Najat Mokhtar a puisé son implacable volonté de se dépasser au contact des femmes de sa ville natale, Qariat Ba Mohamed, dans la région de Taounate. “Là-bas, j’ai vu des femmes combattantes, silencieuses mais puissantes, qui m’ont appris, avant même mes cours de biologie, la valeur de l’endurance et de la dignité… Mes étés passés à Qariat Ba Mohamed ont profondément marqué ma vision du monde. En voyant la souffrance silencieuse de certaines femmes, et la force inouïe de celles qui luttaient sans jamais se plaindre, j’ai su que je devais construire mon avenir sur la connaissance”, se souvient-elle. À Rabat, ville où elle grandit et effectue sa scolarité, elle garde à l’esprit les paroles de sa grand-mère: “va de l’avant et compte sur toi-même. Tout est possible.” Et tout devient possible pour Najat Mokhtar qui opte très tôt pour une carrière scientifique. Derrière ce choix, confie-t-elle, trois influences majeures, celles de “professeurs inspirants au lycée, ensuite, les lacunes en recherche nutritionnelle au Maroc, particulièrement sur la santé des femmes et des enfants. Enfin, le modèle d’une professeure d’endocrinologie à l’université Mohammed V à Rabat. Elle m’a montré que l’excellence scientifique et la féminité n’étaient pas incompatibles”, énumère-t-elle.
Najat Mokhtar pose les jalons de son parcours en optant pour un domaine exigeant : la nutrition et la science des aliments. Son solide cursus universitaire démarre à l’Université Mohammed V de Rabat et se poursuit à l’Université de Dijon, puis à l’Université Laval au Canada où elle décroche un doctorat en nutrition et en endocrinologie, et enfin aux États-Unis, à l’Université Johns Hopkins, où elle effectue un post-doctorat. Elle entame dans la foulée une riche carrière universitaire académique de près de 20 ans en tant que professeur des universités et directrice de recherche. “Créer les premiers masters et PhD en nutrition au Maroc, et voir mes étudiants rayonner dans la recherche ou la santé publique, a été une immense source d’accomplissement”, se réjouit l’experte onusienne.
Une aventure transformatrice
En 2001, elle opère un virage à 360° dans une carrière académique toute tracée. “C’est presque par hasard que j’ai découvert l’univers onusien. Mon mari a repéré une offre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) liant nutrition et technologies nucléaires, une association improbable à mes yeux ! Poussée par la curiosité, j’ai postulé… sans imaginer à quel point ce choix allait redessiner ma trajectoire… À Vienne, j’ai dû tout réapprendre : les sciences appliquées, les dynamiques multilatérales… Ce fut un défi immense, mais incroyablement formateur”, explique-t-elle. Son mari et ses jumeaux, alors âgés de 4 ans l’accompagnent dans ce tournant majeur de sa carrière. “D’enseignante-chercheuse enracinée dans le système académique, je suis devenue une médiatrice du savoir à l’échelle internationale. J’ai appris à faire dialoguer science et terrain, disciplines et cultures. Ce qui a commencé comme un geste de curiosité est devenu une aventure transformatrice. Ce poste m’a poussée hors de ma zone de confort, et c’est précisément là que j’ai trouvé une nouvelle manière de contribuer au monde”, précise Najat Mokhtar qui revient au Maroc en 2007 pour occuper le poste de directrice des sciences à l’Académie Hassan II des sciences et des techniques, contribuant à coordonner la stratégie nationale sur l’éducation et la recherche.
De retour à Vienne en 2011, Najat Mokhtar dirige la section des études écologiques liées à la nutrition et la santé. Les missions et les responsabilités au sein de l’AIEA s’enchaînent pour cette battante qui accède en 2019 au poste de Directrice générale adjointe. “En tant que première femme à occuper ce poste de Directrice Générale Adjointe du département des application Nucléaires à l’AIEA, j’ai dû faire face à plusieurs obstacles… L’un des défis les plus insidieux fut l’autocensure. Dans un environnement technique et très masculin, j’ai douté, au début, de ma place et de ma légitimité. Mais j’ai transformé ce doute en moteur pour apprendre, progresser, et m’affirmer…Les structures institutionnelles rigides exigeaient que je prouve deux fois plus pour que mes idées soient reconnues. Pourtant, ces défis m’ont rendue plus forte. Ma double culture m’a permis de jouer un rôle de trait d’union entre le Nord et le Sud”, assure Najat Mokhtar. Sa consécration à Londres en tant que femme arabe de l’année 2025 couronne le parcours d’une scientifique tournée vers les défis concrets du développement.