Un peu éberluée, Hanae a constaté depuis quelque temps que le stock de poupées de sa fille aînée était en voie d’épuisement. Et pour cause. Le petit cadet de quatre ans en subtilise une chaque jour pour la ramener à sa chérie haute comme trois pommes, à la crèche. Si l’affaire prête à sourire, elle révèle la romantique love story qui se déroule dans la classe du petit. Accompagné de bisous et câlins, l’amour en bourgeon a la fraîcheur de l’enfance : spontané, exclusif et sans calcul. Et même s’il ne se vit qu’à l’instant présent, il présente les mêmes caractéristiques d’intensité que chez les adultes. Tomber amoureux à cet âge, c’est vouloir passer beaucoup de temps avec l’autre, ne s’amuser réellement qu’en sa compagnie, lui réserver sa part de bonbons ou lui tenir tendrement la main. Se fait également jour un sentiment criant de manque quand l’autre est absent. Et cette nouvelle intimité qui détourne l’enfant de ses parents, premier objet d’amour, déstabilise parfois ces derniers : “Lilia, ma fille de cinq ans, s’était complètement entichée de son petit cousin et elle se mettait à trépigner quand on déprogrammait la visite bihebdomadaire chez ma sœur”, témoigne Anissa, sa mère. Le désarroi de la jeune maman s’est encore accentué quand elle les a surpris en train d’organiser un faux mariage, avec échange de bagues et promesse de bébés à venir.
Aimer, c’est grandir un peu
Souvent, les petits ne se cachent pas et exposent leur amour au vu et au su des adultes. Car sublimer sa relation est aussi une manière, pour un enfant, de s’identifier au couple parental, tout en prenant une certaine distance avec lui, sous-entendu : “J’ai bien compris que je ne peux être amoureux de l’un de vous deux, donc j’ai trouvé quelqu’un d’autre !” Un signe de maturité affective précoce qui prouve que le petit diable peut s’investir émotionnellement en dehors du foyer et faire montre de sensibilité. Néanmoins, qui dit primo-engouement et apprentissage de l’amour implique aussi charge d’émotions et frustrations concomitantes. Le Valentin en culottes courtes intègre vite qu’il ne peut pas tout commander et que le mini partenaire a son mot à dire ou peut basculer, par la suite, dans le désintérêt et l’indifférence. Anissa reprend : “Lilia a ressenti un vrai chagrin quand son cousin a changé d’école, s’est fait une nouvelle “petite amie” et a commencé à l’ignorer lors des réunions familiales.” Ou quand le paradis des bisounours s’effondre tel un château de cartes à la faveur d’une déconvenue amoureuse. Mais en dépit des larmes et de la peine de cœur, la donne s’avère malgré tout structurante et permet à l’enfant de se blinder contre les déceptions à venir.
Un coup de foudre est donc susceptible de survenir aux âges les plus tendres. Mais passé six ou sept ans, une certaine pudeur s’affiche dans les rapports garçons et filles. En effet, chacun de son côté est absorbé par les apprentissages qui accaparent toute l’énergie. Le temps des amourettes est mis entre parenthèses… Pas pour très longtemps ! Car, vers neuf-dix ans, la flamme peut se raviver de plus belle, chez les demoiselles en pâmoison, par exemple, devant le beau ténébreux de la classe de CE2.
Au secours, papa/ maman un peu paumés !
De fait, face à la débauche de sentiments affichée par un petit couple, on ne sait pas trop comment réagir. Entre franche rigolade et inquiétude sincère, les parents oscillent… Et certains peuvent même s’interposer un peu brutalement dans l’histoire fleur bleue, appréhendant les évènements, via leur propre prisme éducatif et système de valeurs. De mignonne, la jeune relation en herbe leur apparaît un tantinet perverse. Maria raconte : “Mon mari est très à cheval sur la morale. Lorsqu’il a vu notre fils de six ans embrasser une petite fille sur la bouche dans la cour de l’école, il a été très choqué et a fait savoir à Yahya que c’était mal.” Pourtant, ledit papa devrait savoir que les enfants ne sont pas conscients des pulsions qui les animent et n’ont pas encore appris à les refouler. Il n’y a donc aucune composante sexuelle dans un geste qui peut nous sembler, a priori, inapproprié. Par ailleurs, s’il arrive que certains enfants aillent jusqu’à mimer «faire l’amour» ensemble, il s’agit vraisemblablement d’une reproduction de scènes visionnées à la télévision ou sur des vidéos. Il faudra alors leur expliquer que ce sont là des territoires d’expression réservés aux adultes plutôt que de les sanctionner aveuglément. Les bons préceptes à suivre : on ne se moque pas quand on apprend qu’il en “pince” pour le top model de la classe. On ne force pas non plus ses confidences, tout en lui signifiant que notre porte est ouverte pour les conseils ou les câlins…
à l’adolescence, tout se complique
Avec l’entrée progressive dans la puberté et l’afflux des hormones, la question de l’amour devient centrale. Les ados y pensent en permanence et les parents deviennent persona non grata dans ce jardin secret. Textos envoyés en douce et coups de fil à rallonge aux copines, histoires des uns et des autres vécues par procuration, “aimer et être aimé” devient la grande affaire. Les fantasmes y ont la part belle et un simple effleurement avec le sexe opposé peut déclencher frissons et cœur qui bat la chamade. “Je me doute que ma fille est amoureuse lorsqu’elle cesse de s’alimenter et qu’elle rêvasse des heures durant”, indique Nora. Cette période délicate est dominée par la passion et la violence des sentiments, une certaine indifférence au monde extérieur et un effondrement total en cas de rupture. Les parents devront donc manœuvrer en douceur, en gardant l’œil sur tout changement pathologique de comportement. Normalement, un chagrin réactionnel dure un à deux mois avant que l’humeur ne retrouve une embellie. Chouchoutez- les et gâtez- les. Il faut que jeunesse se passe !