J’ai toujours su que j’aurais une trajectoire de vie pas commune et comme le bonheur, pour moi, passe fatalement par le couple, j’ai fondé pas mal de partenariats officiels qui ont même fait dire, un jour, à une copine, que j’étais un Eddy Barclay en jupons. J’ai pris ça comme un compliment. Fondamentalement, je suis honnête dans ma relation à l’autre ; si j’aime, j’épouse. Si le couple ne répond plus à mes attentes, je prends la tangente. Une équation binaire qui me correspond parfaitement, vu que je n’ai jamais de regrets ou de remords a posteriori. Malgré tout, je me marie à chaque fois avec la flamme intacte et la perspective sincère de faire de vieux os en compagnie du “provisoire” homme de ma vie du moment ! Ce sont les événements qui finissent par en décider autrement et la roue tourne de nouveau !
Je suis née dans un milieu très conservateur d’immigrés de la première génération, véhiculant les clichés habituels : mère analphabète, fratrie nombreuse, traitement inéquitable entre les filles et les garçons, préservation de la virginité pour le mariage, etc. Et bien que n’ayant jamais été parqués dans un ghetto-cité de la banlieue parisienne, nos origines sont plutôt modestes. Petite, j’ai grandi avec l’idée distillée par mes nombreuses tantes et cousines qu’il était absolument hors de question d’épouser un frenchie de souche et qu’il fallait “puiser” da
ns sa communauté d’origine ou, à la rigueur, prendre un échantillon tout droit atterri du bled. Pour ma part, j’ai toujours trouvé cela très réducteur et ai, au contraire, affiché, très tôt, une attirance pour la différence de culture. Ado, je dévorais aussi un roman Harlequin par jour et me découvrais friande de love stories, débutant de façon très compliquée et se terminant toujours en happy end, la bague au doigt. Et bien que je ne me l’avoue pas, je dois inconsciemment, de part mon éducation, percevoir le mariage comme la seule issue possible à une relation aboutie ; le concubinage ou les amours d’un soir n’ont donc jamais fait partie de mon répertoire.
Je rencontrai celui qui allait devenir mon mari numéro 1 dans le fast food, dont il était gérant. Agés tous les deux d’une vingtaine d’années, nous tombâmes follement amoureux et ce fut, au final, le seul arabe de ma collection ! On formait un couple très fusionnel, rapidement branché sur la perspective du cocooning foyer-bébés- matchs de foot, et boîte de nuit le samedi soir. La cérémonie de mariage a été mémorable, j’avais l’impress
ion d’être une princesse des mille et une nuits. C’est d’ailleurs le seul de mes mariages où j’ai vu mes parents aux anges ; la tête brûlée que j’étais allait enfin se calmer. Hum… Deux bébés plus tard (conçus l’un derrière l’autre), je commençais à m’ennuyer ferme dans ma vie conjugale et à m’éclater dans des études de gestion qui faisaient pousser des complexes à mon mec sans diplôme. De crises en scènes, tout son côté macho réprimé est ressorti et il a exigé que je redevienne femme au foyer à temps plein, insultes et gifles à l’appui. Ipso facto, mes deux enfants sous le bras, j’ai claqué la porte, un beau matin, et me suis débrouillée toute seule comme une grande, en cumulant les petits boulots qui me permettaient de poursuivre mes études en parallèle.
A peine le divorce prononcé, mon cœur d’artichaut a de nouveau été atteint par la flèche de Cupidon et je n’ai pas résisté aux avances de Thibaut, trentenaire, célibataire endurci, qui avait presque élu domicile dans le magasin de chemises où je travaillais à temps partiel. Musicien à ses heures perdues et poète, producteur de son métier, il me trouvait exotique, pleine de vivacité, paradoxale ; moi, j’admirais son côté artiste, un peu fou. Son aptitude à la vie de bohème tranchait tellement avec le conformisme de ma famille que je me laissai embarquer sans peine dans des virées en moto, des plans week-end dans de minuscules hameaux, des soirées mondaines dans le genre bouillon de culture et looks déjantés, etc. Ma famille n’a eu vent de l’existence de Thibaut que lorsque celui-ci a mis, un beau jour, le genou à terre, pour demander officiellement ma main. Et là, conseil de famille agrandi et accusateur : “Comment, un nasrani ? Mais elle est folle… En plus, c’est un bourge’. Qu’est-ce qu’il pourrait bien avoir à faire de la petite maghrébine que tu es ?” Je n’avais que faire de leurs remarques bêtes et méchantes ; en fait, c’est surtout la question de la conversion religieuse qui s’est, à ce moment-là, posée avec acuité. Et c’est Thibaut qui a pris les devants et décidé de lui-même, de devenir musulman “pour ne pas envenimer les choses”, a-t-il dit. Nous avons ensuite vécu ensemble huit ans jusqu’à ce que nos chemins divergent à nouveau : mon deuxième mari a sombré dans la dépression et l’alcoolisme et il n’a voulu ni le reconnaître, ni se faire soigner. Je le voyais dépérir de jour en jour et sa manière de brûler sa vie a fini par consumer pareillement le lien qui nous unissait. Lui, n’ayant pas souhaité avoir d’enfants, nous repartions libres de toute attache, chacun de son côté, et très bons amis jusqu’à aujourd’hui. Professionnellement, il m’avait aussi permis de décoller, en me faisant profiter de son réseau et j’avais monté ma petite société de prod’ à moi qui faisait son bonhomme de chemin.
S’ensuivirent des années relativement calmes sur le plan amoureux, car je travaillais sans relâche et m’occupais des enfants. J’ai pu aussi redécouvrir les joies de maman solo, les plans copines célibataires à la “Sex and the City”, les visites fréquentes dans mon pays d’origine, le Maroc, où je commençais à tisser des liens professionnels. Dans ma famille, on pensait (à tort !) qu’à trente-six ans, j’avais définitivement enterré la hache de guerre. “Ça y est, Najat, me disait ma mère, tu as payé ton tribut au mariage ; il est évident que tu n’es pas faite pour la vie à deux. Il faut maintenant te consacrer à éduquer tes enfants et penser à leur avenir”. Je ne pipais mot mais refusais d’adhérer à de telles sornettes, prête à sauter à nouveau le pas si l’amour revenait frapper à ma porte. Et il revint, sous forme de “e-mec” sur un portail virtuel, puisque, comme tout le monde, j’avais souscrit à la mode des sites de rencontres sur internet ! En effet, je m’amusais, depuis un moment, à rencontrer en vrai toutes sortes d’énergumènes qui ne passaient généralement pas le stade du premier café. Mais A., mélange savamment mixé de turc-allemand-parisien ressemblait à s’y méprendre à un acteur de cinéma ! Divorcé lui aussi, la quarantaine alerte, lesté également d’excédents de bagage, il me redonna l’envie de séduire et d’aimer, en tout cas au début. Parce qu’après six mois de relation et un an de mariage (en résidences séparées), j’avais, encore une fois, fait le tour de la question, en proie à de nombreuses interrogations sur son inconstance, ses mystérieuses disparitions (des maîtresses dans les parages ?), ses pesants silences et la froideur de ses rapports avec mes enfants. Au revoir l’ami ! Ce coup de foudre-là n’était pas très inspiré…
De nouveau libre comme le vent, le Maroc m’a fait, à ce moment-là, des appels de phare et je me suis quasiment installée à cheval entre Paris et Marrakech. C’est à ce paradis sur terre que je dois ma rencontre avec Pierre, un sexy quinquagénaire qui a entrepris de me remettre des petites étoiles dans les yeux. Et, là, j’ai pris tout mon temps, avant de me décider à arborer de nouveau la fameuse robe blanche, riant sous cape, à l’avance, des commentaires de ma famille : “Mais il est vieux celui-là, où l’as-tu encore chopé ?”. Ah, l’amour aveugle avec sa canne rose…