Elles ne veulent pas être mères Un choix hors normes

Alors que la société prône l’idéal de la parentalité, expliquer pourquoi certaines femmes décident de tourner le dos volontairement à la maternité n’est pas chose aisée...

égoïstes, lâches, carriéristes, volages, vamps éprises d’une liberté échevelée…, tels sont les qualificatifs donnés aux femmes qui ont fait le choix volontaire de ne pas enfanter. Minoritaires, elles manifestent rarement et ouvertement leur refus de donner la vie. Même si la tendance est à la hausse partout dans le monde et que l’évolution est exponentielle, la principale raison à leur silence est l’incompréhension de leur entourage. Dans un contexte régi par autant de tabous et d’interdits, le fait de ne pas vouloir d’enfants est en effet un sujet sensible, car il renvoie systématiquement à la procréation et donc, à la pérennité de l’espèce humaine.

En ne voulant pas avoir d’enfants, ces femmes ne répondent pas aux normes préétablies et imposées par la société. Les plus visées ont en général entre 25 et 35 ans, car elles sont en “pleine fécondité”. Une injonction qui relève de représentations bien définies : avoir un partenaire et être en couple stable, planifier des naissances au bon âge et au bon moment, dans le cadre d’un projet conjugal.

“Grandis un peu, pourquoi es-tu si égoïste ?”

“Avec mon mari, nous étions les seuls à ne pas avoir d’enfants au sein de notre entourage. À chaque réunion familiale, j’avais droit à la même rengaine : “Alors, c’est pour quand?”, “Grandis un peu, pourquoi es-tu si égoïste?”… On devait tout le temps se justifier au point de ne plus vouloir aller à ce genre d’événements”, témoigne Leila, 37 ans. Imane, 38 ans, a elle aussi subi une forte pression familiale et sociétale: “Avoir un enfant est une décision très complexe qu’on ne peut pas prendre à la légère. 

Je n’ai jamais éprouvé le besoin de devenir mère. On me disait qu’une fois mariée, cela arriverait sûrement. Mais ça n’a pas été le cas non plus, ce qui n’a  jamais été un problème au sein de mon couple. Mais ce sont les autres qui peuvent être agaçants en s’autorisant à vous donner des conseils dans un élan de mimétisme débordant. Je trouve cela insupportable et indigne de réduire le rôle d’une femme à celui de génitrice”, dit-elle.

Un choix contre-nature ?

Pour la psychologue Nadia Cherkaoui, les femmes n’ayant pas le désir d’enfanter sont susceptibles d’éprouver, en fonction du niveau de conservatisme de la société, du groupe ou du cercle familial, ce qu’endurent les minorités : ostracisme, rejet, exclusion… “En clamant leur refus d’enfantement, elles se placent dans une configuration de transgression par rapport aux injonctions sociales. Elles donnent prise à tous les préjugés, à toutes sortes de soupçons, y compris d’anormalité. Cela rassure d’imaginer qu’une femme qui ne veut pas d’enfant est malheureuse, qu’elle est forcément moins épanouie en tant que femme que les autres, devenues mères”, précise notre spécialiste. “L’entourage ne comprend pas ce choix parce que le fait de vouloir enfanter est quelque chose de naturel et génétique, poursuit Amal Chabach, sexologue, c’est une décision “contre-nature””.

Le rôle de parent ne séduit pas tous les couples

Les choses se compliquent souvent quand dans un couple, le conjoint exprime le souhait de fonder une famille. Il se produit dans ce cas une situation de conflit créant un climat tendu, et peuvent alors s’installer des pressions entre les partenaires, de la frustration, de l’anxiété et du stress. Dans d’autres cas, l’amour l’emporte et le couple fait, d’un commun accord, le choix de ne pas avoir d’enfants. Cela a été le cas de Zineb et Driss, et d’Amina et Saïd. Dans le premier cas, c’est Driss, 45 ans, qui a accepté la décision de son épouse, et pour le second duo, c’est Amina, 65 ans, qui a choisi de respecter le souhait de son mari : “J’ai préféré garder mon mari plutôt qu’avoir un enfant. Je suis même tombée enceinte deux ou trois fois et j’ai avorté. Je ne regrette pas ma décision et je ne suis pas malheureuse. J’apprécie notre liberté. Je me sens accomplie. Avec mon mari, nous sommes très complices, on s’occupe l’un de l’autre, on est amis, amants, on est la mère, le père…”, dit-elle.

Les femmes ne sont donc pas les seules à ne pas vouloir d’enfants. Certains hommes refusent également le rôle de père et souvent, pour les mêmes raisons : la  peur des responsabilités, de mettre au monde un enfant dans un environnement difficile où il va souffrir, la crainte de l’engagement, de perdre sa liberté…


Une décision irréversible… pour la femme

“Si les hommes peuvent faire machine arrière, ce n’est pas le cas des femmes, dont l’horloge biologique tourne. Avant de prendre sa décision, elle se doit de faire un travail sur elle-même, car refuser de procréer n’est pas anodin. Elle doit être sûre qu’il ne s’agit pas d’un choix réactionnel, en rapport avec son passé, sa mère, son père, sa vie amoureuse, une expérience douloureuse…, et qu’elle veut, d’une manière inconsciente, protéger ce futur enfant en ne le mettant pas au monde”, précise Amal Chabach.

En effet, le risque de regret et de non-retour est moindre chez l’homme. L’entourage sera même plus indulgent envers lui, il cherchera moins à comprendre les raisons de son refus de paternité. Pour la femme, l’insistance est généralement de mise : “Déteste-t-elle les enfants ?” ; “Est-elle incapable d’aimer ?” ; “Peut-être n’a-t-elle pas trouvé le bon ?”…, autant de  questions qui tendent à faire croire qu’elle souffre d’un déséquilibre, d’un manque, ou de circonstances malheureuses. Mais doit-il absolument y avoir une dimension pathologique  à ce refus ? N’est-ce pas plutôt quelque chose qui relève de la liberté individuelle de chacune ?

Femme, donc mère ?

“La question sur les raisons qui pousseraient ces femmes à ne pas vouloir enfanter renvoie, à elle seule, à un ensemble d’interrogations généralement soulevées lorsque la collectivité s’intéresse à elles. Elle laisse entendre, en effet, que l’on examine les caractéristiques d’une population minoritaire, qui dit ne pas vouloir d’enfant, et que l’on veut la profiler, en quelque sorte, pour la différencier du modèle de la majorité. Cela voudrait donc dire qu’une femme n’a pas d’autre choix que celui de  vouloir enfanter, à l’image de toutes les autres. La même question représente par ailleurs la gent féminine comme étant déterminée par des causalités, internes à elle, et qui conduisent à ce statut en dehors de normes établies : la transgression dans laquelle elle s’inscrit serait déterminée par une histoire et une origine qui témoigneraient soit d’une pathologie donnée, soit d’un déficit de sensibilité, d’altruisme…. Il s’agit donc d’une femme déficitaire à un niveau ou à un autre”, répond Nadia Cherkaoui.

Toujours selon elle, pour répondre à cette question, il faut avant tout souligner en premier lieu le caractère contraignant qu’elle évoque lorsqu’elle représente le désir d’enfantement comme quelque chose d’automatique, et qu’elle occulte la question du choix et de la liberté. “Nous ignorons généralement notre désir parce qu’il est lié à notre inconscient. Désirons-nous réellement un enfant lorsque nous décidons de le porter ? Pour lui-même ou pour nous ? À l’inverse, refusons-nous de lui donner la vie pour notre confort ou pour le protéger du poids et de l’influence de nos névroses ? Difficile, dans ce cas, de dire où débute l’égoïsme et où se situe  l’altruisme… La question soulevée mène en définitive à interroger les deux femmes, celle qui reconduit de façon réflexe les prescriptions de la norme, et celle qui pour une raison ou une autre, les refuse. Qui protège l’enfant en tant que projet ? Chaque cas est particulier, et chaque histoire est unique. Ce qui est sûr, c’est que tout ignorer de notre désir véritable d’enfanter ne conduit pas à une meilleure aptitude à la maternité. Entre vouloir et désirer un enfant, il y a donc un différentiel majeur”, conclut-elle.

Micro-trottoir

Karima, 38 ans, célibataire

Personnellement, je n’ai pas envie d’avoir d’enfants. Ce qu’on appelle l’instinct maternel m’est complètement étranger et méconnu, et je ne ressens aucunement le besoin de devenir mère. Je ne rêve pas de voir grandir un petit être que je vais devoir choyer, dont il me faudra supporter les caprices, et m’occuper de lui toute ma vie. Peut-être que c’est par égoïsme et par lâcheté que j’ai pris cette décision, mais c’est un sacrifice qui ne m’interpelle pas.

IMANE, 39 ans, divorcée

Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’ai une vraie phobie des bébés et de l’accouchement. Les enfants âgés entre 0 et 2 ans me font terriblement peur car je ne comprends pas leur fonctionnement. Au-delà de ça, je ne suis pas non plus très optimiste quant au devenir de ce monde. Je ne trouve pas très sain d’enfanter sur une planète aussi chaotique. Quand j’en parle, on ne me prend pas au sérieux. D’ailleurs, cela a été le cas de mon compagnon. Je suis en couple depuis 8 ans et si pendant plusieurs années cela n’a pas posé problème, aujourd’hui, c’est un sujet handicapant qui a eu pour conséquence une séparation. Même si je l’aime, je me demande s’il ne vaut mieux pas en finir définitivement, car je n’ai pas le droit de le priver de ce droit.

IMANE, 39 ans, divorcée

Doit-on avoir des enfants pour faire plaisir à la société ? Me concernant, il n’en est pas question ! Plusieurs hommes qui m’ont approchée, après mon divorce, voyaient en moi la future mère de leur enfant. Ils croyaient me faire plaisir en me faisant cette belle proposition, signe de sérieux ! Je me sentais comme un porte-bébé. Avec tout ce que les gens laissent comme héritage à leur progéniture, j’avoue que ça ne me donne pas très envie. Mettre au monde un enfant avec une planète à moitié détruite, polluée, des guerres partout… n’est pas très joli. Dans la plupart des cas, ça reste un instinct très basique, pas réfléchi et très égoïste. On fait d’abord un enfant pour soi et pas pour lui-même. Comment peut-il en être autrement, il n’a rien demandé ! .

L’avis du psy

Trois questions à Nadia Cherkaoui, psychologue.

Est-ce que ne pas vouloir être mère revient forcément à être une “anti-mère” ?

Nadia Cherkaoui : Tout dépendra des histoires et des particularités des femmes concernées. Pour certaines, la pression continue du corps social et familial, qui refuse l’image d’insignifiance renvoyée par une femme dont l’utérus n’est pas opérant, est susceptible de développer chez elles des attitudes contre-défensives. D’autres adoptent des comportements “intégristes” à l’égard de l’enfantement : il s’agit ici le plus souvent de conflits psychiques autour de la question de la maternité et des rapports qu’elle entretient avec l’histoire de la personne, de son enfance, de sa propre histoire et des relations d’amour qu’elle a eu à vivre. Dans d’autres situations, plus représentatives au regard de la pratique clinique, la personne peut se conduire de façon tout à faire avenante et bienveillante vis-à-vis des enfants d’autrui, se comporter comme une “tatie gâteau”, se montrer disponible et à l’écoute… Rappelons que ce n’est pas une personne inadaptée ou en situation de handicap.

Selon vous, l’instinct maternel est-il inné ?

La femme est programmée biologiquement pour enfanter : elle est dotée “d’un appareillage physiologique” global qui le lui permet. Par ailleurs, dès sa naissance, la mère pourvoit aux besoins primaires de son nouveau-né. S’établissent en conséquence des relations privilégiées entre la mère et l’enfant. Cela dit, il y a une grande confusion, et on peut se demander si elle n’est pas délibérément maintenue, entre le sentiment maternel et l’instinct. Le sentiment maternel est une élaboration psychique et le résultat d’une histoire personnelle, celle de la mère et de son rapport à la maternité et à son enfant.

En parlant d’instinct maternel, on compare la femme à l’animal femelle, ce qui est faux et préjudiciable à son image. Elle la réduit à une fonction de génitrice, nie les spécificités de chaque mère et du poids des processus conscients et inconscients qui sont engagés dans la relation à l’enfant. Cette idée de l’instinct est par ailleurs culpabilisante, à la fois pour les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants, et pour celles qui peinent à construire les premiers liens avec le nouveau-né. Il ne faut donc pas confondre l’amour maternel qui est en soi, qui ne s’apprend pas mais se construit, et l’instinct maternel, qui est inné, et que l’on rencontre chez l’animal.

Les femmes ne sont donc finalement toujours pas maîtresses de leur propre corps…

Le corps des femmes a été de tous temps contrôlé par le corps social : c’est un des enjeux majeurs de la société. Au cours des dernières années, par rapport à une évolution des femmes qui permet d’échapper au processus de contrôle, il y a comme un retour de manivelle, une volonté de restaurer l’ordre historiquement établi. À l’accélération qui vise à transformer les idées, il y a une nouvelle force qui s’oppose et qui impose un conservatisme archaïque d’un autre temps… Voilà où peuvent nous mener les réflexions sur les postures de la femme par rapport à la question de l’enfantement.

 

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