En 1986, le sociologue Mostafa Aboumalek avait réalisé la première enquête sur le mariage auprès de 1 400 habitants du Grand Casablanca. Les résultats ont révélé alors l’ascendant des parents dans la formation du couple. Les sondés ont également classé par ordre d’importance les critères mis en avant dans le choix du conjoint. En haut de la liste arrive le critère moral. L’une comme l’autre recherchent le ould et bent nass. Ce terme, assez vaste, englobe le respect des traditions, des mœurs irréprochables, la virginité pour les femmes et un certain conservatisme. Ensuite, c’est le critère physique qui est mis en avant par les hommes tandis que les femmes insistent sur le côté matériel. Dans ce profil type, l’épouse idéale devait être de bonne famille et jolie. Le futur époux, également issu d’une bonne famille, se doit d’être aisé. “Dans le fond, les deux individus doivent prendre en considération les valeurs et les attentes familiales, respecter scrupuleusement les valeurs matrimoniales dominantes et être prêts à maintenir certaines traditions. Ce noyau dur intergénérationnel constitue une sorte de charte tacite entre les futurs époux”, rappelle l’auteur de cette étude sociologique. Quelques décennies plus tard, le choix se porte toujours sur “le conjoint qui convient”, le fameux ould et bent nass. “Le choix du conjoint change, mais à un rythme très lent, au point qu’on a l’impression que rien ne change. Néanmoins, j’ai enregistré quelques particularités en termes de mode de vie, de revenus, de perception des représentations matrimoniales… Le rôle de la famille est, toutefois, toujours important. Elle est omniprésente”, détaille le sociologue qui relève dans son dernier ouvrage “Vivre en solo : le quotidien des célibataires casablancaises” un certain nombre de changements. Avec l’émergence du célibat féminin (28,1% selon le HCP), écrit-il, la famille commence à s’émanciper de certaines traditions (autoritarisme et mariages arrangés), des modèles patriarcaux et de certains carcans moralisateurs (obéissance aveugle et sacralisation de la virginité).
On joue dans sa catégorie
Aujourd’hui, comme hier, mais à des degrés divers, la famille est fortement présente, car c’est elle qui entérine le choix du conjoint. “Nous sommes toujours dans cette disposition que la femme ne peut jamais faire fi de la présence de ses parents et de leurs avis…” précise Mostafa Aboumalek. Les dernières statistiques livrées par le Haut-commissariat au Plan (HCP) en octobre 2021 concernant la condition féminine au Maroc révèlent un changement notoire : sur les 127.554 actes de mariages établis en 2020 entre conjoints majeurs, 49.700 femmes ont contracté leur mariage elles-mêmes… Le HCP ne livre toutefois aucun détail concernant l’âge et les conditions familiales de ces femmes. Est-ce dire que la Marocaine a toute la latitude pour choisir son compagnon de vie, en faisant fi de l’avis de sa famille ? La réponse doit être nuancée, car plusieurs paramètres entrent en ligne de compte, mais ce qui est certain, c’est que rares sont les femmes (ou les hommes) qui tournent le dos aux parents lorsqu’il s’agit de passer à l’acte. “Les raisons pour lesquelles on se mariait avant ne sont plus les mêmes que celles d’aujourd’hui. Par le passé, les familles mariaient les enfants, aujourd’hui, ces derniers choisissent seul leur conjoint”, précise le professeur Jamal Khalil. Abondant dans le même sens, le professeur Mokhtar El Harras confirme ces changements : “Il y a de plus en plus une acceptation de “la connaissance préalable au mariage’’. Les jeunes filles et garçons prennent le temps de se connaître, de se voir, de sortir ensemble avant le mariage, et avec l’accord de leurs parents. On entend souvent les parents dire que leurs enfants se sont connus avant le mariage et qu’ils étaient au courant de cette relation. Ce sont des “fiançailles non officielles” connues dans notre société par Errcham consistant à ce que de jeunes gens se fréquentent sans un acte légal ou officiel”, explique-t-il. Dans ce schéma, il va sans dire qu’on se marie par affinités sociales, intellectuelles et culturelles entre gens de mêmes milieux. “L’argent sépare, et combien même on voudrait se mettre ensemble, culturellement, il y aura un gouffre…” précise le professeur Jamal Khalil.
Mais quid du conjoint idéal ?
“Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte dans ce que vous appelez le conjoint idéal. Il y a l’âge fixé dans le temps, généralement de la fin de l’adolescence à 25-30 ans, et aussi le risque de ne pas tomber sur la bonne personne. Dès lors, les histoires diffèrent. Une fille âgée de 35 à 40 ans se fait attraper par son horloge biologique, et si elle désire des enfants, cette exigence du conjoint parfait peut disparaître, et elle cherchera à se marier avec qui elle pourra. Ce qu’on peut et ce qu’on veut deviennent discordants avec le temps. Le garçon estime de son côté qu’il pourrait se mariera quand il voudra. Mais le temps le rattrape également un peu plus tard… Le conjoint idéal ne tient pas l’épreuve du temps, et chacun fait des concessions. Autrement dit, on met de l’eau dans son vin…”, poursuit le sociologue.
On en convient : dans une société où les relations sexuelles hors mariage sont criminalisées, l’acte de mariage est dès lors l’aboutissement logique de l’amour entre deux personnes, permettant de tracer un cadre légal à une sexualité régulière, mais aussi pour exaucer le désir d’enfant.
En fait, le choix du partenaire de vie n’est jamais innocent. On se dit “oui” pour plusieurs raisons. Pour faire comme les parents et marquer son appartenance au clan, mais aussi pour accéder à plus d’avantages en unissant son destin à celui d’une personne d’un niveau socio-économique égal ou supérieur. Pour les femmes issues des milieux les moins favorisées, la sécurité pécuniaire prime dans le choix du conjoint.
Ce qui fait dire au psychosociologue Mohssine Benzakour, “l’amour reste un élément secondaire dans le processus du mariage. La raison et les considérations socio-économiques le devancent.” En somme, quelles que soient nos motivations, nous nous marions pour aimer, pour réaliser l’unité, fonder une famille et assurer notre continuité à travers nos enfants.
(Article paru dans le magazine FDM N°294)