C’est dans un moment de pause, entre deux étapes de vie, que Khadija Bouchaqour se met au macramé. Celle qui deviendra fondatrice de la coopérative The Seven Women et de la marque Makrameahd, n’imaginait sans doute pas, à ses débuts, que quelques fils noués allaient changer le cours de sa vie et de celle de dizaines d’autres femmes dans la région d’Al Haouz.
“J’ai découvert le macramé après mon baccalauréat, pendant les vacances. Je l’intégrais dans des jellabas, juste pour m’amuser. Plus tard, après mes études de prothésiste dentaire et mon mariage, j’ai traversé une période de post-partum où je me suis retrouvée à la maison. C’est à ce moment-là que je me suis vraient replongée dans le macramé, une forme de thérapie, un moyen de me recentrer.” Cherchant un exutoire à sa créativité, elle partage alors ses premières créations sur les réseaux sociaux, sans grandes attentes. À sa surprise, les retours sont enthousiastes : les miroirs ornés de fils, les tentures murales délicatement tissées séduisent, attirent les regards et les demandes. “J’ai eu de très bons feedbacks. Et un jour, j’ai eu l’idée un peu folle de créer un parasol. Je trouvais que tous les parasols sur le marché se ressemblaient. J’ai voulu en imaginer un différent, plus esthétique, et surtout plus écologique. J’ai travaillé dessus pendant cinq mois. Et j’ai réussi à créer quelque chose d’original, de vraiment unique” . Le produit a rencontré un grand succès. Un grand établissement hôtelier l’a contactée pour concevoir un espace en extérieur. Puis les commandes ont commencé à affluer, au Maroc comme à l’étranger.
Khadija Bouchaqour se souvient non sans fierté avoir financé ce rêve seule, dès 2020, en pleine crise sanitaire. “J’ai vendu mes bijoux en or pour acheter mes premières matières premières. J’ai réalisé quelques créations, que j’ai revendues, et j’ai réinvesti les bénéfices dans le projet.” Face à l’ampleur que prenait son activité, Khadija comprend rapidement qu’elle ne pourra pas continuer seule. Elle décide alors de structurer son projet, de l’élargir et d’y intégrer d’atres femmes de sa région. C’est ainsi qu’est née la coopérative The Seven Women.
De l’atelier à la coopérative
La coopérative voit officiellement le jour en 2025. Mais dès 2020, au cœur de la pandémie, le projet est en marche : un petit atelier personnel devient le socle d’une aventure collective. Aujourd’hui, The Seven Women est la première coopérative marocaine spécialisée dans le macramé durable, dédiée à la création d’objets d’intérieur et d’extérieur.
Le nom, loin d’être anodin, rend hommage aux Sept Saints de Marrakech (sab3atou rijal), figures spirituelles du soufisme marocain. Il fait aussi référence aux sept techniques et sept matériaux mis à l’honneur dans leurs créations comme le macramé, le “taderrazt”, le coton, le bois, le cuir, le zellige, etc. Un subtil tissage entre tradition et innovation.
La coopérative s’inscrit dans une démarche double : sociale et écologique. En moins de cinq ans, plus de 50 femmes de la région ont été formées. Certaines avaient déjà un savoir-faire artisanal ; d’autres ont tout appris sur le tas. “Le macramé était totalement nouveau pour la plupart d’entre elles. Je leur ai tout transmis moi-même, pas à pas”, explique Khadija.
Un modèle solidaire et décentralisé
Chez The Seven Women, chaque pièce est le fruit d’un processus rigoureux. Khadija conçoit les modèles elle-même. Pour les projets simples, elle les confie à une mâalema (maîtresse artisane). Pour les plus complexes, plusieurs femmes se répartissent les tâches, en coordination permanente avec elle. L’organisation repose sur un modèle souple et humain : chaque artisane travaille depuis chez elle, à son rythme, selon ses contraintes familiales. Ce mode de fonctionnement décentralisé permet à chacune de préserver son équilibre. “Ce que je trouve magnifique dans cette coopérative, c’est la solidarité. Quand l’une a un empêchement, une autre prend le relais. Elles se soutiennent comme une vraie famille.”
Derrière chaque pièce façonnée par la coopérative The Seven Women se cache bien plus qu’un geste artisanal : une histoire de résilience, d’émancipation, et de sororité. Dans la région d’Al Haouz, ces femmes, mères, épouses ou jeunes diplômées, tissent chaque jour leur avenir à la croisée du savoir-faire ancestral et d’une ambition toute contemporaine.
Grâce à un modèle unique où les artisanes travaillent depuis chez elles, la coopérative permet à toutes ces femmes de concilier vie familiale et indépendance financière. Certaines étaient déjà manuelles, d’autres n’avaient jamais touché un fil de coton. Toutes, pourtant, ont trouvé dans le macramé bien plus qu’une simple technique : un langage, un refuge, et parfois même un nouveau départ.
Hind, par exemple, n’a pas trouvé sa voie dans le droit. Pourtant, c’est dans les nœuds d’un fil de coton qu’elle a découvert un autre type de justice, plus intime, plus humaine : “Je suis titulaire d’une licence en droit privé. Après mon mariage, j’ai rencontré une femme qui m’a parlé de la coopérative et du macramé. J’ai tout de suite été fascinée par cet univers. J’étais curieuse de découvrir comment on pouvait créer une œuvre d’art à partir d’un simple fil. Pour moi, c’est un art à part entière, qui enseigne la patience, la concentration, la créativité… Je n’avais pas réussi à décrocher un emploi dans mon domaine, alors je me suis dit : pourquoi ne pas transformer cette passion en revenu stable ? Et je ne regrette pas ce choix.”
D’autres comme Asmaa, qui jongle entre les tâches ménagères et les commandes de la coopérative, voient dans ce travail une opportunité précieuse. “J’ai appris la broderie en 2007 dans un atelier, mais ensuite, je me suis mariée, j’ai eu des enfants, et je suis restée à la maison. Quand j’ai rencontré Khadija, elle m’a formée au macramé. Elle nous fournit tout le matériel à domicile. C’est parfois un défi de tout concilier, mais ce travail m’apporte un revenu, une satisfaction personnelle, et un vrai sentiment d’indépendance.”
Pour certaines, comme Hafida, qui a quitté l’école très jeune, la coopérative représente une seconde chance, une voie vers une forme d’accomplissement personnel. “J’ai arrêté l’école en primaire. J’avais 13 ans quand ma cousine, venue passer l’été chez nous, m’a appris à faire du macramé. Je n’ai pas de diplôme, je suis mère de quatre enfants. Quand je les envoie à l’école, je travaille un peu. C’est un métier qui m’aide à avancer.” Ce modèle souple, travailler depuis chez soi, séduit aussi Chadia, mère de famille, qui a rejoint la coopérative il y a cinq ans. “C’est ce que j’aime le plus : je peux travailler de chez moi, sans délaisser mes enfants. On reçoit tout le nécessaire à la maison, et on échange régulièrement avec Khadija. C’est un métier noble, que j’aimerais transmettre à mes enfants.”
Le macramé, le crochet, ou encore la broderie deviennent alors un outil d’autonomie, mais aussi un refuge. Ghizlane, elle, s’est tournée vers cet art pour fuir l’ennui et retrouver un équilibre personnel : “J’étais femme au foyer, et je n’en pouvais plus de ne rien faire. Une voisine qui travaillait le macramé m’a initiée. Elle collaborait avec Khadija et m’a mise en contact avec elle. Mon mari refuse que je travaille à l’extérieur, donc cette activité me permet de gagner un revenu tout en respectant cette contrainte. Et en plus, c’est reposant, presque thérapeutique. Je réalise des miroirs, des coussins… Ça me fait un bien fou.”
Safaa, quant à elle, a connu un parcours semé d’embûches, mais elle a trouvé dans le travail manuel un espace de valorisation personnelle : “J’ai arrêté mes études au collège, puis je me suis mariée et j’ai eu un enfant. Pour occuper mon temps libre, j’ai appris le “tenbal”, une forme de broderie très fine. Ensuite, j’ai été formée au macramé à Marrakech, et depuis deux ans, je fais de tout : coussins, parasols, décorations murales… C’est gratifiant de voir ce que mes mains peuvent produire. Je travaille environ quatre heures par jour, ce qui est parfait pour moi.”
Toutes ces voix tissent, ensemble, une fresque vivante de solidarité et de résilience. Chez The Seven Women, l’artisanat est plus qu’un métier : c’est un langage commun, un vecteur d’émancipation, et un pont entre tradition et avenir.
Une démarche responsable, une signature forte
Chez The Seven Women, l’artisanat dépasse la simple production d’objets décoratifs. Il devient un levier d’émancipation, un acte de résistance douce et un engagement concret pour un monde plus équitable. Chaque pièce fabriquée incarne à la fois une histoire humaine, une fierté locale et une ambition globale : faire de l’artisanat marocain un moteur de transformation sociale et environnementale. “Notre objectif à long terme est d’embaucher encore plus de femmes de la région qui ont la même passion pour l’artisanat et pour le travail bien fait, afin de leur venir en aide et d’agrandir la famille”, explique Khadija Bouchaqour, fondatrice de la coopérative. Le mot famille n’est pas anodin. Car plus qu’un collectif de production, The Seven Women fonctionne comme un écosystème de solidarité, où l’entraide entre artisanes est la règle, et non l’exception.
Ce modèle repose sur une conviction forte : valoriser le travail des femmes, leur donner les moyens de gagner leur vie, tout en respectant leur rythme et leurs réalités. Un choix profondément humain mais aussi écologique.
En effet, l’engagement de la coopérative ne s’arrête pas au social. Il s’ancre aussi dans une démarche environnementale exigeante. “Tous les matériaux utilisés sont naturels, durables et sélectionnés avec soin. L’esthétique raffinée des créations n’efface jamais la rigueur des choix de production. Chaque matière a été choisie non seulement pour sa beauté et sa robustesse, mais aussi pour son faible impact sur l’environnement”, explique Khadija.
Ce travail de fond, à la fois artisanal, stratégique et militant, n’est pas passé inaperçu. Le Ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie Sociale et Solidaire a rapidement repéré le potentiel du projet. “Le Ministère a été séduit par mon initiative, raconte Khadija avec émotion. Il m’a permis de participer à des salons internationaux spécialisés dans l’ameublement et la décoration, en Arabie Saoudite, à Los Angeles, en Italie…” Une reconnaissance institutionnelle qui consacre non seulement la qualité esthétique des pièces, mais aussi la portée sociale et écologique de la démarche.
En quittant la région d’Al Haouz, nous emportons avec nous l’image de ces femmes concentrées, en train de tisser, nouer, broder, et de cette énergie créative qui, de fil en fil, transforme le quotidien en œuvre d’art. The Seven Women n’est pas seulement une marque : c’est un élan collectif, une promesse faite à l’artisanat marocain et à ses femmes.





