Attention ! Un débardeur qui dénude vos épaules, une petite robe qui dévoile vos jambes ou un jean qui moule vos hanches de trop près sont de nos jours autant de motifs pour tomber sous le coup de la loi des radicaux. Ce n’est pas de ces dragueurs invétérés dont il est question aujourd’hui, qui font peser sur vous leurs regards libidineux,puis vous lancent une ou deux remarques désobligeantes. Le phénomène est beaucoup plus grave. Il concerne ces agressions verbales et physiques que subissent des femmes, sous prétexte qu’elles sont habillées “légèrement”, de la part d’hommes qui se sont autoproclamés “gardiens des bonnes moeurs”.
3 millions de victimes
“Couvre-toi, débauchée, tu es soi-disant musulmane !” C’est en ces termes qu’Imane, 32 ans, s’est récemment faite apostrophée en plein coeur de Casablanca alors qu’elle portait une robe qui lui arrivait aux genoux. Paniquée parce qu’il commençait à faire noir, elle s’est réfugiée dans le premier taxi alors qu’elle avait encore des courses à faire. Comme Imane, elles sont de plus en plus nombreuses à subir une violence psychologique et parfois même physique à cause de leur manière de se vêtir. Il ne s’agit pas là de suppositions lancées à la légère, mais d’une réalité tangible. Le Haut Commissariat au Plan nous a même gratifiés de statistiques très officielles sur le sujet. Selon les résultats de l’enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes, réalisée en 2010, plus de 3 millions de Marocaines ont été victimes d’une agression sous une forme ou une autre dans les lieux publics. Elles sont 15 % à déclarer avoir subi une violence physique, dont 32 % “portant habituellement des tenues modernes courtes”, selon les termes du rapport du HCP.
“Moul Pikala”
Au-delà de ces chiffres pour le moins révélateurs, plusieurs affaires scandaleuses ont cette année défrayé la chronique, confortant le même état des lieux. La dernière en date est celle de l’agresseur à bicyclette, le désormais fameux “Moul Pikala”, qui a semé la panique à Tiznit durant le mois de Ramadan. Celui-ci s’en prenait aux jeunes filles non voilées qui portaient des jeans ou des vêtements trop moulants. Il leur lacérait le postérieur à l’arme blanche, laissant des cicatrices parfois très profondes, aussi bien sur le corps que sur le moral. Ses agressions ont fait 14 victimes,et selon des informations rapportées par la presse locale, le cycliste leur conseillait à chaque fois de mieux se couvrir, “sinon la prochaine ois sera encore pire”. Malgré tous les efforts déployés par la police, l’identité de “Moul Pikala” demeure toujours inconnue. S’agit-il d’un psychopathe ou d’un fondamentaliste aux idées rétrogrades ? Impossible de trancher même si les forces de l’ordre semblent pencher pour la première hypothèse. Et en attendant qu’elles lui mettent la main dessus, nombreuses sont des filles de Tiznit qui se sont résignées à sortir voilées pour éviter les coups fatals.
Coup dur… à la liberté
Des coups, c’est ce qu’a subi une autre jeune fille, cette fois-ci en plein coeur de la capitale. En mars dernier, la pauvre victime, et sous prétexte qu’elle portait un débardeur jugé trop démonstratif, a été rouée de coups puis dépouillée de ses vêtements par des gens décrits comme des salafistes, selon l’AFP. L’agression, d’une violence inouïe, a soulevé un tollé suivi d’un large débat sur la liberté vestimentaire des femmes. Un groupe Facebook intitulé “Débardeur wbikhir” a vu le jour, rassemblant journalistes, avocats, étudiants et citoyens lambda. Pour Nora Fouari, journaliste et membre fondatrice du groupe : “Peu importe que les agresseurs de la jeune fille soient des salafistes ou pas, leur acte nous a provoquées. Nous avons donc créé la page, puis nous avons décidé de nous réunir dans un café casablancais, du côté du Parc de la Ligue Arabe. L’idée était de venir habillées en débardeur, une manière de défendre le principe de liberté vestimentaire des femmes”. L’initiative a pris de l’ampleur mais le groupe a été contraint d’annuler ce rassemblement, notamment après avoir reçu des menaces de viol. “Nous nous sommes aperçues que notre proposition a été sortie de son contexte. Nous voulions faire entendre notre voix et non pas créer un conflit entre deux camps ennemis”, tient à préciser Nora. Le groupe est d’ailleurs toujours actif et prévoit la tenue de conférences sur les libertés individuelles très prochainement.
Pensée obscurantiste
De son côté, la société civile n’a pas manqué de monter au créneau, dénonçant une atteinte flagrante aux libertés ndividuelles et pointant du doigt la montée d’une pensée obscurantiste qui commet ses forfaits en toute impunité. “A travers ces actes répétés, ces extrémistes veulent imposer à la société marocaine leur pensée étroite”, a déclaré Bayt al- Hikma dans un communiqué de presse. L’association a par ailleurs dénoncé “l’indifférence des autorités face à ce phénomène”. Et elle n’est pas la seule à leur reprocher leur laxisme. Celles-ci tendent en effet à minimiser l’impact de cette nouvelle forme de violence à l’égard des femmes, surtout quand il s’agit de la relier à des agresseurs “extrémistes” traquant chaque centimètre carré de peau nue.
Résistance
Quelle que soit la position officielle vis-àvis de ce phénomène liberticide, la majorité des femmes montrent une résistance exemplaire. Une contestation au regard d’une certaine frange de la société aussi, qui ne les considère pas comme des victimes mais plutôt comme des coupables. Beaucoup d’hommes, et de femmes aussi, pensent en effet que l’agressée est responsable de ce qui lui arrive et que sa tenue légère peut être le déclencheur d’une violence. Ils entretiennent le discours selon lequel il suffirait que les femmes s’habillent plus “convenablement” pour que la violence à leur encontre cesse.“Mais ce n’est pas parce que j’ai été victime d’un pseudo prêcheur que cela changera quoi que ce soit à mes habitudes estimentaires”, insiste Imane. Et de conclure : “Pas question que ces esprits d’un autre âge contrôlent l’espace public”.