Zouheir et Younes Atbane: « On a tout quitté pour devenir danseurs professionnels. »

Ils sont frères, ont grandi dans un quartier populaire de Casablanca, et partagent la même passion pour la danse contemporaine. Sur un coup de coeur qui les transcende littéralement, ils quittent leurs études, leur travail, pour s'adonner à cet art qu'ils pratiquent aujourd'hui partout dans le monde. Malgré les tabous, le poids des traditions, les a priori, les moqueries... Younes et Zouheir dansent, envers et contre tous, pour leur plus grand plaisir et le nôtre.

 FDM : Racontez-nous vos premiers pas de danse…

Younes : Ça s’est fait par hasard. Adolescent, je suivais des cours de musique au conservatoire et disons que j’appréciais la danse, sans pour autant sauter le pas et décider d’en faire. Je dansais le smurf avec des copains mais sans plus… Puis un jour, j’avais 18 ans, j’ai assisté au cours de danse moderne d’une copine et ça a été le déclic. J’ai trouvé ça incroyable et je me suis inscrit. J’ai ensuite fait quatre ans de danse classique, moderne et hip-hop au conservatoire avant de découvrir la danse contemporaine en 2003, avec Khalid Benghrib qui a organisé un stage auquel j’ai participé. C’était mon deuxième déclic pour la danse.

Zouheir : Moi j’étais musicien, je faisais partie d’un groupe et c’est mon frère qui m’a initié à la danse. Il préparait un spectacle et je me suis joint à sa troupe en tant que musicien. Mais en découvrant cet art, j’ai su que c’était ce que je voulais faire.

Qu’avez-vous éprouvé en découvrant la danse ?

Zouheir : Je suis tombé sous le charme. C’était à la fois bizarre et extraordinaire car à cette époque, en 2004, on ne savait pas ce qu’était la danse contemporaine. On n’était pas habitués à voir ça. J’ai eu un coup de coeur. Quelque chose s’est passé, s’est créé en moi.

Younes : C’est une révélation. On ressent un plaisir fou. On s’est découverts nous-mêmes à travers la danse, et on a aussi découvert une autre facette de nous, en tant qu’être humain.  Il y a quelques années, les gens avaient une vision très réductrice de ce que nous faisions. La notion de fragilité, le corps… C’était un peu dur à comprendre et à accepter.

Et quand vous dansez, que ressentez-vous ?

Younes : Au départ, je n’arrivais pas à définir ce qui se passait en moi, mais j’ai compris par la suite que je m’inscrivais en fait sur une même trajectoire, tant spirituelle que physique. Quand je danse, une correspondance s’établit entre un corps qui se cherche et un espace. Je suis en osmose avec moi-même, je suis à l’intérieur de moi-même, et j’ai parfois l’impression que plus rien n’existe autour de moi.

Pourquoi ce goût pour l’art ?

Younes : Nous avons baigné dans un milieu artistique car notre père était artiste dans sa jeunesse et faisait beaucoup de théâtre, de dessin, de peinture… Tous les vendredis soirs, nous nous réunissions autour de lui avec mes deux autres frères et le regardions dessiner. L’été, nous allions à Safi, notre ville d’origine, et nous passions nos après-midi dans les ateliers de poterie de la famille de mon père. Ce contact que nous avions avec l’art nous a forcément influencé.

Quelle a été la réaction de votre entourage lorsque vous avez décidé de devenir danseurs professionnels ?

Younes : Nous sommes issus d’un milieu populaire, du quartier Sidi Othmane de Casablanca, dont est d’ailleurs majoritairement issue la jeune génération de danseurs. Mon frère était étudiant, je  commençais à travailler en parallèle de mes études, et nous avons décidé de tout lâcher pour danser. Mis à part nos parents qui sont ouverts d’esprit et qui nous ont soutenus, cette annonce a été difficile à accepter par le reste de la famille qui ne comprenait pas ce choix. Quant à nos amis, avec qui nous dansions souvent dans la rue quand nous étions plus jeunes, ils ont tous assisté à nos  premiers spectacles. Certains ont immédiatement adhéré et les autres nous ont beaucoup vannés. Forcément, on a eu droit à : “Tu danses… alors tu es homosexuel ?”. Mais je peux le comprendre, moi le premier, parce que quand je voyais des hommes danser, je me disais ça aussi.

La société marocaine est-elle ouverte à cette forme d’art ?

Younes : Disons qu’aujourd’hui, tout dépend de la qualité du travail qu’on propose. Mais il y a quelques années, les gens avaient une vision très réductrice de ce que nous faisions. La notion de fragilité, le corps, deux garçons qui dansent sur scène… C’était un peu dur à accepter, à comprendre. Tout dépend aussi des classes sociales. Dans les milieux favorisés, on n’acceptait pas qu’un garçon fasse de la danse classique à une certaine époque, et dans les classes défavorisées, la danse était considérée comme un art mineur, sans valeur. Elle fait partie de notre culture mais c’est quand elle s’occidentalise que le problème se pose.

Avez-vous été confrontés à un tabou lié au corps ?

Zouheir : Oui absolument. Quand bien même le corps est très présent dans notre culture, au nom de la religion, il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser pour ne pas heurter les susceptibilités.

Younes : Oui et surtout le tabou du non-dit, c’est-à-dire la pratique liée au corps mais qui est dans l’invisibilité, qui est cachée. En 2005, nous avons dansé avec Zouheir et Khalid dans un ancien riad. Au centre du patio où nous dansions, il y avait une fontaine que Zouheir a effleurée de sa main en dansant. Le spectacle s’est achevé et quelques jours plus tard, on nous a contactés pour nous informer que nous étions recherchés car le Pacha de Marrakech, qui avait assisté à notre représentation, considérait que nous avions porté atteinte au sacré en touchant à cette fontaine… Pour lui, notre geste était profane car les musulmans font traditionnellement leurs ablutions avec l’eau des fontaines… C’est pour dire la schizophrénie dans laquelle nous sombrons quand il s’agit du corps.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?

Younes : Souvent, les gens ne connaissent de cet art que les danseurs qu’on voit à la télé se trémousser sur la scène derrière un chanteur. Ils considèrent alors la danse comme un art mineur, sans valeur ajoutée. Mais la danse contemporaine, c’est quelque chose de nouveau, qu’on ne voit pas à la télévision. Nous avons proposé autre chose au public, quelque chose qu’il ne connaissait pas et le regard posé sur nous, sur cette forme d’expression artistique, a changé, a évolué avec le temps. Ce que nous faisons plaît à certains, déplaît à d’autres, mais disons que ça a le mérite de susciter un débat alors qu’avant, nous n’avions droit qu’à des préjugés.

Zouheir : Au-delà des préjugés, nous avons eu aussi des difficultés d’ordre financier. Quand nous avons commencé à danser, personne ne voulait nous soutenir dans un projet jugé suicidaire. Etre danseurs professionnels, ça revenait à dire qu’on voulait jouer, s’amuser et être payés pour ça. On a eu la chance de pouvoir compter sur nos parents pour nous aider à passer ce cap.

Réaliser ses rêves au Maroc, c’est possible ?

Younes : Oui, mais à condition de ne pas attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes. Il faut se battre et faire preuve de beaucoup de volonté pour espérer pouvoir accomplir un projet, réaliser un rêve.  

Ce que nous faisons peut plaire ou déplaire, mais disons que ça a le mérite de susciter un débat alors qu’avant, nous n’avions droit qu’à des préjugés.

Aujourd’hui, vous êtes danseurs professionnels. Votre rêve s’est-il réalisé ou se poursuit-il encore ?

Zouheir : Je ne sais pas si je peux parler de rêve en parlant de la danse car je ne l’ai découverte qu’à l’âge de 20 ans, et je n’y avais jamais pensé auparavant. Je parlerais plus d’expérience. Ce qui est sûr, c’est que la danse a changé ma vie et qu’elle continue de l’influencer chaque jour en m’ouvrant de nouveaux horizons.

Younes : Il n’y a pas de limite à ce rêve car au fur et à mesure qu’il se construit, je comprends et perçois de nouvelles choses. Nous nous inscrivons dans un processus de recherche et nous sommes toujours en quête de quelque chose, de notre accomplissement personnel. Nous vivons un rêve à durée indéterminée qui se construit au jour le jour, se transforme et évolue avec nous. â– 

 

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