FDM : Vous, en quelques mots ?
Ghizlane : J’ai 30 ans et je suis célibataire. J’ai grandi à Aïn Sebaâ et j’ai quitté le Maroc à 18 ans, pour aller faire mes études et travailler en France où je vis depuis 11 ans.
Comment vous êtes-vous découvert cette passion pour la montagne ?
Ça a été une révélation pour moi. Si vous m’aviez proposé il y a quatre ans de partir dans la montagne et de marcher pendant 2 ou 3 semaines, j’aurais pensé que c’était de la folie. A cette époque, je n’envisageais pas les vacances autrement que d’aller à la plage pour bronzer. Puis un jour, la compagnie pour laquelle je travaillais nous a proposé un trek au Népal, dans la région du Langtang, dont le tiers était payé. Je me suis dis que ce serait une bonne occasion de voir un autre pays. Le sommet n’était pas très haut, 4.700 m, mais j’étais juste éblouie par le fait d’être au dessus des nuages et de voir un coucher de soleil dans une étendue immaculée. J’avais l’impression que c’était du coton et je n’avais qu’une envie, plonger dedans. D’ailleurs, au cours de ce voyage, je me suis aussi baignée dans un lac à moitié gelé à 4.200 m d’altitude ! Depuis, impossible pour moi de passer mes vacances autrement. J’ai besoin de ressentir l’euphorie qu’on éprouve en grimpant, qui nous envahit après un effort physique.
Quels sont les sommets que vous avez escaladés depuis ?
J’ai escaladé le Rinjani (3.726 m) en Indonésie, mais je n’ai pas atteint le sommet à cause d’une chute très grave. L’année dernière en juillet, j’ai escaladé le mont Kenya (5.199 m) et le Kilimandjaro (5.895 m). Puis, en septembre, j’ai fait une première tentative pour escalader le Mont-Blanc (4.810 m) par la voie des trois monts (car le Mont-Blanc est en fait constitué de trois sommets), et j’ai dû m’y reprendre à deux fois avant d’y parvenir. Dernièrement, j’ai fait l’ascension de l’Aconcagua (6.960m) en Argentine, le plus haut sommet après l’Himalaya.
Avez-vous battu un record ?
Oui, je suis la première Marocaine à avoir atteint le sommet de l’Aconcagua et j’en suis d’autant plus fière que le taux de réussite pour l’atteindre est de 30 %. C’est une montagne très capricieuse, très venteuse et du jour au lendemain, on peut avoir jusqu’à 60 cm de neige et des vents qui soufflent à plus de 100 km/h. L’altitude est très difficile à supporter quand on escalade cette montagne et c’est la première qui m’a vraiment fait peur. Arrivés à un camp de base à 4.000 m d’altitude, on doit rester trois jours sur place, le temps de s’acclimater. Pendant ce laps de temps, on a assisté à un balai d’hélicoptères qui venaient au secours des gens qui avaient des oedèmes pulmonaires, des orteils et des doigts gelés… J’ai vu des grands gaillards d’1,90 m rebrousser chemin et je me suis demandé comment moi, avec mes 1,60 m et mes 50 kg, je pourrais y arriver !
Alors, qu’est-ce qui vous a fait tenir ?
Moi, je n’avais pas les moyens financiers de revenir une autre fois (rires). Et puis, je pense aussi que les prières de ma mère m’ont aidée à atteindre mon objectif. Le jour du sommet, j’étais malade et je souffrais d’une sévère intoxication alimentaire, due à la neige fondue que l’on boit passée une certaine altitude. Mon guide n’a pas voulu me laisser continuer et prévoyait d’appeler les rangers pour me faire évacuer en hélicoptère. Mais j’ai résisté, encore plus motivée par le fait qu’il était persuadé que je n’y arriverais pas.
Quelle a été votre plus grosse frayeur ?
Quand j’ai escaladé le Rinjani, j’ai glissé et j’ai dévalé une falaise, en roulant comme une boule… J’ai vraiment failli mourir et j’ai échappé à la mort en me raccrochant à des herbes.
La chose la plus folle que vous ayez faite ?
C’était ma 2ème tentative pour atteindre le sommet du Mont-Blanc, un mois après le premier essai qui n’avait pas été concluant à cause de mauvaises conditions climatiques. La météo était, cette fois-ci, assez favorable avec un été indien. Un vendredi matin, j’ai appelé un guide avec lequel j’étais restée en contact, et je lui ai dit que j’aimerais bien retenter le Mont-Blanc. Il m’a dit qu’il fallait venir ce week-end-là et pas un autre ! Je ne me le suis pas fait répéter deux fois. J’ai pris mon après-midi et j’ai foncé dans un train. Vendredi à 14 h, j’étais encore installée derrière mon bureau, et le lendemain à la même heure, j’étais au sommet du Mont-Blanc. J’ai souffert parce que je n’étais pas du tout acclimatée, mais il fallait que je le fasse avant mes 30 ans, c’était un défi que je m’étais lancé !
A quoi ressemblez-vous dans la vie de tous les jours ?
Talons, habillée classe, en jupe, la vie dans un bureau, le grand confort… (rires).
Que ressentez-vous quand vous revenez chez vous après un tel exploit ?
Tu es heureuse d’avoir un lit, de prendre une douche (impossible à faire quand il fait -30 degrés dehors !), de manger ce que tu veux, de boire de l’eau… Boire de l’eau, rien que ça, c’est magnifique après des semaines à boire de la neige fondue aromatisée à l’orange.
Que pense votre entourage de votre passion ?
On me dit que je suis un peu folle de faire ça, qu’il doit me manquer quelque chose quelque part, que c’est trop dangereux… Mais ma mère est fière de moi, même si elle a peur.
Prochain projet ?
J’aimerais faire l’Everest mais ce n’est pas pour demain. Il faut compter 60.000 dollars pour son ascension et j’aurai vraiment besoin d’un sponsor. Avant de me lancer dans cette aventure, j’aimerais faire une montagne de 8.000 m dans l’Himalaya… Mais pour ça, il faut compter six semaines, et là, c’est mon chef qu’il va falloir convaincre (rires). J’ai toujours pris sur mon temps de vacances et mon propre argent pour vivre ma passion, mais maintenant que j’ai fait l’Aconcagua et que j’ai prouvé mes capacités, je suis peut-être un peu plus crédible pour espérer avoir un sponsor.
Avez-vous d’autres centres d’intérêts ?
En fait, j’ai toujours pratiqué des sports extrêmes. J’ai commencé le karaté à 7 ans. J’ai aussi fait du surf et de la boxe thaïlandaise. Mais je suis aussi très bonne cuisinière et je fais même de la couture, de la broderie et du crochet (rires) !
Votre passion fait-elle peur aux hommes ?
Oui, ce n’est pas évident… Ils commencent toujours par dire en me voyant que faire une montagne, ça doit être facile, que si on y arrive, ils y arriveront eux aussi. C’est ce côté hautain qui est gênant. Et quand ils s’y essaient et n’y arrivent pas, ça les frustre !