Al’origine de l’Espod, une association qui oeuvre pour la promotion de l’entreprise féminine,il y a la volonté de fer d’une femme d’action : Fattouma Djerrari. Autour d’elle, on ne cesse de parler du déficit des femmes, de tout ce qu’elles n’ont pas, de tout ce qu’elles ne sont pas, en ne manquant pas de compatir à leur triste sort… Mais cette dimension misérabiliste horripile Fattouma. Elle décide alors de s’engager, mais sur le terrain et aux côtés de celles qu’on dépeint comme des handicapées sociales. C’est pour montrer à tous la beauté et la force de ces femmes qui surmontent chaque jour de nombreuses difficultés liées à leur condition sociale, que Fattouma crée l’Espod. Car si on veut faire du développement durable, il est impensable de ne pas impliquer ces acteurs incontournables de la société que sont les femmes. Après tout, n’est-ce pas elles qui gèrent 25 % des ménages marocains ? N’est-ce pas elles non plus qui représentent plus de la moitié de la population ? Continuer à ne pas reconnaître le potentiel de la femme et ses atouts est une grosse erreur… Voilà la démarche que s’emploie à adopter Fattouma Djerrari, tout en ne perdant pas de vue une notion qui lui est chère et qu’elle cherche à préserver dans toutes les actions qu’elle mène : la beauté. Comme disait Dostoïevski : “La beauté sauvera le monde”…C’est la devise de notre militante.
D’un coup de baguette magique…
Sur le terrain, elle part à la rencontre des femmes et s’évertue à faire la promotion de leur art. Car dans leurs broderies ou leur manière d’accommoder quelques ingrédients pour en faire de la grande cuisine, elle voit de l’art. Et pour faire sa promotion, l’Espod devient la première association à mêler artisanat et industrie, le travail manuel des femmes et le prêt-à-porter, à faire du beldi-roumi. Ce qui fait croire cette humaniste à l’avenir prometteur du savoir-faire de ces femmes, c’est la magie qui s’en dégage. “Aujourd’hui, en économie, nous manquons de magie. L’économie est devenue stupide, matérialiste et comptable… Les gens travaillent, gagnent de l’argent et s’ennuient parce qu’ils ont dépourvu l’économie et le travail de leur magie”, explique-t-elle.
Pour l’amour de la nature
En 2001, dans le cadre d’une conférence à Taroudant, elle tombe sous le charme du discours de Pierre Rabhi, agriculteur et philosophe. Elle prend alors conscience d’une problématique de taille : l’écologie. “J’ai été touchée par ce problème en tant qu’humain menacé dans sa propre survie. Nous dépendons de la nature, nous n’en sommes pas les maîtres.” La raréfaction de l’eau, dans certaines régions du Maroc, due à une agriculture dévorante et prédatrice, couplée à l’absence de conscience… le cocktail est explosif. “Aujourd’hui au Maroc, la désertification est aussi bien naturelle qu’humaine. Ceux qui ont les moyens creusent des puits pour trouver de l’eau, mais les autres quittent les campagnes pour chercher du travail en ville.D’un côté, on croit développer le pays en créant de nouveaux emplois pour ces gens, mais de l’autre, on crée un déséquilibre économique”, nous dit la militante, persuadée que le fait d’adopter une agriculture respectueuse de l’environnement représente une vraie manne économique pour le pays, ne serait-ce qu’en matière de tourisme. Pour mener à bien ce nouveau combat, elle et Pierre Rabhi créent la branche marocaine de “Terre et Humanisme”, une association qui prône les vertus de l’agroécologie. Pour dispenser les principes de cette nouvelle manière de cultiver la terre, Fattouma se lance dans l’acquisition de plusieurs terrains dans le monde rural, notamment en périphérie de Casablanca, à Dar Bouazza.Ici, on apprend aux paysans à mieux gérerl’eau, à fabriquer du compost, à connaître les vertus de l’ortie… et à vendre leurs productions.
Le futur se construit aujourd’hui
Aujourd’hui, ses projets font légion. Il y a notamment l’agriculture urbaine à laquelle la militante croit dur comme fer. Le concept ? Exploiter les espaces publics inutilisés en les transformant en aires de production. Cette idée, qui consiste à introduire la campagne dans la ville, existe dans les principales mégacities dans le monde, à l’instar de New York, Paris, Berlin ou Montréal. Dans les agroparcs, les citadins peuvent se promener, cueillir des fruits, récolter des légumes et se nourrir de ces cultures. Un moyen ingénieux de créer de l’emploi pour la population issue de l’exode rural, et de faire de l’agriculture urbaine un pan de l’économie tout en respectant l’écologie et en luttant contre l’insécurité alimentaire. Autre problématique de aille qui préoccupe Fattouma Djerrari : la semence, que les paysans ne produisent pratiquement plus et sont obligés d’acheter à prix d’or chez des producteurs. Pour mener à bien ce nouveau combat,elle crée avec les Nations unies le projet “Les femmes semencières”. Enfin, il y a aussi le tourisme équitable que cette féministe écolo ne perd pas de vue. Pour attirer ces touristes solidaires tout en assurant la formation de ses équipes, un autre terrain a été acquis dans la région de Ben Guerrir connue pour son aridité. Ici, on apprendra à réhabiliter les valeurs écologiques et à contrer le problème de la désertification. Témoin des ravages causés par l’homme, Fattouma parle de suicide collectif… “En 300 ans, on a malmené la terre. Je me demande où on va… L’humain se croit intelligent mais il ne l’est pas autant qu’il le pense”, conclut-elle avant de finir sur une note positive : “Mais j’aime ce que je fais parce que j’apprends beaucoup tous les jours”.