Voilà les faits : une étudiante en géologie devant effectuer des recherches dans la région de Safi, loue un van avec chauffeur pour se rendre sur le site de prospection. Sur la route, une bande d’hommes cagoulés barrent le chemin du van, l’obligeant à s’arrêter. Les bandits font descendre l’étudiante et son chauffeur, les dépossèdent de tous leurs biens et les rouent de coups en dépit des supplications de la jeune fille qui essaie vainement de leur expliquer la raison de sa présence sur les lieux.
Les voyous, se posant en justiciers et gardiens des mœurs, filment cette scène d’une violence inouïe, et n’hésitent pas à la partager sur les réseaux sociaux, se pavanant de leur exploit. Cette tragédie surréaliste survient dans le Maroc de 2018. Nous sommes en plein ramadan et la vidéo devient virale …
Les réactions sur les réseaux sociaux sont pour le moins inattendues et surprenantes.
D’abord, ramadan oblige, la majorité des internautes déduit que le lynchage est justifié du fait de la présence d’un couple en rase campagne soupçonné d’avoir des rapports sexuels en pleine journée de jeûne. Tout le monde y est allé de son commentaire et de son avis… Certains ont réclamé l’arrestation du “couple illégitime”, tandis que d’autres n’ont pas hésité à exiger sa lapidation sur la place publique. Rares sont ceux qui ont dénoncé cet acte barbare intolérable, en demandant justice pour les victimes qui présentaient de graves blessures, bien visibles sur la vidéo. La majorité des internautes a occulté le fait que cette agression a été commise par des individus cagoulés qui n’avaient nullement le droit de se substituer aux forces de l’ordre. Se faire agresser sur la route par des bandits de grand chemin, cagoulés et agressifs est une affaire banale… Incompréhensible !
C’est la vendetta populaire. Une sorte de concupiscence collective, une attitude malsaine, moyenâgeuse, qui incite à verser du sang sur la place publique… L’image renvoie au bûcher de Jeanne d’Arc et aux scènes d’exécutions sommaires commises par les milices “daechiennes” aux tenues oranges … Nauséabond !
Ensuite, le chauffeur clame haut et fort qu’il ne faisait que louer ses services en accompagnant l’étudiante sur les lieux de ses recherches, rejetant en bloc les accusations de relations sexuelles, d’adultères ou d’offense au ramadan.
En une heure, le soufflet est retombé. Circulez, il n’y a rien à voir…
Cette triste histoire est le reflet d’un phénomène de dérives qui prend de plus en plus d’ampleur dans notre société : clouer au pilori des personnes, les jeter en pâture et surtout laisser libre cours au malin qui sommeille en chacun de nous pour déverser le venin de la médisance et de la calomnie. Ajoutez à cela un rapport bizarre et non assumé au corps, à la religion et à la réussite et vous obtenez une image d’une société de frustrés qui se déchire.
Comment en est-on arrivé là ? Où est passé notre tolérance légendaire ? Notre respect du voisin, du concitoyen et de son prochain ? Quand et pourquoi a-t-on perdu notre spécificité culturelle, celle du vivre-ensemble ?
D’aucuns imputeront tout cela à l’utilisation abusive et malsaine des réseaux sociaux. Rien n’est moins vrai !
Nous sommes tout simplement en train de payer le prix d’une école défaillante et d’une politique culturelle ratée sur tous les plans. Tout le monde le sait, tout le monde en est conscient… Mais rien ne change. On ne le répètera jamais assez.
On accepte cette aberration comme si c’était inéluctable. La culture est considérée comme ostentatoire et l’échec de notre éducation comme une fatalité. Au lieu de cultiver le sens de l’effort et de la connaissance, on cultive la frustration et la haine de l’autre.
Alors que faire ?
Sanctionner les auteurs des Fake news, condamner et réprimer les commentaires extrémistes et les appels au meurtre et à la haine. Notre législation doit évoluer pour protéger les citoyens. La loi doit prévaloir car on n’est pas au Far West !
Ensuite, il est impératif de réformer notre système éducatif devenu depuis le milieu des années 80 une coquille vide.
L’absence de toute réforme risque de nous coûter encore plus cher. L’école est et demeurera le point de départ de toute politique publique de développement. Sans cela, il serait difficile d’atteindre les objectifs de développement humain. Sans cela, on ne finira pas de payer le prix fort…