Lundi, 10H du matin, Zineb est la première des stylistes à pénétrer dans la salle d’essayage de Caftan où elle dépose les huit tenues qui seront sur le podium dans quelques jours. Accompagnée de sa maman, la jeune femme au look résolument tendance m’accueille chaleureusement et me dévoile en avant-première quelques-uns des somptueux caftans confectionnés pour l’occasion. Bleu, rose, corail, turquoise, vert émeraude, jaune, les couleurs fusent, relevées par l’éclat et la brillance des pierres qui ornent toutes les tenues de la jeune styliste qui n’en est plus à son premier “Caftan”. C’est au fond de la vaste salle que nous prenons place toutes deux pour nous livrer au jeu des questions-réponses. Je découvre une jeune femme déterminée, ultra concise et une amoureuse inconditionnelle du caftan classique…
FDM : Que vous inspire la thématique “Vogue Zaman” ? Vous a-t-elle posé quelques difficultés ou a-t-elle été au contraire une source d’inspiration évidente ?
Zineb Lyoubi Idrissi :Compliqué, ça l’était un petit peu comme chaque année. En revanche, le thème me convenait parfaitement car mes créations ont toujours eu un côté très classique. Je suis pour le caftan mais je suis contre le fait de détruire le caftan marocain en s’éloignant de ce qu’il est et de ce qu’il représente. J’aime par-dessus tout son côté majestueux, son style classique et ancien. Ce sont ces caractéristiques qui m’ont toujours inspirée et le thème “Vogue Zaman” m’a donc énormément insufflé mes modèles, même si on a toujours tendance à croire qu’on n’arrivera pas à créer grand-chose… Car, dès qu’on termine une collection, on a l’impression d’avoir tout donné ! Et puis, la créativité, les idées reviennent petit à petit et tout rentre dans l’ordre. Il faut dire que j’ai aussi besoin de challenges pour avancer et plus le défi à relever est important, plus je donne de moi-même. La thématique m’a aussi beaucoup inspirée car elle m’a permis de préserver le côté classique que j’aime par-dessus tout en y ajoutant une touche de modernité dans le choix des couleurs et dans le recours aux paillettes. Le classique est donc remis au goût du jour avec des paillettes en relief, l’actualisation de la dfira accompagnée de pierres relevées de motifs géométriques et floraux. Si le travail à l’ancienne du mâalem est présent, il est cependant réalisé à ma manière.
Comment avez-vous procédé pour vos recherches ? Vers quoi vous êtes-vous tournée ?
La recherche est obligatoire pour n’importe quelle création car les idées ne peuvent pas tomber du ciel. On a beau avoir des connaissances, il faut toujours les améliorer et les faire évoluer. J’ai lu aussi de nombreux vieux bouquins et j’ai consulté Internet. Je ne me suis donc pas limitée à ce que j’avais en tête.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Il m’est arrivé de bugger sur certaines tenues et de devoir m’arrêter pendant deux ou trois jours, le temps que l’inspiration revienne. J’avais parfois besoin de prendre un peu de distance pour repartir du bon pied.
Quels ont été vos sentiments lors de votre nomination ?
C’est chaque année un grand plaisir. Certains pensent que lorsqu’on arrive à la haute couture, on n’a plus besoin de passer par des sélections mais, depuis que je participe à Caftan, c’est-à-dire depuis 2005, je suis chaque année agréablement surprise de faire partie des stylistes nominés. Je considère que rien n’est jamais acquis et je me dis toujours que demain je pourrais très bien tomber de haut. A mon sens, Caftan me donne la chance de m’améliorer.
Combien vous a coûté la préparation de Caftan ?
C’est un investissement très, très, très lourd. Je ne peux pas vous donner un ordre de prix précis mais ça représente un apport financier, moral et physique énorme qui me terrasse littéralement ! Car en parallèle de Caftan, je dois aussi faire face aux responsabilités qu’implique mon métier et répondre aux commandes que je reçois. Je joue donc sur plusieurs tableaux et assure mes livraisons, confectionne en temps et heure la robe d’une future mariée et prépare dans le même temps la collection la plus importante de l’année pour Caftan ! Ce sont des challenges à relever au quotidien.
Quelle est l’identité forte, la particularité de votre collection ?
J’essaie au maximum de ne pas dénigrer le caftan marocain. Je ne dirai pas que je suis quelqu’un de carré mais quand j’ose, c’est toujours avec retenue. A mon sens, le caftan reste une tenue classique, très chic et portable qui doit conserver son élégance. Je ne suis pas une puriste et j’accepte les changements, mais à condition qu’ils ne soient pas trop importants car le changement doit pouvoir être intégré . Trop de changements tuent le changement. Il faut que le caftan s’adapte à la société marocaine et il faut aussi qu’il s’adapte à moi et que je puisse le porter, sinon ça ne sert à rien.
Quels sont vos projets après Caftan ?
Mon seul projet est de me reposer ! De faire le vide, de m’enfermer un bon mois pour récupérer avant de reprendre le cours des choses car j’ai d’autres défilés prévus cette année.
Quel est votre sentiment aujourd’hui à quelques jours de Caftan ?
Je suis toute excitée car chaque année on a droit à des surprises et on ignore ce qui va se passer. Jai hâte de voir le podium, de voir mes tenues portées pendant le défilé. C’est toujours le même frisson et le même stress. Découvrir mes tenues portées c’est comme voir évoluer mes enfants ! Il faut savoir que j’ai un rapport très particulier avec mes tenues car, à chaque fois que je franchis une étape dans la confection d’un caftan, je le prends en photo avec mon téléphone portable pour pouvoir le regarder la nuit (rires). Et oui, mon atelier est loin de chez moi mais il faut que je puisse voir mon caftan à toute heure du jour ou de la nuit. Je les prends donc en photo pour réfléchir en pleine nuit à ce que je devrais y ajouter ou pas, ou tout simplement pour pouvoir le regarder, le contempler. Je suis un peu malade non ? (rires)
Vous qui avez déjà été nominée plusieurs fois à Caftan, y a-t-il un avant et un après Caftan ?
Caftan m’a beaucoup apporté. C’est un événement grandiose auquel n’importe quel styliste souhaiterait participer et c’est aussi un gros coup de pub ! Si certains prétendent le contraire, c’est parce qu’ils n’ont pas été nominés ou qu’ils n’ont jamais tenté leur chance. Cet événement m’a fait connaître et j’ai pu me dépasser grâce à cela. J’espère pouvoir me surpasser davantage, inchallah! Aujourd’hui, on me fait bien plus confiance car on sait que j’ai participé à cet événement-phare qui est bien ancré dans la mentalité marocaine. Quand les gens se rendent chez les stylistes ayant participé à Caftan, ils savent qu’ils vont acheter un caftan de haute couture. Ils sont en confiance et notre travail est beaucoup plus crédible à leurs yeux.
Comment imaginez-vous le caftan dans 20 ans ?
Toujours aussi classique ! Je suis pour que le caftan garde son cachet et j’espère qu’il ressemblera toujours à celui que portait nos grands-mères. Aujourd’hui encore, comme la thématique “vogue zaman” le prouve, nous revenons à l’ancien et je souhaite donc que dans vingt ans, le caftan ressemble à celui d’aujourd’hui, mais en plus beau encore.