Atlas ; Zaïnab Tanfzawit, d’Aghmat, qui, grâce au rôle décisif qu’elle a tenu dans la dynastie des Almoravides, a marqué l’histoire du Maghreb médiéval au  XIème  siècle; ou encore Dihiya, dite Al-Kahina, originaire de la tribu Zenata dans les Aurès, au Nord de l’actuelle Algérie, qui a presque changé le cours de l’Histoire en freinant l’avancée des omeyyades lors de l’expansion islamique en Afrique du Nord, au VIIème siècle.

Prônant la pluralité et la diversité, la société amazighe a en effet toujours défendu la liberté de conscience, la participation à la vie politique et culturelle et l’égalité entre la femme et l’homme. De ce fait, la femme était respectée comme telle, mais aussi comme mère et épouse. “Des textes dans le droit coutumier amazigh, “Izrf”, nous prouvent que le statut des femmes berbères dans l’histoire était nettement meilleur, comme le “Tamazzalt”, toujours en vigueur dans le sud du pays,  qui consiste en un partage équitable des biens entre le mari et l’épouse en cas de rupture du mariage (que la Moudawana n’a finalement adopté qu’en 2004 !) ; ou encore les sanctions de mise contre un homme qui abuse d’une femme, qui la violente ou qui se montre incorrect à son encontre”, précise Meryam Demnati, membre du bureau de l’Observatoire Amazigh des Droits et Libertés.

La femme, “un sanctuaire vivant”

Dans les traditions amazighes, le travail des hommes et des femmes a également toujours été reconnu d’égale valeur. Ces dernières allaient au marché, vendaient elles-mêmes leurs produits et géraient leur propre économie. Elles ont toujours inspiré le plus grand respect de la part de leurs collectivités. Elles participaient aux décisions touchant la famille, les droits du patrimoine et l’éducation. C’est à elles qu’est toujours revenu le droit de préserver les traditions culturelles en transmettant aux jeunes générations les chants, danses, poèmes, proverbes, contes, l’amour de la langue amazighe ainsi que les coutumes et les savoir-faire. “On retrouve encore des signes extérieurs de la tradition amazighe comme les danses collectives mixtes (Ahidous, Ahwach), qui sont des moyens d’expression communautaire où hommes et femmes se répondent par des joutes poétiques ; et le lexique matrilinéaire (frère et sœur sont dits “uma” et “ultma”, qui signifie de ma mère). Les robes et les foulards multicolores brodés, les bijoux de toutes sortes, le maquillage (rose aux joues, khôl, swak…) et le tatouage traduisent aussi une certaine liberté et l’importance pour la femme d’embellir son corps et son visage”, poursuit Meryam Demnati.

Le bijou est un élément qui permet de mieux connaître les caractéristiques culturelles anthropologiques et sociales des amazighs. Il dépasse amplement sa valeur purement esthétique et permet de découvrir le contexte géographique, les rituels et les liens sociaux, les croyances et la relation entre le symbolisme et la nature et finalement, la relevance de la gent féminine. Les décorations florales, végétales, géométriques ou animales que l’on retrouve parsemées sur les poteries, les tapis et tentures amazighes sont également un langage codé, que les femmes se transmettent de génération en génération pour exprimer toutes les phases de leur vie et les étapes de leur expérience sexuelle. En interprétant les signes tissés dans le tapis, on apprend que la tisseuse est vierge, jeune mariée, ou unie sexuellement à l’homme. D’autres fois, les signes révèlent la grossesse et l’enfantement.

“Dans la culture amazighe, la femme est assimilée à un “sanctuaire vivant”. Elle est le pilier de la société. Elle représente la tribu, la vie tribale et est porteuse des traditions et de toute l’identité culturelle. Les bijoux, le tatouage, les vêtements ou les couleurs portés permettent d’identifier son origine tribale et géographique. Ce statut honorable qui lui est octroyé est également perceptible dans l’importance des liens de parenté qui sont attribués à la femme chez les amazighs, où la parenté maternelle (ou la matrilinéarité) précédait la parenté paternelle, qui dominait dans la majeure partie du monde arabo-berbère jusqu’alors. Dans certaines régions, la femme avait même la liberté de choisir son mari. L’adultère n’était pas condamné et il n’y était même pas mentionné. Les relations hors mariage dans la culture amazighe n’étaient pas malvenues, celles-ci étaient inscrites dans un contexte et un cadre bien définis. En fait, la perception du corps était différente de celle véhiculée par les religions monothéistes”, explique l’anthropologue Lahcen Ait Lafkih.

Au nom du référentiel arabo-musulman

Avec l’avènement de l’islam et l’instauration des Etats Almoravide et Almohade, qui ont pris pour modèle celui de la Khalifa du Moyen-Orient, beaucoup de structures socioculturelles de la communauté amazighe ont subi un changement qui les a brisées ou modifiées sous la pression du pouvoir. L’adoption des lois musulmanes basées sur la charia et Al Qiwama, plaçant les femmes sous la tutelle et l’autorité des hommes, seuls responsables de la famille, a également contribué à l’exclusion de la femme amazighe et à la perte de ses droits. Au fil du temps, l’introduction d’une mentalité liée à la religiosité et l’implantation des représentants du pouvoir sur tout le territoire amazigh ont fini par provoquer un grand changement dans la majorité des tribus. “Néanmoins, c’est avec l’indépendance et la décision capitale prise par le gouvernement en place de mettre fin à l’usage des droits et tribunaux coutumiers amazighs et de généraliser la charia dans le Code de la famille que la liberté de la femme amazighe a pris fin. Les quelques domaines où il existe encore aujourd’hui quelques usages du droit coutumier au Maroc sont ceux de la gestion de l’eau et des récoltes où le Tiwizi, la solidarité collective, subsiste”, affirme Meryam Demnati.

Selon Lahcen Ait Lafkih, le protectorat français a également modifié en quelque sorte les traditions amazighes, notamment dans la fonction qu’avaient l’homme et la femme : “Pendant les années de Siba, l’homme amazigh avait pour principale fonction celle de guerrier. La femme, elle, était la garante de la survie de la famille et des idéologies culturelles. Elle travaillait dans les champs et gérait la maison. Après l’arrivée des Français et la fin de bled Siba, la fonction de l’homme a disparu, contrairement à celle de la femme qui est restée intacte. Malgré les contraintes que lui impose sa fonction, cette dernière y a été la plus fidèle, tout en étant la première victime”, souligne-t-il.

Dans son dernier livre, “La femme enchaînée”, l’anthropologue fait une étude sur la représentation de la gent féminine dans les croyances des tribus de l’est du Haut Atlas. Il s’attache  à “jeter un coup d’œil indirect sur la femme des montagnes de l’est du Haut Atlas à travers les mariages collectifs et individuels, où l’on retrouve des symboles de différentes connotations (guerre, agriculture) qui témoignent de l’identité culturelle de la tribu. Ainsi, dans cette région, le rôle de la femme se résume à celui de génitrice. Elle symbolise la fertilité, la production et la stabilité. La femme pérennisait la vie de la tribu et sa présence était donc sacrée pour avoir perpétué la lignée. Elle doit aussi incarner, par la couleur de ses habits, ses tatouages et sa présence physique, les symboles de la tribu. Elle est l’inspiratrice du guerrier qu’elle doit encourager, et l’objet de convoitise qu’on prépare, étape par étape, au mariage et à la soumission à l’homme. Dans cette logique, la femme dépend de la société où elle est née et se doit de la servir et en donner une bonne image. Et c’est donc dans ce contexte qu’elle était libre. Mais cette liberté était inscrite dans un système culturel donné. Sortie de son contexte, elle ne l’est plus”, explique l’auteur.  

Aujourd’hui, la spécificité des femmes amazighes et la pérennité de leur culture est surtout perceptible dans le rural, où les coutumes et les mœurs ainsi que les valeurs amazighes survivent, surpassant cette expression monothéiste pour se submerger dans le monde des croyances. Pour  Lahcen Ait Lafkih, malgré l’influence de différentes civilisations, la culture amazighe a connu une adaptation certaine mais pas d’acculturation ou d’assimilation permettant la pérennité des traditions. “Ce sont les femmes qui ont préservé la langue et les valeurs de notre peuple. Les hommes étant en émigration, ce sont elles qui sont restées dans le pays pour défendre une culture et une langue menacées de tout bord. Tamazight : c’est la femme. Et le projet de société doit tenir compte des valeurs de la société amazighe ancienne qui était une société matriarcale par excellence”, conclut pour sa part Meryam Demnati.

Trois questions à Meryam Demnati,
membre de l’Observatoire Amazigh des Droits et Libertés

D’un point de vue historique, quelle différence existe-t-il entre la place de la femme dans la société amazighe et dans la société arabe ?

Lorsqu’on traite le sujet de la femme marocaine au Maroc dans certains ouvrages ou  médias nationaux, on parle généralement de la femme “arabe”, en donnant à voir des images d’un autre continent, d’une autre culture et d’un autre temps. On y parle de la jahiliya (époque préislamique chez les arabes où les filles étaient enterrées vivantes) et de la période islamique en décrivant une société orientale qui nous est inconnue (harem, polygamie…) et qui est étrangère à notre histoire. Celle de la femme marocaine et amazighe en particulier se situe en Afrique, où la femme vivait dans un contexte social totalement différent, où elle avait un statut respectable par rapport à celui décrit dans les pays du Moyen-Orient. Ce sont à la fois le droit coutumier et les valeurs ancrées dans les sociétés amazighes telles que la solidarité, l’entraide, et une vie communautaire où la dignité et le respect de l’être humain passent avant tout qui ont contribué à ce que la femme amazighe ait une position plus qu’honorable.

Indépendamment des régions, le rôle de la femme amazighe était-il le même dans toutes les tribus ?

Dans l’ensemble, il y avait peu de différences au départ. Mais l’avènement de l’islam et la diffusion et imposition d’une certaine mentalité par les pouvoirs en place a provoqué un changement plus ou moins important. Dans le Souss, le Rif et Adrar N’Fousa en Libye, la religiosité a beaucoup plus changé et imprégné les coutumes et les mœurs des communautés amazighes que dans le Haut Atlas, le Moyen Atlas ou la Kabylie, par exemple, où l’usage du droit coutumier et la survivance de la mentalité amazighe sont encore bien vivaces.

Qu’est-ce qui fait la particularité de la femme amazighe aujourd’hui ?

Sa particularité est qu’elle est doublement agressée : dans sa féminité et dans son amazighité. La culture amazighe ayant été considérée par les décideurs, dès l’indépendance, comme primitive, la difficulté pour la femme amazighe est double. Non seulement il lui faut lutter pour conquérir ses droits légitimes comme toutes les femmes marocaines d’origine arabe, mais il lui faut aussi, en tant que principale gardienne et trésorière de la culture amazighe, lutter pour ses droits linguistiques et culturels.

La plupart d’entre elles, en milieu rural, ignorent leurs droits et se retrouvent souvent impuissantes face à toutes sortes d’injustices et de discriminations. Avec leurs enfants, elles sont les premières victimes de maladies infectieuses, leur santé dans ces zones est particulièrement menacée. L’analphabétisme et l’ignorance sont le lot de la grande majorité d’entre elles, ce qui défavorise leur intégration dans la société.

Le militantisme n’est pas encore une chose acquise ni évidente pour elles. Et, lorsque, enfin, elles ont la chance d’être scolarisées, elles se retrouvent face à deux langues étrangères, l’arabe et le français, ce qui entraîne la dévalorisation de leur langue et culture et cause souvent la perte des valeurs autochtones au profit de valeurs importées. Face à cette situation de double dominance, comment doivent-elles faire pour conquérir leur liberté sans pour cela rompre avec leur culture d’origine ? .

 

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