Quand la parole se fait séduction…

De mère française, de père marocain et d'ascendants yéménites, Myriame El Yamani vit au Québec et enchante petits et grands par le seul pouvoir du conte. Qu'elle évoque "Le Petit Chaperon rouge", la mondialisation, l'apprentissage ou encore l'éducation, on l'écoute avec émerveillement ! Mais quel est donc son secret ?

FDM : Faut-il avoir un gros capital séduction pour être conteuse ?

Myriame El Yamani : C’est moins la séduction que le désir de partager une expérience avec un auditoire qui est au coeur du conte. Le public est séduit, non pas par votre prestation, mais par ce que vous lui apportez comme images pour rêver, pour transformer son quotidien le temps d’un conte. Il ne faut pas l’oublier, mais nous, les conteurs, nous ne racontons pas des mots mais des images qui font sens et qui vont au-delà de la phrase. Conter est une danse où les mots se mettent en bouche pour redonner sens à nos questionnements, et une musique qui sonne à nos oreilles comme une mélodie envoûtante et parfois une symphonie.

Le conte fait son entrée dans les hôpitaux, en management, mais demeure un genre mineur en littérature. Comment l’expliquez-vous ?

Le conte a toujours été un art mineur en littérature, car c’est un art populaire, accessible à tous. S’il fait son entrée dans des sphères publiques jusque-là ignorées, comme les hôpitaux ou les entreprises, c’est, comme dirait Henri Gougaud, parce qu’il est un art de la relation. Nous ne contons jamais tout seul, face à notre miroir, mais en relation avec autrui. Et c’est aussi un art de la convivialité qui offre un baume sur nos âmes meurtries, déboussolées et appauvries. Le conte fait du bien. Il peut devenir une thérapie pour certains, un moyen de contrôle pour d’autres. Mais attention, la parole conteuse est beaucoup plus riche, plus morale, plus subversive que ce que l’on peut imaginer. Elle nous apporte à tous et à chacun ce qui nous fait tant défaut aujourd’hui : la compassion, le désir, l’amour, le partage. C’est aussi le patrimoine immatériel mondial de l’Unesco, ce que la littérature n’est pas. D’ailleurs, certains écrivains comme Voltaire, George Sand, Edgar Poe et tant d’autres l’ont bien compris, eux qui ont écrit des contes “littéraires”. On sait par exemple qu’il existe plus de 300 versions du conte du “Petit Chaperon rouge” dans le monde : est-ce parce que Perrault l’a réécrit ? Ou est-ce parce que ce conte est une leçon de vie et contient une morale qui doit protéger les jeunes filles des prédateurs sexuels ?

“LES CONTES SONT DES HISTOIRES QUI ARRIVENT À VAINCRE NOS PEURS, À NOUS FAIRE RIRE, PLEURER, AIMER.”

Le conte est le fils spirituel de l’oralité. Vos origines marocaines – empreintes de l’héritage de Jemaâ El Fna, place mythique de Marrakech – ont-elles eu un impact sur votre passion pour le conte ?

Bien sûr. C’est l’image même du conteur sur la place publique. Mais ceux de la place Jemaâ El Fna sont aussi devenus un mythe, une exploitation touristique. On dit que la parole s’envole et que les écrits restent. Pourtant, je pense que la parole conteuse a une telle puissance et une telle force que, sans elle, une culture disparaît. Si on s’intéresse aux traditions orales des Amérindiens du Québec et du Canada, on se rend compte qu’il existe de moins en moins de conteurs pour diffuser ces histoires, ces leçons de vie, ces explications de la création et ces bouleversements qui nous entourent. Pourtant ces passeurs d’histoires, dont je considère faire partie, sont essentiels à notre survie. Si je suis conteuse, c’est parce que j’ai eu envie de communiquer cette parole vraie, au-delà des mensonges, des hypocrisies qui nous blessent, et des catastrophes qui nous guettent.

Vous sentez-vous tiraillée du fait de votre double appartenance ?

Pas du tout. Au contraire, mes multiples cultures – marocaine, yéménite, française, acadienne, québécoise – animent mon désir de partager ces histoires du monde. D’ailleurs, elles me permettent de surprendre l’auditoire, en lui proposant des histoires qui font partie de sa culture monolithique et qu’il ne connaît pas ou plus. “Les babouches d’Abou Kassem”, conte des 1001 Nuits, peut-il devenir un conte “québécois” quand c’est moi qui le raconte, moi qui vis au Québec depuis plus de 25 hivers ? Pourquoi pas ? Les contes, anonymes par définition, peuvent se transmettre de culture en culture et se laisser apprivoiser par des passeurs d’histoires qui les font leurs, et les rendent contemporains.

Femme conteuse, homme conteur… Existet-il une spécificité féminine du conte ?

Je ne sais pas si le genre a une grande influence sur la thématique du conte, mais selon les cultures, sa pratique est différente. Au Québec, les conteuses sont minoritaires, car la tradition orale se perpétuait par les hommes dans les camps de bois ou sur les bateaux de pêche. Si l’on se réfère à Shéhérazade, qui a conté pendant 1001 nuits, peut-on dire que la parole conteuse du Moyen-Orient est féminine, voire féministe ? Là aussi, ce sont les hommes qui content sur la place publique, les femmes, elles, le font sur les terrasses avec leurs enfants ou dans les maisons. Cela dépend un peu des histoires qu’on a envie de raconter, ou plutôt, qui nous choisissent pour être racontées.

Mes histoires parlent souvent d’amour, de liberté, de plaisir, de mer et de sable, de nomades, de fous et de sages. Sont-elles pour autant seulement féminines ? Je ne crois pas qu’il y a une spécificité féminine du conte, mais plutôt une approche féminine pour percevoir la richesse des contes.

Pouvez-vous donner des conseils aux parents quant à l’utilisation du conte pour mieux accompagner leurs enfants à l’école ?

Oui. Raconte, raconte encore, tous les soirs et le plus souvent possible… Que tous les parents deviennent des “Shéhérazade” en puissance, qu’ils prennent le temps de s’asseoir avec leurs enfants, autrement que devant le petit écran. Qu’ils les aident à grandir en partageant cette mémoire qui nous a été transmise depuis des générations. Je commence toujours mes histoires en interpellant l’auditoire, en lui disant “histoires”, et les gens me répondent “raconte”, pour les encourager à entrer dans ce moment précieux où ils vont partir en voyage, ailleurs. Et je ferme toujours mes contes en disant “sacatabi, sacataba, l’histoire finit là et tant pis pour ceusses et celles qui n’y croient pas”. Il est important de continuer à perpétuer le rituel du conte, même si pour certains, cela semble archaïque, simpliste ou seulement pour les enfants. Les contes, justement, ne sont pas toujours destinés qu’aux enfants. Ce sont des histoires qui arrivent à vaincre nos peurs, à nous faire rire, pleurer, aimer.

Du conte à Facebook : comment la civilisation arabe se raconte et se montre ?

J’ai expliqué à des étudiants de l’université de Montréal qu’il y avait, à mon sens, des points communs entre les conteurs et l’intervention des jeunes sur Facebook à propos des printemps arabes. Tout d’abord parce que cette parole, dite, contée ou filmée, part d’une histoire à raconter, de l’utilisation d’un espace public bâillonné et de la découverte de centres d’intérêt communs tels que la liberté ou la démocratie. Cette parole se diffuse dans la rue et elle est devenue un moyen de contrer la censure des pays concernés. Elle ne fait pas la révolution, mais elle possède une graine subversive, provocatrice, qui permet aux gens de prendre conscience d’états de fait comme la pauvreté ou la corruption dont ils veulent se débarrasser. Et je leur ai bien sûr fait vivre cette expérience de conte.

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