Marocaines du Golfe : le vrai talent

Depuis de nombreuses années, nous autres, marocaines, souffrons d’une mauvaise réputation dans les pays du Golfe. Débauchées, filles faciles, prostituées… les qualificatifs peu élogieux nous collent à la peau. FDM s’est rendu sur place pour aller à la rencontre de nos compatriotes et leur donner la parole. Reportage.

Jeudi 13 février, hall 2 du World Trade Center à Dubaï. Le one-man-show de Gad Elmaleh se joue à guichets fermés pour la première venue de l’artiste aux émirats arabes unis. Dans la salle, on se croirait chez “Paul” un soir de week-end. On se dévisage, on se tape la bise, on se raconte les derniers tberguigs. Ça parle le marocain made in Dubaï, une darija mélangée à du français et ponctuée de “you know” et de “whatever”.

Avant de débuter sur scène, le spectacle est déjà dans la salle… Les sacs Chanel sont tous de sortie et les clichés aussi. De la Rbatie B.C.B.G. à la “léopard-plus-overlookée-tu-meurs”, toutes les Marocaines se sont donné rendez-vous pour voir leur Chouchou.

Le show démarre fort. Gad s’adresse au public en demandant s’il y a des Marocains dans la salle. Evidemment, des cris stridents s’élèvent… Ils sont là, on est là, nombreux, très nombreux, résidants de Dubaï ou des autres émirats, mais aussi de tout le Moyen-Orient.

De Bahreïn, du Liban, d’Arabie Saoudite ou du Qatar, les ressortissants du Royaume ont répondu présent en masse. Dans les rangs, des voix résonnent plus fort. “Nadiaaaaa”, “Kenzaaaaaa”, “Laylaaaa”… Les Marocaines sont là et le font savoir. D’ailleurs, Gad soulève en direct la beauté des spectatrices qui se sont mises sur leur 31, “enfin, pas toutes quand même, il y a aussi des physiques plutôt atypiques et des tenues plutôt… atypiques aussi”, ironise l’humoriste.

L’origine du mal

Selon les chiffres avancés, nos ressortissants marocains recensés aux seuls émirats arabes unis avoisineraient les 40.000 résidants avec un taux de féminisation d’environ 60 %. Il faut dire que les flux migratoires féminins vers les pays du Golfe ont été facilités par les nombreux accords bilatéraux avec le Maroc et ce, dès le début des années 90.

à l’origine, nos migrantes exerçaient majoritairement comme domestiques ou nourrices en Arabie Saoudite, et dans les secteurs de l’hôtellerie et des soins du corps (coiffure, massage, esthétique…) à Bahreïn. Ce n’est que plus tard qu’elles changeront d’horizons et de carrières, privilégiant la Jordanie, le Qatar ou les émirats arabes unis.

Cependant, peu ou pas du tout diplômées et prisonnières de la “kafala”, système très souvent exploité par des trafiquants détenant une emprise quasi totale sur elles, nos ressortissantes marocaines ont constitué d’emblée des victimes désignées de la traite des femmes et d’abus en tous genres. Encaissant ainsi les sévices et les positions déshonorantes, elles ont vite été dépassées par la situation, s’offrant ainsi une image peu valorisante. C’est cette précarité que dénonce le professeur Abdelfattah Ezzine, chercheur à l’Institut Universitaire de la Recherche Scientifique, université Mohammed V Souissi à Rabat. Après une longue analyse du sujet, il assure que ces femmes sont victimes d’une triple négligence : celle de leurs familles, qui livrent ainsi leurs filles par ignorance ou par complicité ; celle de leur Etat, dont les actions et les mesures de protection sont très limitées ; et celle de leur société, qui galvaude leur réputation à travers des stéréotypes et des clichés véhiculés par la presse marocaine, les rendant coupables jusqu’à preuve du contraire.

Des dommages collatéraux

Ainsi, ces mêmes pays, qui nous ont grand ouvert leurs frontières par le passé, réglementent désormais fortement l’entrée des Marocaines sur leurs territoires, limitant drastiquement leur présence. Toute femme désirant séjourner dans les pays du Golfe doit avoir avec elle un parent ou un sponsor, qui l’accompagne dès son arrivée à l’aéroport. Des mesures justifiables, aux dires de certains locaux qui voient en nos ressortissantes des “bombes anatomiques à retardement”.
Un concitoyen diplomate m’assure cependant que les Marocaines ne sont pas du tout les tenancières du monde de la prostitution. Il rajoute même qu’il ne faut pas généraliser les cas minimes de ressortissantes impliquées dans des histoires sordides. “Nous ne sommes pas un vivier de saharates ou une pépinière de prostituées”, tranche-t-il avec fermeté.

En effet, selon les recensements et dans les faits, la majorité des expatriées marocaines exerce dans des hauts postes de cadres dans la finance, l’ingénierie, le tourisme, le marketing ou encore l’hôtellerie. Mais il y a également un grand pourcentage de non diplômées, qui officient dans des salons de beauté ou comme main-d’œuvre en entreprise ou chez des particuliers.

Présent il y a quelques semaines dans le cadre de la dernière édition des rencontres “Marocaines d’ici et d’ailleurs”, qui s’est tenue à Abu Dhabi, le professeur Mohamed Benyahya, chercheur à l’université Mohammed V Souissi de Rabat, indique que la majorité des expatriées marocaines réussit son intégration à la perfection de par ses compétences intellectuelles et professionnelles, concurrençant même les hommes dans des postes à haute responsabilité, et ce, principalement dans les secteurs du commerce, des médias et des télécommunications. Selon lui, la reconstruction de l’image écornée de la femme marocaine et la démonstration de ses aptitudes doit commencer par un travail à la source, à partir du Maroc, avant de prétendre à une réhabilitation auprès des autres pays arabes.

également présent lors de la rencontre, le secrétaire général du Conseil de la Communauté Marocaine à l’étranger, Abdellah Boussouf, a souligné à son tour que certains cas isolés restent exceptionnels et qu’il faudrait considérer ces femmes davantage comme des victimes plutôt que de les accuser coupables de choix qui ne sont pas les leurs.

“Il ne faut pas se voiler la face, me précise sans détour un diplomate marocain, pour pouvoir vivre et réussir son intégration au Moyen-Orient et plus précisément aux émirats, il faut répondre aux critères suivants : avoir un diplôme ou un métier et parler l’anglais”. Quant à  l’image de la femme marocaine vénale et libertine, elle est bel et bien révolue. Place désormais à nos potentiels de haut vol.

Une nouvelle vague

Il est vrai que depuis quelques années, on assiste à une immigration nouvelle d’une élite hautement qualifiée. Diplômées de grandes écoles européennes ou anglo-saxonnes et, pour la plupart, déjà actives sur le marché du travail, ces Marocaines viennent renforcer leur parcours professionnel au sein de puissantes multinationales afin de répondre aux besoins de hautes compétences dans la région. Le tourisme et l’hôtellerie, naguère secteurs porteurs, sont détrônés par la finance ou le conseil, comme en témoignent les nombreuses offres d’emploi présentées par les agences de recrutement ou les chasseurs de tête.

Claudine, chargée de recrutement dans une agence spécialisée de Dubaï, affirme que les candidatures marocaines sont souvent privilégiées de par leurs qualifications fortement recherchées, ainsi que par leurs compétences linguistiques et leur compréhension plus poussée de la culture locale.

Un point de vue qui tend à se généraliser. Pour cela, le plus grand travail est à fournir au sein même de notre propre société afin de lutter contre les stéréotypes et les idées préconçues. Peut-être devrions-nous commencer par méditer sur cette belle phrase du marquis de Condorcet qui déclarait, jadis : “Je crois que la loi ne devrait exclure les femmes d’aucune place. […] Songez qu’il s’agit des droits de la moitié du genre humain”.

Entretien avec Najib Bencherif

Ancien de la BBC et grand journaliste expérimenté, Najib Bencherif est l’un des fondateurs de la chaîne “Al Arrabiya” et membre du CCME. Installé aux émirats arabes unis, c’est un fervent militant et défenseur de la cause de la communauté marocaine à l’étranger. Sur le sujet des femmes marocaines dans les pays du Golfe, il se montre optimiste tout en dénonçant avec véhémence le manque d’initiatives et d’actions sur le terrain qui pourraient enfin mettre un terme à une image trop longtemps galvaudée.

Quel est, selon vous, le visage de la communauté marocaine installée dans les pays du Golfe ?

On assiste depuis quatre ou cinq ans à une immigration de qualité. Il s’agit de jeunes cadres dynamiques, diplômés de grandes écoles marocaines ou européennes. Ils sont surtout représentés dans les secteurs bancaires, les assurances, la finance, ou encore dans l’aéronautique au sein de compagnies comme Emirates Airlines ou Etihad Airways. Ces flottes recrutent d’ailleurs énormément à partir des écoles hôtelières marocaines. Ces jeunes expatriés contribuent fortement au développement économique de notre pays, notamment grâce aux transferts d’argent qui dépassent en nombre ceux de nos ressortissants en Europe.

Le profil type de la femme marocaine dans les pays du Golfe a donc évolué…

En effet, même si le problème de la prostitution des ressortissantes marocaines n’est pas complètement éradiqué, il a fortement diminué depuis l’instauration du système très strict relatif à l’octroi des visas, et ce, grâce à la collaboration des autorités marocaines. Les autorisations de séjour sont désormais automatiquement refusées, sauf cas très rares, aux détentrices de contrats de travail suivants: les coiffeuses, les artistes et les femmes de ménage. Cette action a contribué à lutter de manière efficiente contre ce fléau. Les “vrais” artistes, par exemple, doivent produire une autorisation du syndicat des artistes ou une procuration du ministère de la Culture.

Comment qualifieriez-vous le regard porté par la population locale sur la femme marocaine ?

Il faut être honnête, les hommes, là-bas, peuvent travailler des années avec une femme dans le respect le plus total et changer radicalement d’attitude dès lors qu’ils apprennent qu’elle est originaire du Maroc. Il y a un amalgame qui perdure et une image ancrée qui peine à s’améliorer avec le temps.
 

Comment expliquez-vous cela ?
C’est très facile à expliquer ! Que font nos représentants afin de rétablir l’image et la dignité de nos compatriotes ? Je suis indigné par le manque d’actions et d’investissement de la part de ceux qui ont pour mission de protéger nos intérêts et nos ressortissants. Il n’y a aucune stratégie, aucune vision à court ou long terme. Alors que nos ambassadeurs en Europe ont fort à faire afin de récolter des investissements ou de veiller au développement des relations avec les pays d’accueil, la seule vraie mission, ici, qui est de redorer le blason de la femme marocaine et de s’assurer de son intégration, est laissée complètement à l’abandon.

Que proposez-vous, donc ?

Il y a des clubs égyptiens, des centres culturels yéménites ou encore iraniens. Mais qu’en est-il de nous ? Il y a beaucoup de personnes qui sont prêtes à s’investir et à donner de leur personne afin de démontrer la valeur inestimable de ces femmes dotées de compétences et de capacités hors pair. Il faut s’adresser à l’opinion publique, inviter les locaux à constater de leurs propres yeux que nous pouvons proposer autre chose que des défilés de mode et des soirées frivoles… Il faut organiser des séminaires et des semaines culturelles de manière régulière et pérenne pour qu’enfin, la femme marocaine soit vue et appréciée autrement et que l’on comprenne ici et ailleurs qu’elle représente un acteur incontournable de la société, qu’elle contribue autant, voire plus, au développement économique et social du pays.

 

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