Majida khattari, tous voiles dehors !

Depuis 1996, Majida Khattari monte des défilés-performances où elle affiche la réalité de l'enfermement du corps de la femme. A travers des "vêtementssculptures", l'artiste cherche à susciter le débat sur la question du voile, entre autres. En parallèle, elle réalise des photos, des installations vidéo et des films que l'on peut voir à l'Essor Gallery de Londres, au musée Delacroix à Paris ou encore au Guggenheim de New York. Entretien.

FDM : Etes-vous une artiste engagée ? Qu’est-ce qui a initié votre travail autour du foulard islamique ?

Majida Khattari : Je suis effectivement une artiste engagée. Je considère même que l’art est politique. En 1996, et alors que je venais tout juste de terminer mes études à l’école des beaux-arts de Paris, le débat autour du foulard islamique battait son plein en France. C’était aussi un moment où je me posais toutes sortes de questions sur moimême, sur ma propre culture, sur la femme dans nos traditions… Je me suis alors dit qu’il fallait répondre à cette polémique et, dans l’idéal, essayer d’arrêter ce débat délirant. Je ne dis pas que l’artiste peut changer le cours politique, mais c’était ma manière de participer à ce débat et d’y apporter ma propre réponse. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler sur le voile.

Comment vous positionnez-vous par rapport à ce débat ?

Je tiens d’abord à éclaircir une chose : je ne suis ni pour, ni contre le port du voile. Les femmes sont libres de faire ce qu’elles veulent de leur corps. Je pense donc que c’est un débat qui n’a finalement pas lieu d’être. En ce qui me concerne, j’ai décidé de travailler sur ce qu’on garde de nos traditions quand on a une double culture et comment combiner tout ça quand on est dans un pays d’exil.

Pourquoi avoir choisi le défilé-performance comme mode d’expression ?

J’étais installée à Paris, capitale de la mode ; alors je me suis dit qu’il n’y avait pas mieux que les défilés pour parler des femmes et avec des femmes. J’ai donc choisi de m’exprimer à travers la performance, largement utilisée auparavant par les féministes dans les années 70 et qui fut aussi une forme d’engagement politique. J’ai mené ma réflexion sur la question du voile islamique mais avec des “vêtements- sculptures” pour bien préciser qu’il ne s’agit pas de mode. C’est en fait un travail à travers lequel j’essaie de décrypter le regard porté sur ce qu’ils appellent “voile islamique” et qui suscite une telle angoisse de l’autre. Les enjeux sont nombreux certes, mais j’insiste sur la forme purement artistique de mon travail.

Une forme qui repose aussi sur la provocation …

Les images sont effectivement provocantes mais l’art peut heureusement se le permettre. Il y a des images où l’on voit des femmes qui souffrent et qui n’arrivent pas à “sortir de leur voile”, comme il y en a d’autres où elles sont complètement dénudées. Pour moi, entre l’une et l’autre, on peut très bien créer une troisième voie. Je pense qu’on peut être bien dans sa tête sans être voilée et sans être tout à fait nue non plus.

Quelles sont les réactions suscitées par vos défilés ?

J’ai commencé mes performances à partir de 1996 et je peux vous dire que j’ai été bien accueillie dans le milieu artistique. Ce qui m’a davantage intéressée est que les femmes non musulmanes se projetaient aussi dans mes défilés. Car mon objectif n’est pas de dire que porter le hijab est bien ou mal, mais de parler d’un enfermement des femmes qui dépasse la question du voile. Ce dernier n’est qu’un prétexte pour parler des différentes formes de violences subies par les femmes, qu’elles soient musulmanes ou non.

Est-ce que tous vos travaux tournent autour du thème du voile ?

Non, en fait je travaille beaucoup sur la question du corps féminin. J’ai fait quatre défilés où j’ai effectivement traité ce thème. Le troisième défilé-performance, intitulé “VIP” (Voile Islamique Parisien), est par exemple celui où je me rapproche le plus de la mode. Mon idée était en fait de désacraliser le voile et de l’emmener vers la mode parisienne d’où le “VIP” qui était un clin d’oeil à la marque Vuitton. J’ai aussi créé un tableau intitulé “Tchador, j’adore” en référence à Dior. J’ai presque créé une mode en fait. A l’époque, j’ai même été menacée par les féministes françaises qui avaient peur que je lance la mode de la burqa(rires).

Depuis, avez-vous soulevé d’autres questions ?

Lors du dernier défilé, j’ai soulevé la question de la soumission. J’ai fait défiler deux filles, l’une enfouie sous un tas de vêtements rappelant la forme de la burqa, et l’autre presque nue, perchée sur des chaussures à talon avec une énorme coiffe sur la tête. Chez cette dernière, il y avait une telle esthétique de la beauté que cela l’empêchait presque de marcher et l’obligeait à se mouvoir au même rythme que la femme sous la burqa. D’où le message du dernier défilé : dans la mode, les  mannequins subissent le même type d’enfermement que les femmes enfouies sous un niqab. Tout cela dépasse de loin la question religieuse. Actuellement, je continue de mener un travail esthétique autour du foulard.

Comment percevez-vous le port voile ici au Maroc ?

J’ai l’impression que c’est davantage pris comme un jeu. Ici, les femmes sont coquettes et s’amusent à coordonner la couleur du foulard avec celle de la djellaba. Elles le portent certainement pour des raisons spirituelles, même si j’ai l’impression qu’il n’y a pas une bonne connaissance du côté religieux. C’est très ambigu. Je trouve par contre plutôt délirant que les Marocaines portent des burqa !

Votre première exposition au Maroc a eu lieu l’année dernière. Pourquoi pas une performance ?

J’ai créé un travail à même d’ouvrir le dialogue avec le public marocain. Je ne pouvais pas venir directement avec un défilé car ceux-ci sont assez choquants même pour les Français. Comme je savais qu’il y avait un amour de la peinture ici, j’ai repris le thème de l’orientalisme, en l’exagérant presque, tout en exposant exprès ces corps féminins pour dire qu’on peut créer le débat autrement. Il y avait aussi des photos qui choquaient un peu plus que d’autres. Mais je pense que le public marocain est prêt à recevoir, à discuter et à débattre.

Etes-vous restée attachée au Maroc ?

Je viens tous les ans au Maroc, plusieurs fois même. Je travaille aussi très souvent avec des artisans  marocains pour la réalisation de mes créations. J’utilise beaucoup d’autres matières d’ici. L’idée est de mixer deux façons de voir les choses pour en créer une troisième.

Que pensez-vous de l’évolution de la condition de femme marocaine ?

Il y a eu beaucoup de progrès, d’adoption de lois et de création d’associations féminines. Maintenant, c’est au tour des femmes de travailler, chacune de son côté, pour sa propre émancipation. Et surtout, pas de fascination pour l’Occident ! C’est bien de s’inspirer d’autres cultures, mais c’est dangereux d’être sous l’emprise d’une fascination aveugle. Les Marocaines ont la chance d’avoir une identité multiple : arabe, africaine, berbère, musulmane, juive… Il faut veiller à garder cette richesse, tout en la modernisant. Et je pense qu’on est assez douées pour ça (rires) !

Après avoir conquis plus de 150 villes à travers le globe, Fever, la plateforme internationale de référence pour la découverte
la Fondation Attijariwafa bank inaugure sa saison culturelle avec l'exposition « Génération objectif : Loin des clichés », dédiée à
Dans un moment historique, le cavalier autrichien Max Kühner s'est adjugé le prestigieux titre de Champion des Champions du Longines
Les 24, 25 et 26 octobre, M Avenue se transformera en centre névralgique de la diversité culturelle à l’occasion de
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4