Femmes battues en quête de refuge

Quand l’espace domestique devient invivable, les centres d’accueil et d’hébergement pour les femmes battues deviennent l’unique refuge. Sauf que ces lieux accueillent aussi les femmes en situation vulnérable et les sans-abris.

L’association Attahadi pour l’Égalité et la Citoyenneté (ATEC) a inauguré en septembre 2020 le Centre Lalla Taja pour l’écoute et l’hébergement des femmes victimes de violence. “Ce nom fait référence à une figure de Casablanca, une femme qui venait en aide aux orphelins et qui a été lapidée par les hommes de son quartier pour ses supposées relations avec un diplomate belge au début du 20ème siècle. À sa mort, on refusa même de l’enterrer dans le cimetière musulman…”, explique Bouchra Abdou, directrice de l’association ATEC. Sis à Hay Hassani, le nouveau Centre apporte une multitude d’aide aux victimes de violence, comme le soutien psychologique, l’orientation juridique, l’hébergement d’urgence ainsi que des formations diplômantes en cuisine et pâtisserie. L’objectif étant de contribuer à l’autonomisation des femmes pour qu’elles démarrent une nouvelle vie. Le Maroc dispose actuellement d’une soixantaine de centres d’écoute et de quelques lieux d’hébergement dédiés à l’accueil des victimes de violence assurés par des ONG féminines.

C’est en 2006, et dans le plus grand secret, que le premier centre d’hébergement pour femmes battues avait ouvert ses portes à Casablanca, à l’initiative de la Ligue démocratique pour les droits des femmes. Le code pénal à l’époque était intransigeant envers toute personne qui cache sciemment une femme mariée. Des peines d’emprisonnement de 1 à 5 ans et des amendes étaient prévues pour dissuader quiconque essayait d’enfreindre la loi. La mobilisation des militantes a pourtant permis de faire bouger les lignes.

Écoute et orientation

Tous les matins, ce ne sont que complaintes, doléances et douleurs qui emplissent les salles d’attente des deux centres de Derb Ghallef et Hay Hassani mis en place par l’association ATEC à Casablanca. “Pendant le confinement, nous avons maintenu une permanence téléphonique pour aider et soutenir les femmes victimes de violence. Notre activité a repris normalement par la suite, et nous recevons au quotidien 6 à 10 nouveaux cas. Parfois, un peu plus”, explique la directrice du Centre. La démarche à l’égard des plaignantes est presque toujours identique : accueil, écoute, assistance sociale, juridique et psychologique. “La femme est écoutée en toute intimité, met des mots sur son calvaire et sa douleur…”, précise la directrice de l’Association. Une fois le rapport prêt, la responsable du centre détermine les besoins de la victime et la nature de l’assistance dont elle aurait besoin, auprès des tribunaux, du Ministère de l’Education Nationale (transfert scolaire des enfants), de la psychologue, du juge, du médecin, de l’assistante sociale chargée de faire l’enquête sur le terrain…

La maison des femmes battues

Les centres d’hébergement, de réhabilitation et de réinsertion des femmes victimes de violence et de leurs enfants accueillent des femmes désespérées, sans ressources et sans famille pour une période de 1 à 3 mois maximum. “Crise sanitaire oblige, ces centres ont besoin de revoir les conditions d’accueil, d’hygiène et de salubrité”, explique Mme Abdou. Relevant de l’entraide nationale et du ministère de la la famille, de la solidarité, de l’égalité et du développement social, “ces centres ne sont pas dédiés aux femmes victimes de violence mais aux femmes en situation de précarité, ce qui crée ambiguïté et engendre une non-conformité avec les normes de lutte contre la violence basée sur le genre”, relève le réseau LDDF-INJAD qui a rénové en avril de l’année dernière le centre d’hébergement Tilila de Mohammedia. Là, ce sont une dizaine de jeunes femmes victimes de violence qui sont hébergées. “Jusqu’à maintenant, et dans la plupart des cas, ce sont les associations qui agissent en premier et qui assurent la prise en charge et l’hébergement des femmes victimes de violence. Ainsi, plusieurs cas de femmes victimes de violence, dans le besoin urgent de trouver un hébergement, s’étaient adressées aux acteurs étatiques et gouvernementaux, et se sont retrouvées redirigées vers les associations”, explique encore la Fédération des Ligues des Droits des Femmes (LDDF). Mais au-delà de l’hébergement des victimes, les associations misent aussi sur l’autonomisation socio-économique des femmes. C’est dans ce cadre que s’inscrit le programme “Nt3elmo w n3wlo 3la rasna” (On apprend et on compte sur soi), développé par l’ONG Quartiers du Monde en partenariat avec la LDDF. Ce projet (de Janvier 2018 à Décembre 2020) vise non seulement le renforcement du pouvoir d’agir des femmes, mais aussi l’accompagnement d’initiatives économiques et de lutte contre les violences selon la stratégie de prévention, de protection et de prise en charge. Le chemin est toutefois encore long. Aider les femmes à se reconstruire et leur assurer un avenir digne est une bataille de tous les instants. 

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3 questions à Bouchra Abdou, directrice de l’Association Attahadi pour l’Égalité et la Citoyenneté

Quels sont les types de violence dont sont victimes les femmes et quel accompagnement leur proposez-vous ?

Les femmes sont sujettes à 6 types de violence : physique, psychique, économique, sexuelle, numérique et juridique. Mais quelque soit le type de violence, leur dénominateur commun est la violence psychique. Les victimes de violence souffrent d’une grande détresse qui pourrait les conduire à commettre l’irréparable et au suicide… La psychologue du Centre (et si nécessaire notre psychiatre bénévole) va les aider à dépasser ce cap difficile.

D’autres femmes ont besoin d’une orientation juridique pour déposer une plainte, demander le divorce ou exiger le versement de la pension alimentaire. Nous programmons alors pour elles un rendez-vous avec l’avocat de l’Association. Nous les accompagnons et nous les aidons à constituer leur dossier, mais nous insistons pour qu’elles accomplissent elles-mêmes les démarches. Il est important qu’elles s’approprient leurs propres affaires, ce qui va les aider à devenir plus autonomes et à compter sur elles-mêmes pour arracher leurs droits. En effet, dans certains cas, la femme n’a nul besoin des services d’un avocat. Et en cas de besoin, nous prenons en charge les frais judiciaires de la plaignante.

Quelles sont les raisons qui incitent, à votre avis, les femmes à retirer leur plainte à l’encontre du conjoint violent ?

Lorsque la femme est sans aucun niveau d’éducation et sans indépendance financière, la sortie du schéma de la violence est particulièrement difficile. Elle est souvent contrainte de continuer à vivre avec un mari violent, car il lui assure un toit et la subsistance des enfants. Divorcée, la pension alimentaire est trop insuffisante pour louer une chambre, nourrir et éduquer les enfants. En l’absence de structures étatiques, de subventions, de formations et d’emplois à même de protéger ces femmes et de leur assurer une vie digne, ces dernières se retrouvent entre le marteau et l’enclume. 

Qui sont les écoutantes et assistantes sociales qui accomplissent ce travail d’écoute et d’orientation ?

Ce sont des personnes formées à l’écoute et qui bénéficient d’une formation continue dans les techniques d’écoute, de communication, de médiation et d’orientation. Les formations englobent aussi une maîtrise du droit, des lois, des conventions internationales, de l’approche genre, etc. L’assistante sociale et l’écoutante sont parfaitement outillées pour remplir ce rôle d’écoute et d’orientation.

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