À quoi juge-t-on le succès d’un couple aujourd’hui ? À l’aune de l’amour, bien sûr. Un couple qui s’aime a des chances de durer plus longtemps, de rester solide face à l’écoulement du temps. Oui, mais encore ! “À sa capacité à s’entendre sur les règles de la vie commune et à être capable de subir dans la complicité, les diktats de la société”, répond Malika, mariée depuis bientôt vingt ans. Elle a épousé un homme dont la vie tourne autour des dîners d’affaires, des voyages et des invitations. “J’avais le choix entre suivre son rythme et me plier à ses exigences ou à renoncer au risque de le perdre et de ruiner mon mariage”.
Le couple se trouve, en effet, de plus en plus confronté aux impératifs de la vie sociale, une vie exigeante qui met à l’épreuve la solidité des liens affectifs, exerçant une pression significative sur la relation intime qui unit deux individus. “Jamais les ruptures conjugales n’ont été aussi nombreuses, et jamais le couple n’a été autant célébré sur l’autel des valeurs contemporaines. Contradiction ? Nullement. C’est justement parce que l’on attend beaucoup du couple qu’il est devenu si difficile à construire. Aujourd’hui, on ne se satisfait plus d’un demi-bonheur. Ce qui hier encore allait de soi est désormais systématiquement mis en question”, lit-on dans Sociologie du couple, un livre de Jean-Claude Kaufmann sociologue français, spécialiste de la vie quotidienne et pionnier de la microsociologie, écrit en 2003 déjà. Le demi-bonheur représentait un quotidien sans trop de tracasseries, ni de soucis financiers importants, une vie plus ou moins paisible, quelques fêtes et cérémonies célébrées en famille ou avec les amis. Le demi-bonheur ne suffit plus, du moins pas pour tout le monde.
Le couple doit désormais jongler avec les attentes extérieures, parfois contradictoires, à l’encontre de ce qu’il aime, de ce qu’il est, à l’encontre de son propre bien-être. Les obligations professionnelles, familiales et sociales agissent comme des vents contraires forts qui menacent de perturber la tranquillité, voire même de déséquilibrer au point de la détruire, cette union contractée à la base pour durer contre vents et marées. Ou au contraire, en être le centre.
Le paraître l’emporte
Malika a deux vies. Celle dont elle a toujours rêvée et dont elle rêve encore et celle qu’elle tente d’entretenir et de soigner pour préserver son couple. De l’extérieur, elle renvoie l’image d’une femme qui a tout pour être heureuse, souvent jalousée pour la vie qu’elle mène, accrochée au bras de son mari. C’est une merveilleuse hôtesse qui reçoit très bien chez elle, sait se faire à la fois discrète et intéressante lorsqu’elle est invitée. Elle tient son rôle à merveille. “Je n’avais pas droit à l’erreur. J’ai pris des cours d’étiquette au cours desquels j’ai appris l’art de recevoir, de dresser la table, les règles, les usages et les codes à respecter lorsqu’on est invités. Et ce n’est pas fini, je garde toujours un œil sur les dernières tendances, j’observe, j’apprends”. Malika s’est fondue dans la société des injonctions. Il faut être toujours tirée à quatre épingles quelles que soient les circonstances, être prête à se rendre à un dîner d’affaires improvisé, recevoir des amis de passage et sûrement pas à la bonne franquette, mais plutôt avec les petits plats dans les grands. Et tout cela, elle sait le faire. Avec l’unique but d’être à la hauteur de ce que son mari attend d’elle. Ou plutôt de ce que la société attend d’elle. Et elle n’est pas la seule à se plier aux sommations de la vie mondaine.
Dans un café branché de Casablanca, une discussion entre amies autour d’un petit-déjeuner qu’elles ont à peine touché, tourne autour du dernier sac Hermès. Une femme d’une quarantaine d’années se plaint des relances incessantes de sa fille étudiante en France qui veut à tout prix le dernier Hermès et avoue en clignant des yeux, qu’elle sent qu’elle va céder. “Toutes ses amies l’ont acheté. Je dois m’arranger pour que son père ne le sache pas”. Une autre injonction de la société qui favorise le mensonge et les cachotteries et qui représente une menace pour le couple. La conversation se poursuit avec pêle-mêle, le prochain mariage de la fille d’une femme d’affaires, le lancement d’une marque de haute couture, le voyage de noces du fils d’un banquier qui a épousé une jeune britannique fortunée.
Voilà donc comment on meuble les conversations, mais aussi la vie de tous les jours. Le succès d’uncouple se mesure désormais à la capacité à acheter le dernier sac à la mode pour l’aînée, à offrir un voyage linguistique d’une valeur de quelques milliers de dirhams pour le petit dernier en faisant attention que tout le monde le sache, à se montrer dans les restaurants les plus chics et les plus chers, à changer de vaisselle aussi souvent que les tendances l’exigent, à inscrire ses enfants dans les plus grandes écoles, à choisir les destinations les plus exotiques et les plus lointaines pour passer quelques jours en veillant à croiser quelques “amis”, à investir dans un “petit” yacht ou une maison balnéaire sur les côtes espagnoles, pieds dans l’eau, c’est encore mieux…
Le couple doit faire face aujourd’hui aux impératifs d’une société de consommation et il lui revient de trouver l’équilibre entre ses fondements en tant qu’institution familiale et ses aspirations livrées au gré des mutations de la société. Pour cela, il faut apprendre à se soustraire à ces exigences. Au moins en partie.
Trouver l’équilibre
Le couple doit donc naviguer avec précaution dans une société qui n’est plus ce qu’elle était, en se libérant des attentes extérieures qui peuvent compromettre le lien qui les unit, même si en apparence tout a l’air d’aller merveilleusement bien. Comment faire alors ? Les spécialistes encouragent les couples à communiquer pour se comprendre mutuellement et pour s’aligner afin de faire face aux défis que la société leur impose.
La définition des valeurs et des objectifs communs, peut les aider à prendre des décisions concernant les engagements sociaux et à s’assurer qu’ils restent d’accord sur ce qui est important pour eux en tant que couple. Il faut savoir poser des limites pour protéger son couple, renforcer la résilience relationnelle pour gérer au mieux le stress extérieur et éviter qu’il ne s’infiltre dans l’espace privé.