Selon le dernier rapport du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), 16.755 demandes de mariage de mineurs ont été déposées en 2024, soit une diminution de 17 % par rapport à 2023.
« Si nous saluons ce recul et le considérons comme une étape positive sur la voie de la protection des droits des filles au Maroc, nous tenons néanmoins à souligner que les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité complète du phénomène, puisqu’ils ne prennent en compte que les mariages déclarés devant les tribunaux, sans inclure les mariages “par Fatiha”, encore largement répandus dans les zones rurales, montagneuses et défavorisées, ainsi que dans les périphéries des grandes villes », affirme Amal El Amine, coordinatrice du Collectif Dounia pour l’interdiction du mariage des fillettes.
Cette tendance à la baisse, jugée encourageante, ne doit pas masquer la réalité sociale du phénomène. D’après les données avancées par le CSPJ, plus de 96 % des mineurs concernés sont sans activité professionnelle, et plus de 92 % d’entre eux ne sont pas scolarisés.
Pour Amal El Amine, deux facteurs principaux expliquent la persistance de cette pratique : le décrochage scolaire et la crise économique et sociale. « Selon les données officielles, plus de 300 000 élèves ont quitté les bancs de l’école durant l’année scolaire 2022-2023, dont 113 777 filles, créant ainsi un terreau favorable à la perpétuation du mariage des mineures », explique-t-elle.
Qui plus est, la précarité croissante, le chômage et la flambée du coût de la vie « poussent certaines familles à marier leurs filles avant l’âge légal de 18 ans, pensant ainsi alléger leurs charges financières », ajoute-t-elle.
Même son de cloche chez Najat Anwar, présidente de l’organisation “Touche Pas À Mon Enfant”, qui estime que « cette diminution ne saurait être interprétée comme un progrès structurel, mais plutôt comme un repli conjoncturel. Tant que l’exception prévue dans le Code de la famille autorisant le mariage des mineures subsiste, les droits des jeunes filles resteront vulnérables ».
Selon elle, chaque « autorisation exceptionnelle » ouvre en réalité la porte à une violation légalisée des droits des enfants, en particulier dans les milieux ruraux et défavorisés.
Des disparités régionales marquées
Les zones rurales concentrent la majorité des cas, avec 78 % des demandes, contre seulement 22 % en milieu urbain, fait savoir le CSPJ.
De plus, certaines régions demeurent particulièrement touchées. La Cour d’appel de Marrakech arrive en tête avec 2.941 demandes (17,5 % du total national), suivie de Fès (2.394 demandes) et Kénitra (1.480 demandes). À l’inverse, Guelmim enregistre le plus faible nombre de dossiers, avec seulement 48 demandes sur l’année.
« Le mariage peut être perçu par certaines familles, et parfois par les enfants eux-mêmes, comme une opportunité de changer de statut familial ou social. Le mariage des enfants, particulièrement en milieu rural, demeure donc un phénomène persistant. Il est crucial de poursuivre la sensibilisation, car le mariage implique des responsabilités que tout enfant est incapable d’assumer », soutient Me Elhassan Essonni, avocat au Barreau de Casablanca.
Les filles restent les premières concernées
Les filles représentent 98,5 % des demandes en mariage des mineurs, contre seulement 1,5 % pour les garçons. En 2024, 10.570 mariages de mineures ont été autorisés, soit un taux d’acceptation global de 62,9 %, un niveau similaire à celui de l’année précédente.
S’agissant de l’âge moyen du mariage des mineurs, celui-ci reste concentré sur la tranche des 17 ans, qui représente près des deux tiers (65,5 %) des demandes, les autorisations avant 16 ans demeurant rares ; ainsi seule une demande sur cinquante-neuf déposées par des mineurs de moins de 15 ans a été acceptée.
D’après Nabila Jalal, avocate et militante des droits humains « tant que l’article 20 de la Moudawana permettra, par dérogation, le mariage avant l’âge légal, le mariage des mineurs continuera d’exister. Il est donc impératif d’abroger cet article pour mettre fin à cette pratique contraire aux droits de l’enfant et aux engagements internationaux du Maroc », a-t-elle insisté.
Et d’ajouter : « Les femmes représentent plus de 50 % de la population marocaine. Elles constituent une force politique, économique, sociale et intellectuelle essentielle au développement du pays. Le Maroc ne pourra réussir son modèle de développement tant que certaines d’entre elles continueront d’être privées de leur enfance et de leur avenir par le mariage précoce ».
Pour lutter contre ce fléau, l’organisation “Touche Pas À Mon Enfant” propose un ensemble de mesures, notamment : une réforme législative profonde interdisant sans ambiguïté le mariage des mineurs ; une mobilisation sociétale pour déconstruire les justifications culturelles ou économiques de cette pratique ; et des politiques publiques de soutien aux familles vulnérables.
De son côté, Nabila Jalal a rappelé qu’« il est temps de réformer nos lois pour les aligner pleinement sur les conventions internationales ratifiées par le Maroc, et d’assurer une convergence réelle des efforts de toutes les parties concernées afin d’éradiquer définitivement le mariage des mineures et de promouvoir une société fondée sur l’égalité, la dignité et la justice ».