Le 10 décembre dernier, Zhor Baki, une journaliste et militante à la fleur de l’âge, a été passée à tabac en plein jour sur un boulevard de la capitale. D’après elle, cette agression interviendrait suite à ses prises de position contre un jeune homme bien connu des internautes : Cheikh Sar.
Rappelez-vous. Il y a un peu plus d’un mois, ce prêcheur en herbe avait posté une vidéo sur Internet afin de dénoncer le harcèlement sexuel des hommes par les femmes. Dans celle-ci, intitulée “Un homme subit 100 harcèlements en une heure”, le vidéaste amateur filme en gros plan les postérieurs de femmes marchant dans la rue, lesquelles, bien entendu, ne se doutent pas une seule seconde être épiées de la sorte. Selon lui, les hommes seraient donc harcelés sexuellement par les femmes “aguicheuses et semi-dévêtues” qui déambulent dans les lieux publics.
Face à ce discours nourri d’intolérance et de stupidité, Zhor s’est quant à elle imposée sur les réseaux sociaux comme une fervente défenseuse des libertés individuelles et des droits de la femme. Réputée pour ses prises de position courageuses et ses propos dénués de toute langue de bois, qui lui ont valu de nombreuses menaces sur Facebook, elle ne pensait pas pour autant qu’on s’en prendrait à elle physiquement pour avoir “osé” contredire publiquement Cheikh Sar, cet ex-rappeur qui s’autoproclame défenseur des mœurs et garant du respect de l’islam sur le Net.
Car si Zhor et quelques autres ont dénoncé et poursuivi en justice l’auteur de ces propos acerbes, la plupart des Marocains, et surtout des Marocaines, y entendent, eux, la voix de la raison…
Opération lavage de cerveau
Les années passent, et Cheikh Sar continue de meubler son temps libre en nous abreuvant de discours creux, sans fondement aucun, si ce n’est celui de la religion dont il semble ignorer les véritables préceptes. Comme beaucoup de coquilles vides, Cheikh Sar a choisi pour terrain de jeux l’antiféminisme religieux, un domaine accessible à tous et qui séduit un grand nombre de machos en manque de reconnaissance, et de femmes persuadées que la soumission proclamée et revendiquée est le seul moyen de dénicher un “bon mari”. Sur les réseaux sociaux, Cheikh Sar semble avoir gagné son pari. Ses vidéos et ses posts font le buzz et nombreux sont les jeunes gens qui adhèrent à son discours. “Malheureusement, les jeunes souffrent d’une sorte de paresse intellectuelle. De plus, ils aiment ce qui est sensationnel et qui sort du politiquement correct. Sur Internet, les gens sont avides de tout ce qui traite d’argent, du pouvoir, du sexe et de religion. Du coup, une large catégorie de personnes adhère à ces discours, pour la simple raison qu’on ne peut douter de la véracité des propos dits religieux”, nous explique le sociologue Chakib Guessous.
Un vide que le Net vient combler
Livrés à eux-mêmes, les jeunes trouvent refuge sur la Toile. Selon notre spécialiste, “le développement social fait que la cellule familiale ne fonctionne plus de la même manière qu’avant. Pris par leurs moult occupations, les parents n’ont pas vraiment le temps de s’occuper de leurs enfants et de leur inculquer certaines valeurs. Presque abandonnés, ces derniers cherchent de nouveaux référentiels sur le Web. Le système éducatif a également sa part de responsabilité, car l’école ne joue plus le rôle qu’elle est censée endosser”. Internet est donc devenu la source d’éducation première, une sorte d’arène ouverte à tous les prêcheurs qui leur permet de propager à vitesse grand V des discours aussi dangereux que stupides. Bienvenue dans l’ère 2.0, un espace d’expression où n’importe qui peut devenir quelqu’un…
La femme, persona non grata
Et pour faire du buzz, rien de plus simple… Tout ce qui touche à la femme est matière à controverse. Sur le Web, les statuts misogynes fusent de toute part et reçoivent la bénédiction des internautes : “Les femmes devraient rester chez elles à s’occuper des enfants” ; “lorsqu’une femme porte des vêtements moulants, qu’elle ne vienne pas se plaindre si on la harcèle dans la rue” ; “si elle s’est faite violer, c’est qu’elle l’a sans doute cherché, et donc mérité”… des propos qui viennent tordre le cou aux principes de modernité, d’ouverture d’esprit et de tolérance prônés par les modernistes et les féministes.
Mais pourquoi prendre la femme pour cible ? “Les gens ont besoin d’extérioriser leur violence. Et pour ce faire, ils ont tendance à prendre pour cible les personnes les plus vulnérables, à savoir les femmes. Pour le Marocain lambda, celles-ci investissent de plus en plus l’espace public, jadis exclusivement réservé aux hommes. C’est la raison pour laquelle il sort ses griffes”, ajoute Chakib Guessous. La femme serait donc une menace qu’il faut anéantir, un pion qui a dépassé les limites de l’espace qu’on lui a imparti et qu’il faut remettre à sa place… Une mission que certains s’auto-confient sur Internet, à l’image de Mayssa Salama Ennaji, qui a su séduire les réseaux sociaux et certains médias par ses prises de position antiféministe. La femme est aussi le pire ennemi de la femme…