C’est une discussion que les parents aimeraient ne jamais avoir avec leur enfant. Pourtant, il arrive que la maladie s’invite dans le quotidien, avec son cortège d’angoisses et de questions, et bouleverse ainsi la vie de la personne concernée et de sa famille. Apprendre qu’on est atteint d’une maladie grave, soulève une question difficile mais essentielle : comment en parler à son enfant ? S’il est fondamental de l’informer, il n’est pas toujours évident de trouver les mots justes ni de savoir quand et comment amorcer ce dialogue.
Préparer le terrain émotionnel
Quand la maladie surgit dans une famille, l’enfant, même très jeune, perçoit les bouleversements. Silences inhabituels, absences prolongées, émotions contenues ou débordantes : il sent que quelque chose ne va pas. Pour nos expertes, il est très important d’en parler aux enfants, quel que soit leur âge. Les enfants étant très sensibles et réceptifs à ce qui se passe autour d’eux. “Mettre des mots sur ce que ressent l’enfant, notamment de la bouche de ses figures de sécurité que sont les parents, lui permet de se rassurer, de sentir qu’il est soutenu et de puiser de la force chez eux”, explique Houda Hjiej, pédopsychiatre et psychothérapeute. Car l’enfant, bien plus que les explications techniques, capte l’émotion, la posture et la sincérité de ses parents.
Avant de pouvoir soutenir son enfant, le parent doit d’abord faire face à ses propres émotions. “Un parent doit d’abord accepter sa peur, sa tristesse, sa colère… et se rappeler qu’il reste un repère pour son enfant, même malade”, affirme pour sa part Rabiâ El Gharbaoui, psychothérapeute et docteure en Sciences humaines. Elle recommande plusieurs outils pour se préparer : respiration consciente, écriture expressive, visualisation positive ou encore jeux de rôle avec un proche. “La méditation, la prière ou d’autres pratiques spirituelles peuvent aussi être des ressources précieuses”, ajoute-t-elle.
Adapter son discours
L’annonce ne s’improvise pas. Elle se prépare, avec tact, en tenant compte de l’âge, de la sensibilité et du niveau de compréhension de l’enfant. “Dans ces cas d’annonce d’une maladie ou toute situation traumatique, ce que l’enfant comprend au-delà des mots, c’est l’émotion des parents qui accompagne l’annonce”, souligne Houda Hjiej. Il ne s’agit pas de jouer un rôle, mais de contenir ses émotions pour ne pas submerger l’enfant. Ce dernier n’écoute pas seulement ce qui est dit, mais surtout ce qui est ressenti.
Pour parler de la maladie, il est conseillé d’utiliser des mots simples, de rester factuel et surtout de ne pas tout dire d’un coup. “Laissez à l’enfant le temps d’assimiler les informations et restez ouvert aux questions qu’il voudra poser”, recommande la pédopsychiatre. Si le pronostic est grave, faut-il tout révéler ? Oui, mais avec nuances : “Il faut annoncer les faits, dire ce que la maladie implique, ce qu’on va pouvoir faire, et rassurer sur le soutien que l’environnement pourra apporter. Si l’issue peut être fatale, on peut parler de pourcentages de probabilité, ou s’appuyer sur le médecin traitant pour expliquer la situation”, précise-t-elle.
Par protection, certains parents minimisent ou évitent le sujet. D’autres, submergés par l’émotion, craquent devant leur enfant. “La principale erreur, c’est de laisser libre cours à ses émotions ou, à l’inverse, de montrer une froideur vis-à-vis de la situation”, observe Houda Hjiej. Le non-dit peut être tout aussi angoissant : “Si on n’en parle pas, c’est qu’il y a de quoi s’inquiéter.” D’autres maladresses peuvent accentuer l’angoisse: surprotéger l’enfant, bouleverser ses habitudes (scolarité, amis), ou se rejeter la faute entre parents.
Reconnaître les signaux d’alerte
Quant à la réaction de l’enfant, elle peut différer d’un cas à l’autre. Colère, tristesse, angoisse, mutisme… L’enfant exprime ce qu’il ressent à sa manière. “Le soutien émotionnel des parents est très important”, insiste Houda Hjiej. “Il faut toujours lui laisser le temps d’assimiler les informations. Une annonce peut se faire par étapes.” Ce soutien sera d’autant plus efficace que le lien affectif était solide auparavant. En cas de besoin, les parents peuvent s’appuyer sur un pédopsychiatre ou un psychologue : “Le professionnel de santé mentale ne fait pas l’annonce à la place des parents, mais les aide à la préparer. Ensuite, il peut recevoir l’enfant pour évaluer ce qu’il a compris et ce qu’il ressent, parfois à travers le jeu, le dessin ou les rêves”, explique-t-elle. Mais il arrive que, malgré les efforts, l’enfant ne va pas bien. “S’il s’enferme, s’il refuse d’en parler, s’il perd l’appétit ou montre un désintérêt durable pour les activités habituelles, il faut s’en inquiéter, surtout si les tentatives de réassurance ne fonctionnent pas”, alerte la pédopsychiatre. Une aide extérieure peut alors s’avérer nécessaire.
Et la culpabilité ?
Face à la souffrance de leur enfant, de nombreux parents se sentent coupables. “La culpabilité est naturelle, mais elle peut être transformée”, rassure la psychothérapeute. “La maladie n’est pas une faute, c’est une épreuve. Le parent peut se rappeler qu’il transmet à son enfant des valeurs de résilience.” Valoriser les moments de tendresse, les gestes d’amour, la présence partagée : ce sont ces souvenirs qui marqueront durablement l’enfant, bien plus que la maladie elle-même.
“Le parent n’a pas besoin d’être invincible”, rappelle Rabiâ El Gharbaoui. “Reconnaître sa vulnérabilité, se créer des espaces pour déposer ses émotions, tout en maintenant des moments de normalité avec l’enfant, permet de préserver l’équilibre familial.” Maintenir des rituels (repas, histoires du soir, jeux…) aide l’enfant à conserver des repères. Une communication ouverte, honnête et adaptée permet de renforcer la confiance mutuelle.
Parler à son enfant de sa maladie grave est une épreuve, mais c’est aussi un acte d’amour. Avec des mots justes, du temps, du soutien, et beaucoup de douceur, il est possible d’aider l’enfant à traverser cette période en préservant ses repères.