Derrière l’image de la femme active que je renvoie, se cache une épreuve qui a bouleversé ma vie et celle de ma famille: un cancer du sein. Tout a commencé un matin d’octobre, presque par hasard, lors d’un contrôle de routine chez mon gynécologue. Pendant l’examen, il a palpé mon sein gauche et s’est arrêté, le visage sérieux. Il avait senti une petite masse. Je me souviens de ce moment avec une précision glaçante : le silence dans la salle, mon cœur qui s’emballe, et cette pensée qui traverse mon esprit comme un éclair, “Et si c’était grave ?” Le médecin recommande immédiatement une mammographie. Les jours qui ont suivi, dans l’attente du rendez-vous, m’ont paru interminables. Je ne dormais plus, je fixais mes enfants en me demandant si j’allais les voir grandir. Quand le résultat est tombé, la peur est devenue réalité : il s’agissait bien d’une tumeur. Le mot “cancer” m’a coupé le souffle. C’était comme si le sol s’était ouvert sous mes pieds. J’ai eu peur, peur de mourir, mais aussi peur de ce que cette maladie allait m’arracher. Rapidement, les médecins m’ont expliqué que l’ablation du sein était inévitable. C’était la seule façon de limiter les risques. J’ai alors eu le sentiment qu’au-delà de ma santé, c’était une partie de ma féminité qu’on allait m’enlever.
“Tu n’es pas seule dans cette bataille”
Karim, mon mari, a été présent dès la première seconde. Lorsque je lui ai annoncé la décision de mon oncologue, sa réponse est à jamais gravée en moi : “Ton sein ne fait pas ta beauté, Meryem. Tu es la femme que j’aime, entière, forte, et rien ni personne ne pourra t’enlever ça.” Mais dans l’intimité, la réalité était plus brutale. Après l’opération, face au miroir, je ne me reconnaissais plus. J’avais l’impression que mon corps trahissait tout ce que j’étais. Moi qui avais toujours pris soin de mon apparence, moi qui voulais rester une mère pleine de vitalité pour mes enfants, je me voyais soudain diminuée.
Les premiers mois ont été les plus difficiles. Les traitements me fatiguaient, mais c’est surtout ce vide sur mon corps qui me pesait. J’avais honte de me montrer, même devant l’homme qui partage ma vie depuis vingt ans. Un soir, les larmes aux yeux, je lui ai confié : “Je ne suis plus une vraie femme.” Il a pris ma main et m’a répondu avec une force désarmante: “Ta féminité ne se résume pas à un sein, Meryem. Elle est dans ton regard, dans ta façon de rire, dans ton intelligence. Et pour moi, tu es encore plus belle aujourd’hui, parce que tu es une warrior.” Puis est venue la chimiothérapie, une autre étape douloureuse. Au fil des séances, mes cheveux ont commencé à tomber par poignées. Chaque matin, je redoutais mon reflet dans le miroir. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée chez le coiffeur. Je lui ai demandé de les couper très courts, pour que les dégâts du traitement se voient moins. Quand les ciseaux ont glissé sur mes mèches, j’ai ressenti comme un arrachement. Une nouvelle perte. À mon retour, mon mari m’attendait. Il m’a regardée longuement, puis m’a dit simplement: “Tu es belle. Ne t’inquiète pas, ce ne sont que des cheveux, ça va repousser.” Le lendemain, il s’est rendu chez le barbier. Quand il est rentré, le crâne nu mais le sourire aux lèvres, j’ai fondu en larmes. J’y ai vu un geste d’amour absolu, une façon de me dire : “Tu n’es pas seule dans cette bataille.” Pourtant, si mon mari m’apportait force et réconfort, mes enfants, eux, vivaient un véritable désarroi. Ils avaient peur de me perdre. Je voyais leurs regards s’assombrir chaque fois que je rentrais épuisée d’une séance de chimiothérapie. Le cadet m’a demandé un jour : “Maman, est-ce que tu vas mourir ?” J’ai senti tout le poids de leur incompréhension, leur difficulté à saisir la raison derrière le déclin de ma santé. Leur inquiétude me brisait, mais elle m’a aussi donnée une énergie supplémentaire : je devais me battre pour eux. Au fil du temps, j’ai senti naître en moi un besoin de tourner la page, de reconstruire non seulement ma santé, mais aussi mon image. C’est ainsi que j’ai pris la décision de recourir à une reconstruction mammaire. Ce n’était pas un caprice, ni une coquetterie. C’était une étape nécessaire pour me réconcilier avec mon corps. Le jour de l’intervention, j’étais partagée entre l’appréhension et l’espoir. Mon mari m’a accompagnée à l’hôpital. Avant de m’endormir, il m’a soufflé à l’oreille: “Ce n’est pas une opération, c’est un nouveau départ.” Il avait raison. Quand je me suis réveillée, j’ai ressenti une étrange légèreté. Bien sûr, la douleur était là, mais je retrouvais une silhouette, un équilibre, une image dans laquelle je pouvais de nouveau me reconnaître.
Aujourd’hui, je parle de cette épreuve à cœur ouvert, car je sais qu’elle peut aider d’autres femmes. Oui, j’ai eu peur. Oui, j’ai pleuré en me voyant mutilée. Mais j’ai aussi découvert une force insoupçonnée, et un amour conjugal qui a été mon ancre. Si la vie a repris son cours, mon corps lui porte les stigmates de la maladie, mais je ne les cache plus. Ils font partie de mon histoire, de ma résilience. L’important, c’est de s’entourer, de se battre et, surtout, de ne jamais oublier que notre féminité dépasse les limites de la chair. Je veux insister sur un point essentiel : si mon gynécologue n’avait pas effectué cette palpation, ma tumeur aurait peut-être été détectée trop tard. L’autopalpation, faite chaque mois à la maison, et la palpation réalisée par un médecin lors d’un contrôle régulier peuvent littéralement sauver des vies. Mon histoire en est la preuve.