Elle est élégante, distinguée, et fait preuve d’une grande discrétion. Et pourtant, elle ne passe pas inaperçue. En allant à la rencontre de Siham Tazi, on découvre une styliste aux allures de mannequin. L’émotion est aussi au rendez-vous. Les larmes aux yeux, elle nous confie que, pour elle, participer à Caftan est l’accomplissement d’un rêve. Pour cette parfaite autodidacte, faire de la couture beldi était un défi qu’elle a relevé après dix ans de carrière dans le monde de l’ameublement et de la décoration. En vérité, elle a toujours voulu créer des caftans, un peu dans le secret. Mais sa passion finit par l’emporter puisqu’elle décide de se battre pour en faire son métier. Elle prend des cours accélérés en modélisme et pour le reste, ça coule de source. Elle a toujours vu ses grandsmères et les femmes autour d’elles coudre, broder et perler les plus belles étoffes. Elle-même s’y applique depuis bien longtemps. “J’ai réalisé le perlage et les broderies de pas mal des tenues qui défileront à Caftan”, nous confie-t-elle.
FDM : Que vous inspire le thème “VogueZaman” ?
Siham Tazi : Je ne sais pas si c’est une coïncidence, mais tout ce que je faisais auparavant était un peu sur cette thématique. Toutes mes créations sont dans le vieilli, mais un peu réactualisé. Je ne vous cache pas que j’étais très contente quand j’ai pris connaissance du thème de cette édition. J’ai même des amis stylistes qui avaient déjà participé à Caftan et qui étaient convaincus que le sujet était fait pour moi. Et effectivement, j’ai tout de suite été inspirée. D’ailleurs, toutes les tenues que j’avais imaginées au mois de décembre sont exactement celles que j’ai déposées au mois de mai. Je n’ai pas eu à les modifier puisqu’elles correspondaient exactement à mon idée du “Vogue Zaman”. Sincèrement, si une autre thématique avait été choisie, j’aurais certainement trouvé des difficultés à m’y épanouir. Je pense que c’est en grande partie pour cette raison que j’ai été motivée à participer à l’événement.
Comment avez-vous procédé pour vos recherches ?
La première chose à laquelle j’ai pensé a été d’aller m’asseoir auprès de ma grandmère. Je lui ai demandé ce qu’elle aurait porté autrefois pour répondre à une invitation de mariage. Je lui ai dit de me préciser exactement ce qu’elle mettrait, étape par étape. Je me suis ensuite appliquée à noter tout ce qu’elle me disait, à partir du moindre détail. J’ai aussi prêté une oreille attentive à ses souvenirs concernant les matières qu’elle avait l’habitude de travailler à l’époque et de quelle manière. J’ai ensuite fait un tour dans son placard pour voir les étoffes qu’il y avait. J’ai aussi fouillé dans les photos de famille. Ensuite, j’ai élargi mes recherches à tout ce qui est peinture orientaliste pour avoir un large spectre du zaman, et pas forcément au Maroc mais à travers la culture orientale. De là, tout a finalement découlé.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
En général, j’aime bien travailler les couleurs unies. La base de mes tenues devait être du satin duchesse puisque c’est de loin la matière qui résiste le plus au zouak, à la broderie perlée. C’est vraiment le support qui donne le mieux. Maintenant, toute la difficulté résidait dans le choix des couleurs. On a tellement envie de mettre de couleurs que parfois on a tendance à s’éparpiller. On oublie qu’il ne faut pas sortir d’une gamme de quatre ou cinq couleurs au maximum afin de garder une certaine harmonie dans toute la collection.C’était un frein au début, mais finalement, c’était surtout une idée directrice. Quand on participe à Caftan, on a spontanément envie de montrer tout ce qu’on peut faire. On prend ainsi le risque de passer quasiment à côté. Et le fait d’être un peu limitée par la tonalité des couleurs m’a surtout aiguillée pour affiner davantage mes modèles.
Quelle est la particularité de votre collection ?
A tous ceux qui m’ont posé la question j’ai dit que j’imagine des filles qui vont chez leur grand-mère, qui ouvrent leur placard et qui découvrent toutes ces anciennes tenues qu’elles portaient à l’époque. Elles décident alors de les relooker pour les porter à la mode actuelle. L’idée découle de là en fait. Quand vous verrez mes tenues, vous aurez l’impression que le temps a fait son lit. On dirait qu’elles ont été vieillies. Je dis bien “vieillies” parce qu’au lieu d’utiliser du skalli couleur or ou argent, j’ai utilisé du bronze, par exemple. Pour les couleurs, à défaut d’un jaune, j’ai utilisé la couleur moutarde. A la place du rouge, j’ai utilisé du bordeaux. Ainsi, c’est toujours un ton plus vieilli pour les couleurs. A l’arrivée, nous avons
des tenues qui donnent l’impression d’avoir traversé le temps mais qui gardent toute leur beauté. Pour le côté Vogue, j’ai davantage développé cet aspect au niveau des coupes, de certains mariages de couleurs en réalisant plusieurs superpositions et en ajoutant quelques accessoires.
Quelle est la facture d’une collection pour Caftan ?
Je pense que c’est un investissement. C’est comme si on allait faire une campagne publicitaire. Finalement ça coûte très cher, mais c’est dans un but certainement beaucoup plus qualitatif que quantitatif.
Considérez-vous qu’il y a un avant et un après Caftan ?
Il est évident que Caftan nous donne une notoriété certaine et nous permet d’être connus du public marocain. Je crois donc fermement qu’il y a un avant et un après Caftan. Premièrement, cela nous apprend à gérer son temps, à imaginer une idée et à la réaliser. Cela apprend aussi à créer des tenues de podium, selon un thème particulier. C’est donc complètement différent de ce qu’on a l’habitude de faire. Ce sont surtout des tenues d’apparat qui nous permettent d’aller dans l’extravagance et dans le show. En terme d’expérience humaine, on apprend énormément de choses aussi. On repousse ses limites, on se surpasse, on s’étonne et on est heureux à la livraison de ses tenues. C’est vraiment un accomplissement de soi et on est très fier de ce qu’on a réalisé. Notre entourage aussi est fier de nous.
Que ressentez-vous à quelques jours du défilé ?
C’est étonnant, mais je ne suis pas aussi stressée qu’auparavant. J’avoue que j’ai passé des mois terribles. J’avais tout le temps mal au ventre. Je mangeais très mal. Mais, bizarrement, depuis que j’ai livré les tenues, je me sens beaucoup plus sereine. Je me dis que le plus important est d’avoir été choisie pour participer à cet événement. J’ai beaucoup appris et j’ai donné le maximum. C’est sans regrets.
Quels sont vos projets après Caftan ?
Cela va peut être vous étonner, mais quand j’ai commencé à faire de la couture beldi, j’avais travaillé dix ans auparavant dans l’ameublement. Je me suis ensuite tournée vers cette carrière par passion. Faire du beldi a été un défi que je me suis lancé personnellement. Mon objectif était de faire Caftan. Je disais d’ailleurs à mon entourage que j’arrêterais juste après l’événement. Là, j’y suis arrivée et c’est l’aboutissement d’un rêve. Mais la vérité est que j’aime tellement cette profession que je ne pourrai certainement plus m’en passer. J’en ai certainement pour quelques années encore.
Comment imaginez-vous le caftan dans vingt ans ?
J’espère qu’il gardera sa forme initiale. Peut-être toujours réactualisé selon l’époque mais qu’il n’y ait pas trop de modernisme et que ça reste tout de même un caftan et pas autre chose. J’aimerais bien qu’il soit un peu plus médiatisé à l’étranger et que toutes les personnes qui nous représentent et qui ont l’occasion de rencontrer des occidentaux ou autres puissent porter un caftan long, avec des manches et une ceinture. A mon avis, c’est ainsi, et pas autrement, qu’on peut véhiculer notre culture, lui donner une bonne image et, pourquoi pas, voir le caftan porté par de grandes actrices à Cannes ou lors des Oscars.